Alexander De Croo et le bourgmestre de Gand, Mathias De Clercq, sont issus de deux vieilles dynasties libérales. Le second n’est plus très en phase avec l’Open VLD que dirige le premier. © belgaimage

Pourquoi tous les « fils de » quittent l’Open VLD… sauf les De Croo

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Toutes les dynasties fondatrices de l’Open VLD, les De Croo excepté, se distancient du parti libéral flamand, qui est pourtant très fréquenté par les « fils de ».

Les «fils de» sont une spécialité belge. Sous la précédente législature fédérale, 33 députés sur 150 étaient issus de dynasties politiques. L’Open VLD en est un des plus rigoureux défenseurs. Tout le monde a un père, mais, à l’Open VLD, il vaut toujours mieux être le fils de quelqu’un. Le réseau familial et l’auréole d’un patronyme sont un atout partout. Dans une thèse de doctorat défendue à la London School of Economics, la chercheuse néerlandaise Brenda Van Coppenolle avait évalué à un bon tiers l’avantage électoral d’un héritier par rapport à un nouveau candidat, d’une part parce que les dynastes sont généralement mieux placés sur les listes, et d’autre part parce qu’ils bénéficient d’un avantage de notoriété. Mais c’est spécialement le cas dans un parti aujourd’hui dirigé dans les faits par un Premier ministre dont le père, ministre d’Etat, fut lui-même le président.

La base libérale récompense traditionnellement les dynastes.

D’ailleurs, les militants de l’Open VLD élisent lors d’un scrutin interne les vingt membres du bureau du parti, et la base libérale récompense traditionnellement les dynastes. Lors de la dernière élection au printemps 2020, douze des vingt lauréats pouvaient se prévaloir de liens de parenté avec un libéral illustre, et, puissant symbole d’une hérédité efficace, Alexander De Croo (avec pas moins de douze mille voix, soit le meilleur résultat de tous les candidats) s’y retrouvait avec son paternel Herman (6 108 voix). Le parti est aujourd’hui en crise, si bien que sa survie est même en jeu. La démission de Vincent Van Quickenborne (6 696 voix à l’élection interne de 2020), le plus proche ami politique d’Alexander De Croo, et son remplacement par son chef de cabinet Paul Van Tigchelt, a précipité une série de départs et de prises de distance de nombreux notables libéraux. De partout, Alexander De Croo, fils d’Herman, et son entourage proche sont accusés de gérer le parti en comité restreint, au sein d’un très mâle «G4», composé du partant Vincent Van Quickenborne, du ministre flamand Bart Somers (7 081 voix à l’élection interne de 2020, fils de Joos Somers, ancien parlementaire Volksunie, où Somers commença sa carrière) et de l’actuel président Tom Ongena, qui a succédé, non sans résistances internes, à Egbert Lachaert (9 078 voix à l’élection interne de 2020 pour le bureau, mais 9 784 à la présidentielle disputée le même jour, fils de Patrick Lachaert, ancien député VLD et échevin de Merelbeke, la commune dont Egbert Lachaert est bourgmestre).

Les pedigrees

Autrement dit, dans sa composition précédente, le G4 de l’Open VLD comptait trois quarts de «fils de». Depuis la succession de Van Quickenborne, pratiquement toutes les personnalités qui s’éloignent de l’Open VLD portent des noms chargés d’histoire. Els Ampe (3 440 voix à l’élection interne de 2020), la Bruxelloise qui a quitté le parti après la désignation de Tom Ongena, n’est la fille de personne. Gwendolyn Rutten (5 253 voix à l’élection interne de 2020), l’ancienne présidente, bourgmestre d’Aarschot, qui a annoncé abandonner la vie politique nationale juste après l’installation de Paul Van Tigchelt, non plus. Mais depuis la prestation de serment du nouveau ministre de la Justice, tous les autres libéraux flamands à s’être manifestés négativement sont des engeances de vieux bleus. Leur généalogie, les réseaux sur lesquels ils s’appuient, démontre combien le parti est pratiquement en train de se vider de sa sève. Et de se couper de ses racines.

En voici les lourds pedigrees.

L’ancien ministre-président flamand, ministre de l’Intérieur et président de la Chambre Patrick Dewael (6 800 voix à l’élection interne de 2020) a déclaré envisager de siéger à la Chambre comme indépendant, et a boudé les réunions du bureau depuis celui du 23 octobre. Son grand-père, Arthur Vanderpoorten, fut parlementaire et ministre libéral, dont la petite-fille, Marleen, cousine germaine de Dewael, fut ministre régionale et présidente du parlement flamand.

Le député flamand Jean-Jacques De Gucht (4 636 voix à l’élection interne de 2020), échevin à Alost, a lui aussi boycotté le bureau de son parti, où il siège depuis 2020 avec son père Karel (4 973 voix à l’élection interne de 2020), ancien ministre et président du VLD, lui aussi en colère contre la direction quadricéphale. Frédéric, fils de Karel et donc frère de Jean-Jacques, est président de la section bruxelloise de l’Open VLD depuis le printemps dernier. La belle-sœur de Frédéric et belle-fille de Karel, soit la compagne de Jean-Jacques De Gucht, est Charlotte Verhofstadt, fille de Guy Verhofstadt, ancien Premier ministre et président du parti, qui a annoncé ne plus vouloir briguer de mandat, après près de quinze ans au Parlement européen. Louis, 28 ans, beau-frère de Jean-Jacques, frère de Charlotte, et donc fils de Guy, est membre du bureau de la section gantoise de l’Open VLD.

