Pourquoi s’allier au Vlaams Belang, c’est rompre le cordon sanitaire, et le faire avec le PTB, ça ne l’est pas
La coalition formée avec le Vlaams Belang à Ranst a remis les principes du cordon sanitaire en lumière. Même si, formellement, il n’a pas été rompu. Côté francophone, ce sont de possibles alliances avec le PTB qui font débat. Mais là, il n’est certainement pas (encore?) question de cordon, plutôt de braver des exclusives.
C’est peu dire que Ranst, ses châteaux, son moulin et ses cultures fruitières ne faisaient pas l’objet d’une grande attention médiatique avant les élections. Ce n’est pas pour les richesses de son patrimoine que la donne a subitement changé dans cette localité, située à une douzaine de kilomètres à l’est d’Anvers, mais pour une histoire de politique, d’inimitiés locales et, in fine, de rupture du cordon sanitaire.
Au lendemain du scrutin communal, c’est sur Ninove que les projecteurs s’étaient braqués. Là, la liste d’extrême droite Forza Ninove avait obtenu la majorité absolue. Elle va pouvoir exercer seule le pouvoir, dont elle avait précédemment été exclue par les autres partis en vertu du cordon sanitaire.
Après les élections, des question sur la rupture de ce même cordon sanitaire se posent à Middelkerke, où l’impétueux Jean-Marie Dedecker (Lijst Dedecker) n’a pas exclu de faire alliance avec le Vlaams Belang. Quelques autres entités de Flandre font également l’objet d’inquiétudes. Mais Ranst ne comptait assurément pas parmi les communes à tenir à l’œil, le Vlaams Belang n’y ayant jamais obtenu que 14,6% des voix.
Le 19 octobre, pourtant, était annoncée la formation d’une tripartite communale incluant le parti d’extrême droite, donc, et les listes locales PIT et Vrij Ranst. Le bourgmestre N-VA sortant est renvoyé dans l’opposition. «Rupture du cordon sanitaire à Ranst»: l’information a rapidement fait le tour des médias, suscitant l’indignation des partis démocratiques. La réaction de ces derniers ne s’est pas fait attendre, puisque le CD&V et l’Open VLD ont tous deux exclu leurs membres ayant participé au coup de Jarnac. On n’a pas tergiversé.
«Je ne pense pas qu’il faille minimiser ce qui s’est passé.»
La séquence a occasionné de nombreux commentaires d’experts en science politique, cherchant à déterminer si le cordon sanitaire avait été rompu ou non. Conclusion, en quelques mots: s’il a été rompu à l’échelon local, il ne l’a certainement pas été dans le chef des partis démocratiques, qui ont immédiatement agi en excluant les brebis galeuses. Ce qui a fait dire à l’un ou l’autre commentateur que ledit cordon, dans l’aventure, s’était même resserré. «Je n’irais peut-être pas jusqu’à affirmer qu’il s’est solidifié. En revanche, dans les faits, aucun de ses signataires ne l’a rompu, dès lors que les membres du CD&V et de l’Open VLD impliqués dans la coalition ont été exclus», observe Benjamin Biard. Pour autant, ajoute le politologue au Crisp, spécialiste de l’extrême droite, «je ne pense pas qu’il faille minimiser ce qui s’est passé».
De précédentes entorses au cordon
C’est la première fois, depuis la formation du Vlaams Blok (devenu Vlaams Belang) en 1979, que ce parti parvient au pouvoir moyennant une alliance avec d’autres partis, même s’il s’agit d’une coalition formée à l’échelon local. Cependant, la situation n’est pas complètement inédite, tempère Benjamin Biard. A Grimbergen, un ancien cadre du Vlaams Blok puis du Vlaams Belang, devenait échevin en 2018, puis bourgmestre en 2022, à la faveur d’une nouvelle coalition avec le CD&V. Il avait certes quitté le parti d’extrême droite, mais pas nécessairement ses convictions politiques. Et son pedigree politique impliquait, d’une certaine façon, «un élément de rupture du cordon».
Dans d’autres villes et communes, des transfuges d’anciens membres du Vlaams Belang vers la N-VA ont pu constituer d’autres entailles, comme à Alost ou Brasschaat. En 2006, le Vlaams Belang avait déjà formé des cartels dans une dizaine de communes flamandes avec des listes locales, mais elles n’étaient pas signataires du cordon sanitaire.
Voilà une forme d’ironie autour de l’épisode de Ranst. Ce sont des listes comportant des membres de l’Open VLD et du CD&V, tous deux signataires du cordon sanitaire, qui ont créé la surprise, précisément en éjectant la liste N-VA dans l’opposition. Or, ces dernières années et bien que Bart De Wever ait explicitement refusé ce scénario avant les élections des juin, les principales craintes autour d’une potentielle entorse visaient la N-VA. Or, le parti nationaliste ne fait pas partie des signataires du cordon sanitaire, dès lors qu’il n’existait pas encore à l’époque de son édification.
