Pourquoi tout le monde veut flirter avec Les Engagés (analyse)
Après leur mutation, Les Engagés ont officiellement lancé leur campagne. Mourante il y a peu, la formation rêve désormais de réintégrer les gouvernements.
C’était une belle grande scène carrée, posée tel un ring de boxe au centre de la grande salle de Namur Expo. Tout autour, les militants et mandataires s’entassaient dans les quatre tribunes. Plus de 1 200 personnes, selon les chiffres annoncés, munies de drapeaux et de pancartes aux couleurs du mouvement. Les écrans diffusaient tantôt des clips vidéo préparés avec le concours d’une agence de communication, tantôt, en direct, des images captées par les caméras. On a sorti les grands moyens, chez Les Engagés. Musique tonitruante, écrans géants et même un drone pour immortaliser la soirée comme il se doit.
Je vois qu’on est dragués par tout le monde, ce qui n’est pas désagréable.
Samedi soir, dans la capitale wallonne, fief de Maxime Prévot, le coup d’envoi de la campagne électorale des Engagés a été donné sous forme de convention politique, un peu à l’américaine, avec ce que cela suppose de grandiloquence. Le mouvement politique, fondé sur les cendres du CDH, avait convié ses ouailles, si l’on ose dire, pour approuver la confection de la liste européenne, mais aussi adopter le programme pour les élections régionales, fédérales et européennes du 9 juin prochain. C’est une brique de sept cents pages, amendée des dizaines de fois ces derniers mois, achevée grâce au travail de refondation entamé voici cinq ans. Le slogan de campagne est désormais connu, ce sera «Le courage de changer».
L’espoir retrouvé
Chez Les Engagés, on ronge son frein. On le dit et on le répète, on est plus que prêt à faire ce que, déjà, ses ancêtres PSC et CDH appréciaient beaucoup: monter dans les exécutifs, participer au pouvoir, bien vite quitter l’opposition pour se retrouver là où on décide. Ce sera différent, promet-on. Une profonde mutation est intervenue, de nouveaux visages ont rejoint le mouvement, d’autres ont annoncé leur départ. «Offrons aux Belges une autre gouvernance, offrons-leur tout simplement d’autres gouvernements», résume le président, Maxime Prévot.
Elle semble loin, l’atmosphère pesante du dimanche électoral de mai 2019. Le CDH s’écrasait à 11% des suffrages en Wallonie, y devenant le cinquième parti derrière le PTB, et même le sixième à Bruxelles avec 7,6% des votes aux régionales.
On connaît la suite de l’histoire. Le CDH a opté pour une cure d’opposition à tous les niveaux de pouvoir, du régional au fédéral, puis entamé une transformation qui se voulait très participative, pour devenir un «mouvement politique» plutôt qu’un parti, en mettant de côté, sans le renier, son héritage religieux.
Les Engagés ont mangé leur pain noir, sévèrement même. La question consiste désormais à savoir s’ils sont promis à des jours meilleurs. Le narratif autour des Engagés a quelque peu changé, en tout cas. Beaucoup d’analystes de la vie politique et de concurrents ne donnaient pas cher de leur peau après la défaite de 2019, la raison d’être de l’ancien parti démocrate-chrétien pouvant sembler avoir disparu.
Les présidents de parti affirment tous n’accorder qu’une attention très relative aux sondages publiés régulièrement sur les intentions de vote, mais ceux-ci ont néanmoins la capacité de donner le ton, traduire des tendances, doucher les espoirs ou rendre un peu de confiance. En l’occurrence, si Les Engagés ont sombré sous la barre symbolique des 10% d’intentions de vote en Wallonie, le baromètre réalisé par Ipsos à la mi-décembre pour compte du Soir et de RTL faisait état de chiffres plus encourageants (13,8%), de quoi leur permettre de venir talonner le PTB et Ecolo. Auprès des écologistes francophones, où l’on sait que des participations gouvernementales se soldent souvent par une sanction dans les urnes, on observe d’ailleurs avec la plus grande attention l’état de forme des Engagés. La position respective des partis pèsera lors de l’attribution des rôles, dans les négociations postélectorales.
Au demeurant, les figures de proue que sont Maxime Prévot et Jean-Luc Crucke, venu du MR, jouissent d’un capital de confiance important, toujours selon les sondages. Du côté de Bruxelles, par contre, malgré une inflexion vers le haut, Les Engagés semblent toujours peiner à redevenir une force politique de premier plan, pâtissant, entre autres, d’une concurrence au centre de l’échiquier avec DéFI. Mais toutes ces conjectures pourraient être démenties ou non au soir du 9 juin, attendu avec impatience et fébrilité au sein du mouvement.
Courtisés de toutes parts
En attendant, plusieurs signaux indiquent que le scénario d’un retour dans les gouvernements, plutôt qu’une mort annoncée, est redevenu plausible.
