Pourquoi Vandenbroucke refuse de rendre public le nombre de décès liés au Covid par hôpital
La N-VA et le PTB plaident pour une publication du nombre de décès liés au Covid dans chaque hôpital du pays. Une manière, selon l’opposition, de tirer les leçons de la crise et de se préparer aux futures pandémies. Une demande à laquelle le ministre de la Santé, Frank Vandenbroucke, refuse de se plier, en raison de données « incomplètes ».
Au plus fort de la crise, c’était devenu une habitude. Chaque jour, puis chaque semaine, l’Institut de Santé publique Sciensano publiait les indicateurs-clés liés à la pandémie de coronavirus en Belgique. Nombre de contaminations, nouvelles hospitalisations ou encore taux d’incidence permettaient aux experts, ainsi qu’à la population, de surveiller l’évolution de l’épidémie sur notre territoire.
Pour certains députés de l’opposition, cet exercice de transparence aurait pu être poussé un cran plus loin. La nationaliste Frieda Gijbels, notamment, plaide depuis trois ans pour rendre public le nombre de décès liés au Covid-19 dans chaque hôpital du pays. Sa demande, réitérée à plusieurs reprises, vise à mieux cerner les failles dans la gestion de la crise et à correctement anticiper les futures pandémies. « Nous devons utiliser ces informations à notre disposition pour en tirer des leçons », insiste la députée N-VA.
De grandes disparités dans les décès
Pour l’heure, le ministre fédéral de la Santé, Frank Vandenbroucke (Vooruit), s’est contenté de partager des données standardisées sur le nombre de décès, mais en continuant d’anonymiser les établissements hospitaliers, afin d’éviter « de cibler à tort des hôpitaux par erreur méthodologique. » Ces chiffres, fournis fin juin dans le cadre d’une réponse parlementaire à Frieda Gijbels – que Le Vif a pu consulter – font état d’un taux brut de létalité pour Covid-19 en hôpital de 14% pour la période s’étalant du 15 mars 2020 au 30 avril 2023. Ce pourcentage varie d’un établissement à l’autre, fluctuant entre un minimum de 1 % et un maximum de 31 %.
« Les disparités entre les hôpitaux sont énormes, observe Frieda Gijbels. Il est capital d’investiguer et de comprendre les raisons de ces différences : les établissements qui présentent un taux plus faible de décès ont-ils eu recours à des médicaments différents ? Ont-ils appliqué d’autres protocoles ? Ont-ils eu affaire à des patients moins sévèrement malades ou à une population moins à risque ? Toutes ces questions méritent une réponse, qui s’avèrera précieuse pour la suite. »
Décès: des données « inexploitables »
En pleine pandémie, Sciensano justifiait son refus de publier ces chiffres par une potentielle atteinte à la réputation des hôpitaux. L’Institut de Santé publique craignait notamment que les établissements aux meilleurs résultats ne succombent à un afflux de patients.
De son côté, le cabinet du ministre Vandenbroucke assure être « favorable » à la transparence concernant la qualité des soins, mais explique que ces données sont aujourd’hui inexploitables en raison d’un « important biais de sélection et d’information » dans les sources hospitalières. « La prise en compte de variables complémentaires permettrait d’affiner les résultats », précise le cabinet socialiste, citant notamment comme critères la sévérité de la maladie, la durée du séjour à l’hôpital, le choix du traitement par le patient (ex. le souhait d’être réanimé) ou encore l’absentéisme du personnel. Cet affinage des données nécessite du temps et des moyens, selon le ministre Vandenbroucke, qui ajoute être en concertation avec le KCE (Centre fédéral d’expertise des soins de santé) pour déterminer si un couplage de données rétrospectives pourrait donner lieu à des conclusions « valides sur le plan méthodologique ».
« La population mérite d’être informée »
Si Frieda Gijbels comprend que la diffusion de ces données brutes, visiblement incomplètes, à l’ensemble de la population ne soit pas pertinente dans un premier temps, elle insiste pour qu’elles soient au moins communiquées aux députés qui en font la demande, et surtout, aux hôpitaux. « Cette transparence leur permettra d’avoir un point de comparaison, de savoir où ils se situent par rapport aux autres établissements et de s’améliorer. »
« Tous les hôpitaux sont financés avec des moyens publics, donc la population a le droit de savoir comment ceux-ci ont performé durant la crise »
La députée nationaliste plaide pour rendre ensuite ces données entièrement publiques, en les recontextualisant. Une position partagée par la députée PTB-PVDA, Sofie Merckx, qui appelle les autorités à faire preuve « d’une transparence maximale ». « Nous demandons au ministre, à Sciensano et/ou au KCE de mener une véritable enquête et de publier les chiffres des décès en les replaçant dans leur contexte et en les assortissant de conclusions scientifiques, déclare la cheffe de groupe PTB-PVDA à la Chambre. Les résultats doivent être communiqués au grand public de manière claire et compréhensible. La population mérite d’en être informée. »
« Tous les hôpitaux sont financés avec des moyens publics, donc la population a le droit de savoir comment ceux-ci ont performé durant la crise, ajoute Frieda Gijbels. C’est aussi notre rôle de contrôler si l’argent public est utilisé à bon escient. »
Lutter contre la désinformation
Pour les deux députées de l’opposition, la transparence du gouvernement est indispensable pour contrer la désinformation et les théories du complot qui ont émergé dans une société polarisée par la pandémie. Surtout, elles rappellent qu’à l’étranger, ces informations sont souvent partagées publiquement.
Par le passé, Frank Vandenbroucke a déjà été épinglé pour son manque de transparence dans la gestion de la pandémie. Le ministre de la Santé avait notamment refusé de divulguer le contenu de mails échangés avec la présidente du Gems Erika Vlieghe et le commissaire corona Pedro Facon au plus fort de la crise, et ce, malgré les demandes répétées du quotidien Het Laatste Nieuws en vertu de la loi sur la transparence administrative.
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