Le Premier ministre avec Guy Verhofstadt et Patrick Dewael, au temps d’une paix relative entre clans libéraux.
Le Premier ministre avec Guy Verhofstadt et Patrick Dewael, au temps d’une paix relative entre clans libéraux. © belgaimage

L’actuel bourgmestre de Gand, Mathias De Clercq (5 534 voix à l’élection interne de 2020), a, lui, réitéré les critiques qu’il tient de longue date à l’endroit de la ligne et de la gestion de son parti. Partisan d’un libéralisme progressiste, il a choisi une coalition avec Groen plutôt qu’avec la N-VA, qu’il ne voulait pas voir monter au gouvernement fédéral, et a déjà scellé avec Vooruit une «stadlijst» commune, vierge de toute référence à son parti, pour les communales d’octobre 2024. Il a également boycotté le bureau du 23 octobre. Son grand-père, Willy De Clercq, ancien ministre et président de parti, fit engager le tout jeune Guy Verhofstadt au cabinet d’avocate de son épouse, puis à son propre service: Willy De Clercq est le grand-père de Mathias De Clercq, mais il est aussi le «père politique» de Guy Verhofstadt, c’est son fils politique qui le dit.

Ces patriarches ou leur descendance participèrent à la refondation de la vieille maison bleue.

L’actuel bourgmestre d’Ostende et ancien ministre flamand Bart Tommelein (4 766 voix à l’élection présidentielle de 2020), qui avait au printemps abandonné la vie politique nationale, a également décidé de ne plus participer aux instances nationales de son parti. Lui aussi plutôt progressiste, il avait commencé sa carrière à la Volksunie, où militait également son père.

Le chef de groupe Open VLD au parlement flamand, Willem-Frederik Schiltz (4 438 voix à l’élection interne de 2020), a, lui, renoncé à figurer à une place éligible sur la liste régionale, se contentant de vouloir soutenir la liste européenne. Son père, Hugo Schiltz, fut ministre et président de la Volksunie à l’époque du pacte d’Egmont.

Enfin, au cœur même du G4, Bart Somers, lui aussi fils d’une figure de la Volksunie, ne briguera plus de siège dans aucun parlement, et ne siégera plus dans aucun gouvernement. L’autre ministre régionale flamande nommée par le VLD, Lydia Peeters (4 849 voix à l’élection interne de 2020), est bourgmestre de Dilsen-Stokkem, dans le Limbourg, comme son père, Lambert, l’avait été avant elle.

L’Open Vld, le club des dynasties disparues

Toutes ces défections, dans la formation héritière du plus vieux parti d’Europe, fondé en juin 1846, ne laissent pratiquement plus qu’une dynastie au centre du jeu, celle des De Croo, de Brakel, alors que les succès du VLD s’étaient bâtis sur un équilibre entre les clans familiaux. En 1992, le successeur du vieux Parti libéral, le PVV, s’était transformé en Vlaamse Liberalen en Democraten, attirant notamment, grâce à l’habile enthousiasme de Guy Verhofstadt, un grand nombre de figures de la Volksunie. Le père De Croo n’était pas le meilleur ami du fils politique du père De Clercq, et le père De Gucht était même un des pires adversaires du (beau-)père Verhofstadt. Le petit-fils Vanderpoorten non plus. Le grand-père Schiltz encore moins, le père Somers non plus, et sûrement pas papa Tommelein. Mais tous ces patriarches ou leur descendance participèrent à la refondation puis à l’agrandissement de la vieille maison bleue. Deux politologues, Joseph La Palombara et Myron Weiner, avaient, dans les années 1960, établi quatre critères pour définir un parti politique, et le premier imposait que l’organisation partisane devait avoir une espérance de vie supérieure à celle de ses fondateurs.

Ces derniers mois, et surtout ces dernières semaines, les fondateurs du VLD se sont retirés ou ont pris leurs distances, mais le parti n’est pas tout à fait certain de survivre à ces fondatrices défections. En outre, ces derniers jours, les descendants de plusieurs d’entre eux ont, de plus en plus clairement, verbalisé ces ruptures dynastiques. Ces dynasties défaillantes sont une catastrophe pour Alexander De Croo, le dernier des dynastes du parti aux puissantes dynasties. Mais elles pourraient, et c’est déjà prévu, lui permettre de promouvoir, en juin prochain, de nouvelles personnalités. Voire d’attirer chez les libéraux flamands des figures de la société civile, sur le modèle des Engagés de Maxime Prévot. Le départ de nombreux sortants ouvrira en effet une série de fructueuses vacatures, à des places à l’éligibilité assurée. Ces nouvelles figures sauveront peut-être le parti d’Alexander De Croo. Mais leur émergence, réussie ou non, marquera la mort du parti qu’avec d’autres pères fondateurs, son paternel avait contribué à constituer: mort ou survivant, l’Open VLD du futur sera le club des dynasties disparues.

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