Les origines du cordon sanitaire remontent en effet aux élections communales de 1988, lors desquelles le Vlaams Blok a réalisé une percée. L’idée a émergé à l’initiative de l’écologiste Jos Geysels que les partis démocratiques devaient s’entendre pour priver l’extrême droite du pouvoir, à quelque niveau que ce soit. Rapidement remis en cause, le projet a refait surface et s’est formalisé après le dimanche noir de 1991. Sociaux-chrétiens, libéraux, socialistes, écologistes et nationalistes (de la Volksunie) signaient un document dans lequel ils s’engageaient à ne pas conclure d’accord avec le Vlaams Blok.
Côté francophone, c’est la Charte pour la démocratie qui a été signée par les partis démocratiques en 1993. Elle instituait un double cordon, politique et médiatique, et fut actualisée au printemps 2022, après que le président du MR, Georges-Louis Bouchez, a participé à un débat télévisé avec son homologue du Vlaams Belang. Le PTB ne l’a pas signée, arguant qu’en tant que parti national, il ne pouvait se priver de débattre avec l’extrême droite, qui ne fait pas l’objet d’un cordon sanitaire médiatique en Flandre. La document, par conséquent, a été signé par les présidents du PS, du MR, d’Ecolo, des Engagés et de DéFI. Le MR, de son côté, a en vain cherché à inclure le PTB dans le champ des partis exclus par le cordon. Pour les libéraux –et pour quelques autres d’ailleurs– voir un parti d’extrême gauche accéder au pouvoir n’est guère plus réjouissant que s’il s’agissait de l’extrême opposé. Ce à quoi les opposant répondent que, aussi populiste soit-il, le PTB n’est certainement pas à ranger dans une même catégorie et que l’exclure par principe déforcerait le cordon. Le débat est sans fin.
Des exclusives, pas un cordon
Dans la sphère politique francophone aussi, le refus d’envisager le partage du pouvoir avec certains partis est un débat qui vit. Il s’agit de savoir qui accepte ou non de discuter avec le PTB et, le cas échéant, avec la Team Fouad Ahidar, deux partis qui comptent désormais des représentations significatives.
Georges-Louis Bouchez l’a explicitement formulé: une alliance du PS avec le PTB «ne resterait pas sans conséquences». Cela pourrait avoir des répercussions sur d’autres négociations en cours. Au niveau provincial en Wallonie, par exemple, où le MR et Les Engagés se suffisent partout à eux-mêmes, mathématiquement. Pour Les Engagés et DéFI, il n’est pas non plus question de participer au pouvoir aux côtés du PTB.
«Le cordon sanitaire n’a rien de juridiquement contraignant, mais c’est un accord politique signé.»
C’est surtout du côté de Molenbeek, où l’équation issue des urnes est complexe, qu’il est question d’une alliance du PS et du PTB avec une troisième formation. La bourgmestre Catherine Moureaux n’y est pas opposée et les discussions sont avancées. «Des discussions exploratoires, rien de plus à ce stade», recadre-t-on au PS. Elles se sont également ouvertes à Forest et à Herstal (et de manière plus informelle dans l’une ou l’autre commune). Tout le monde ne s’extasie pas face à cette perspective, dans les rangs socialistes. C’est peu de le dire.
Dans la ville de Frédéric Daerden, en région liégeoise, le poids des socialistes s’est sensiblement amoindri au fil des précédents scrutins, à tel point qu’ils n’y sont plus majoritaires. Pour la forme, des discussions avec le PTB avaient déjà eu lieu il y a six ans. Elles se tiennent, probablement pour la forme une fois encore, ne serait-ce que parce que la liste d’ouverture du bourgmestre socialiste compte dans ses rangs des membres des Engagés. La seule option encore disponible sera alors une alliance avec le MR.
Par rapport aux listes présentées par la Team Fouad Ahidar, aucune discussion formelle, même «exploratoire», n’est couverte par le PS, indique-t-on au siège, boulevard de l’Empereur.
En attendant, il n’est pas question de rupture de cordon sanitaire dans ces cas-là. Il s’agit ni plus ni moins d’exclusives, posées par certains partis à l’égard d’autres formations. «Le cordon sanitaire n’a rien de juridiquement contraignant, mais c’est un accord politique signé, un document formalisé qui vise à exclure l’extrême droite de toute participation à une coalition», précise Benjamin Biard. Il y a, dans l’esprit du cordon, «le principe d’une entente de tous les partis démocratiques contre l’extrême droite. Ce n’est pas la même chose que des exclusives».
Ces interdits sont légitimes, mais pas gravés dans le marbre. Ils sont d’ailleurs évolutifs, en fonction des réalités et des acteurs politiques. Il fut un temps où Vooruit dirigeait une commune avec le PTB-PVDA, ce qui ne l’empêcha pas de former bien d’autres coalitions. Il fut un temps, plus lointain, où la N-VA apparaissait comme infréquentable aux yeux de bien des francophones.
Les éléments de contexte évoluent, naturellement. Concernant l’extrême droite, les initiateurs du cordon sanitaire espéraient précisément qu’aucune situation particulière ne vienne écorner les principes. Aussi regrettable soit-il, l’épisode de Ranst aura au moins eu le mérite de les réaffirmer.
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