Pourquoi Les Engagés n’ont pas vraiment eu «le courage de changer», et pourquoi ils ont eu raison
Entre Les Engagés et le CDH, le parti de Maxime Prévot n’a changé d’avis que pour rejoindre l’opinion majoritaire. Mais ce n’est pas du courage, c’est du bon sens.
Qu’il nous soit permis ici de soumettre un projet d’épitaphe, pour quand il aura le temps d’y penser, à un président de 45 ans en train d’accomplir, déjà, le deuxième chef-d’œuvre de sa carrière: «Maxime Prévot, né le 9 avril 1978 à Mons, parti on verra bien quand, maïeur de Namur depuis 2012 et, pour toujours, à jamais, résurrecteur de parti.»
Le premier fut réalisé lorsque, jeune député-échevin, déjà ancien directeur politique de son parti, il fut confirmé bourgmestre par les Namurois en octobre 2012, un plébiscite préparé par l’habile effacement, quelques mois plus tôt, de son prédécesseur Jacques Etienne. Il reçut là, pour son premier chef-d’œuvre, la sanction d’un peuple.
Le second lui sera venu par la promulgation d’un échantillon, celui du baromètre trimestriel réalisé par Ipsos pour Le Soir et RTL. Le vendredi 22 mars 2024, il situait Les Engagés, fondés en mars 2022, à 6,9% à Bruxelles, contre 5,8% aux élections de 2019, et c’était tout sauf fameux.
Mais il mettait surtout le parti de Maxime Prévot à 16,7% en Wallonie, où le CDH avait réalisé un score de 10,7% en mai 2019, et c’était le signe que le Namurois avait réussi son coup, que la résurrection était accomplie et que son deuxième miracle avait opéré. On dira que ce n’est qu’un sondage, on aura raison. Surtout que la réalité que créent les sondages devient souvent un mirage, le soir des élections, qui rend les gagnants déçus d’avoir gagné des voix, mais pas autant que ce que les sondages les plus récents disaient, et qui soulage les perdants de n’avoir pas perdu autant de voix que ce que les sondages les moins anciens estimaient. Mais le même sondage, fin 2021, plaçait le CDH à 8% en Wallonie, et ce double d’électeurs sondés en deux ans suffira, malgré les prochains pièges de la campagne, qu’importe si le résultat final, le 9 juin, est un peu moins flatteur, à authentifier la réussite de Maxime Prévot. La dynamique est là et c’est en politique à peu près tout ce qui compte.
Du courage, il n’y en a pas tellement eu, puisque ne rien faire menait le CDH à une mort lente.
Le président a vraiment bien fait ce qu’il avait à faire.
Il a eu raison d’avoir, comme il dit, comme ils disent tous désormais là-bas, c’est le slogan de leur campagne et le titre de leur programme, «le courage de changer».
Du changement il y en eut bien, oui, le nom et la couleur ne sont plus les mêmes, les têtes ont changé et le programme a été modifié.
Du courage, il n’y en a pas tellement eu, pourtant, puisque ne rien faire menait le CDH à une mort lente, et un malade n’a pas de courage quand il prend le médicament qui le guérit.
Une position déjà vieille
Mais la position du nouveau parti dans le système francophone est tout sauf neuve. C’était déjà celle du CDH avant Les Engagés, et c’était déjà celle du PSC avant le CDH.
L’impression de radicalisation que donne, ces dernières années, le débat politique francophone, a renouvelé cet alignement trigonométrique. En effet, le lancement, en mars 2022, des Engagés avait été précédé de longues consultations et de minutieux sondages.
Ceux-ci avaient redessiné un espace au centre, mais pour une formation débarrassée d’une référence chrétienne encore moins nécessaire aujourd’hui qu’en 2002 lorsque le PSC devint le CDH. Un angle politique tracé pour une formation compassée, entre la tangente «droite camping-car» que revendique aujourd’hui le MR et le triangle équilatéral PS-Ecolo-PTB, dont les grandes propositions socioéconomiques sont assez similaires pour prendre un air de surenchère.
Au milieu, le parti régénéré devait se montrer nuancé, jamais dans ses propositions, mais toujours dans sa position relative, entre les autres. Les deux pôles s’invectivant mutuellement, chacun donne des arguments pour ne pas voter pour les autres, et les autres renchérissent en offrant des raisons de ne pas voter pour chacun. Au centre, convergence des repoussoirs respectifs, s’ouvre donc une manne. Le dernier baromètre Le Soir-RTL indique que le MR ne gagne pas de voix à taper si dur sur la gauche, que le PS et Ecolo souffrent de frapper si fort sur la droite, et que Les Engagés, avec le PTB, en profitent. Le sondage Kantar pour Le Vif, il y a quelques semaines, démontrait que les électeurs potentiels nets du parti de Maxime Prévot se trouvaient à peu près équitablement répartis partout ailleurs: 21% des électeurs potentiels du PS, 15,6% de ceux du PTB, 24,2% de ceux du MR et 19,5% de ceux d’Ecolo pourraient envisager, disaient-ils, de voter pour Les Engagés.
L’affichage d’une nuance intransigeante est la garantie de cette équidistance.
«Nous, comme formation centriste et universaliste, nous voulons réhabiliter la nuance et le courage de la nuance», affirmait d’ailleurs Maxime Prévot à l’inauguration, le 12 mars 2022, de sa nouvelle formation. Il n’y a ici non plus aucun courage à faire ce qu’il faut faire, surtout quand il s’agit de ne pas se laisser mourir. Et pour ne pas se laisser mourir, il faut sembler nuancé.
Mais il ne faut surtout pas l’être.
Des idées neuves
Comme quand on se prétend horizontal, ouvert et délibératif, mais que le président choisit tout seul les têtes de listes, et compose tout seul avec les têtes de listes le reste des listes. A cet égard, Les Engagés sont, et de très loin, la formation la plus verticale, la plus fermée et la moins délibérative de Belgique francophone, et aucun autre président que Maxime Prévot n’a autant eu de pouvoir sur son équipe.
Ou comme quand on compose son programme et qu’on en extrait les propositions phares.
Car il n’y a aucune nuance, en fait, dans ce qui a changé entre le CDH et Les Engagés. Les propositions qu’il porte pendant cette campagne sont même assez radicales. Elles vont aussi loin que notre prisme politique l’autorise. Elles vont même aussi loin que ce que notre prisme politique réclame.
Parce que les idées que porte le nouveau mouvement, celui qui affirme avoir eu le courage de changer, celui qui dit avoir le courage de la nuance, ne sont nuancées que quand elles n’ont pas changé, et n’ont changé que quand elles ne sont pas nuancées.
Et, dans tous les cas, les idées que promeut le parti qui affirme avoir eu le courage de sortir de sa zone de confort sont les idées systématiquement promues par de confortables majorités de concitoyens.
Aucun autre président que Maxime Prévot n’a autant eu de pouvoir sur son équipe.
Les Engagés n’ont, par exemple, pas renoncé à défendre un refinancement des soins de santé, et à s’opposer à une révision à la baisse de la norme de croissance des budgets qu’il faudra y consacrer, et le CDH le faisait déjà, comme le PSC avant lui. Cette thématique a toujours été centrale chez les centristes, et ce chapitre est à la fois le premier, le plus long (près de 40 pages, seul celui sur l’Europe, qui est un programme en soi, en compte plus) et le plus minutieux, donc le plus nuancé, des quelque 700 pages du programme 2024, intitulé donc «Le courage de changer», des Engagés.
Entre le programme 2019 du CDH et le programme 2024 des Engagés, ce qui a changé, par exemple au chapitre «Energie», c’est le rapport à l’énergie nucléaire. La sortie du nucléaire était «une opportunité sans précédent» pour les démocrates humanistes menés en 2019 par Maxime Prévot, tandis que le maintien de 25% de nucléaire, «une énergie essentielle», est fondamental dans le mixte énergétique dit des «quatre-quarts» (renouvelable, économies d’énergie, nucléaire et combustibles renouvelables) prôné par Les Engagés menés en 2024 par Maxime Prévot.
Il y a donc bien eu changement, il n’est pas spécialement nuancé, est-il seulement courageux?
Le maintien des réacteurs nucléaires, voire la construction de nouveaux, ont, les enquêtes d’opinion le prouvent depuis maintenant plusieurs années, les faveurs d’une majorité de Belges. Selon le sondage Kantar-Le Vif, 47,5% des francophones se montraient tout à fait ou plutôt d’accord avec la proposition de construire de nouvelles centrales, et 55% dans l’électorat potentiel net des Engagés, contre 31% qui y étaient plutôt ou tout à fait opposés (et 34% dans l’électorat potentiel net engagé).
Dans le programme 2024 des Engagés, celui qui s’intitule «Le courage de changer», ce qui est nouveau, et donc qui a changé, c’est que le parti de Maxime Prévot défend désormais la suppression des droits de succession, qualifiés de manière moyennement nuancée de «taxe sur la mort», «inefficaces», «discriminatoires» et «confiscatoires». C’est donc nouveau et ça a donc changé, mais ce n’est pourtant pas de la nuance, et est-ce seulement du courage? Les droits de succession sont de loin les impôts les plus impopulaires, à tel point que personne n’ose jamais les augmenter quand bien même ils accentueraient les inégalités de patrimoine, et une récente enquête commandée par un bureau spécialisé établissait que, lorsqu’on demandait aux Belges quel serait le taux idéal d’imposition sur l’héritage, six sondés sur dix répondaient 0%. Si bien que les hausser serait courageux, pas les baisser.
Sa salubre impulsion aura été d’oser entrer dans une zone de confort idéologique.
Ou bien ce qui a encore changé, dans «Le courage de changer», par rapport au programme précédent du parti précédant Les Engagés, c’est cette idée qu’il faut limiter à deux ans les allocations reçues après la perte de son emploi, et la proposition a changé et elle est nuancée, parce que pendant ces deux ans, l’allocation serait augmentée par rapport à ses niveaux actuels. Et après ces deux ans, si l’allocataire refuse l’emploi qui lui est proposé, il perdrait ses allocations et ça c’est moyennement nuancé, mais est-ce du courage seulement? La limitation à deux ans des allocations de chômage est si populaire que même les électeurs du PTB sont plus de 41% à être plutôt ou tout à fait d’accord, indiquait le sondage du Vif.
C’est ce qui fait, alors, que tout ce qui est nouveau chez Les Engagés de Maxime Prévot, par rapport au CDH de Maxime Prévot, est ce qui contribue à augmenter la popularité du parti de Maxime Prévot exactement comme toutes les enquêtes d’opinion le confirment depuis des années. Ainsi, aussi, mesure-t-on l’incroyable réussite de son son deuxième chef-d’œuvre, qui autorise le populaire bourgmestre de Namur à se draper du courage politique de changer quand sa salubre impulsion aura été d’oser entrer dans une zone de confort idéologique.
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