Les Engagés en ont très envie, tout d’abord. C’était un des messages clés de la convention du week-end dernier: se mettre en ordre de bataille et se donner les moyens d’intégrer les gouvernements, si les urnes le permettent. Il n’y a rien de plus naturel, en principe, pour un parti qui se présente aux élections que de viser la participation gouvernementale. Mais on se souvient que, résolu à vivre pleinement sa cure d’opposition, l’ancien CDH n’avait pas intégré la Vivaldi, même si l’opportunité avait pu se présenter. Et d’autres formations se sentent fort bien dans l’opposition, bien mieux que Les Engagés, à vrai dire. En cela, le mouvement se situe aux antipodes du PTB.
Le mouvement centriste semble courtisé, ensuite. «Je vois qu’on est dragués par tout le monde, ce qui n’est pas désagréable», lâchait Jean-Luc Crucke à La Libre, le 20 janvier. Avant d’ajouter que «ce qui compte, pour nous, c’est d’être forts», le seul moyen selon lui de voir appliqué le programme des Engagés.
Avec leur programme qui se veut centriste, des propositions de centre-droit contrebalancées par des propositions de centre-gauche et inversement, Les Engagés en tant que partenaires ne sont a priori rédhibitoires pour personne. On l’a ressenti, notamment, lors du débat des présidents de parti organisé par RTL-TVi tout dernièrement, lors duquel le PS et le MR leur ont fait des appels du pied à peine voilés.
Avec un poids politique suffisant, Les Engagés pourraient intégrer un Olivier (avec les socialistes et les écologistes) de centre-gauche, comme une coalition de centre-droit que Georges-Louis Bouchez appelle de ses vœux. Cela vaut surtout pour l’échelon régional, particulièrement en Wallonie d’ailleurs.
Les Engagés eux-mêmes se refusent à formuler des exclusives avant les élections, à l’exception des extrêmes «de gauche comme de droite». Le PTB et le Vlaams Belang, en d’autres termes. Au niveau fédéral, s’il n’imagine pas que Bart De Wever puisse devenir Premier ministre, Maxime Prévot estime néanmoins qu’intégrer une coalition avec la N-VA «fait partie du champ des possibles». Ainsi s’exprimait-il dans les quotidiens voici quelques jours, même si une alliance avec les nationalistes flamands n’est pas l’option à privilégier de prime abord, selon lui.
Pour le formuler autrement, un mouvement politique qui vit un renouveau et semble exister, dont le programme n’a rien de trop repoussant pour les autres, qui ne formule pas d’exclusives ni de nettes préférences tout en souhaitant revenir aux affaires est un partenaire potentiel pour beaucoup de monde… si l’arithmétique électorale le permet. D’autant plus, à vrai dire, que les présidents du PS et du MR, Paul Magnette et Georges-Louis Bouchez, annoncent urbi et orbi que leurs préférences respectives iraient à des majorités sans l’autre.
Des électeurs à convaincre
La grande inconnue, évidemment, consiste à savoir dans quelle mesure le mouvement nouvellement reconstruit parviendra à traduire cette dynamique et à convaincre dans les urnes. Le pari a été fait, sous la houlette de Maxime Prévot, de confier un nombre important de têtes de liste à des personnalités «issues de la société civile», c’est-à-dire à des personnes dont l’image n’est pas (encore) associée à l’exercice de mandats politiques.
Ce choix n’est pas l’apanage des Engagés mais y est plus marqué qu’ailleurs. C’est une arme à double tranchant, qui a le mérite de capitaliser sur des expertises (entrepreneuriales avec Olivier de Wasseige, Jean-Jacques Cloquet et Yvan Verougstraete, ou en santé avec Yves Coppieters et Elisabeth Degryse), mais peut souffrir du manque d’expérience des intéressés dans l’arène politique.
Le succès des Engagés dépendra aussi de l’adhésion au programme, qui est présenté comme innovant et en rupture. Il faut «avoir le courage de changer», répète Maxime Prévot. Quelques mesures phares charpentent le programme. Il est question de deux cents mesures relatives à la santé et au bien-être, d’une réduction sensible des dépenses d’argent public ou encore d’une réforme fiscale de grande envergure.
Mais les thématiques mises en lumière de façon prioritaire par le mouvement politique, si elles s’inscrivent très probablement dans les grandes préoccupations qui traversent la société, ne tranchent pas non plus de façon spectaculaire avec ce que défendent d’autres formations, ni avec quelques fondamentaux caractérisant autrefois le CDH. Ainsi, les sujets mis en avant à la convention organisée le week-end dernier relevaient de la santé et de l’environnement, de la petite enfance, de l’enseignement, de la culture, de l’emploi, de la fiscalité, du pacte social, de la gouvernance, de la sécurité ou encore de la justice.
L’électeur qui voit défiler une telle liste de priorités se dira éventuellement que ce sont là des thématiques qui comptent, mais qui n’ont pas l’apparence de la rupture que proposent d’autres formations en progression. Beaucoup moins centristes que Les Engagés, celles-là.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici