Pourquoi les 5 présidents de l’Arizona ne peuvent en principe pas devenir ministres
En Belgique, malgré quelques exceptions, l’habitude veut que les présidents de parti ne fassent pas partie d’un gouvernement. Les ambitions de réformes de l’Arizona justifieront-elles qu’on déroge à la règle?
Rester président de son parti ou intégrer le gouvernement, telle est la question. Au fédéral, les négociations devraient, idéalement, progresser de manière significative pour la fin du mois de janvier. C’est en tout cas l’ambition des cinq partis embarqués dans la configuration Arizona, regroupant le MR, Les Engagés, la N-VA, Vooruit et le CD&V. Le prochain rendez-vous au palais royal du formateur, Bart De Wever, a été fixé au 31 janvier. C’est probablement la date à laquelle les Belges sauront si cette coalition sera ou ne sera pas.
En attendant, bien que la plupart des partis affirment officiellement ne pas encore se pencher sur le casting, c’est tout naturellement que se pose la question de la composition de l’hypothétique futur gouvernement. Le président du MR, Georges-Louis Bouchez, a sa petite idée. De son point de vue, les présidents de parti devraient se mouiller, c’est-à-dire intégrer l’exécutif fédéral pour lequel ils auront eux-mêmes négocié l’accord, le cas échéant.
Le raisonnement n’est sans doute pas complètement saugrenu. Dès lors que les élections ont abouti sur une configuration politique assez limpide et que les partenaires comptent réformer, tout en s’engageant dans un effort budgétaire conséquent, il n’est pas insensé qu’ils aillent en personne au charbon. Cela leur permettrait d’assumer pleinement les termes de l’accord. Par ailleurs, la récente expérience de la Vivaldi a aussi démontré l’inconfort généré par la «particip-opposition», cette pratique qui consiste à conserver un pied dedans, un pied dehors et où les présidents, qui défendent la ligne de leur parti, ne se privent pas de temps à autre de désavouer quelque décision prise au gouvernement.
Cumuler ces fonctions, apparaissant comme incongru ici, est plutôt la norme ailleurs.
Toute comparaison avec des systèmes politiques différents, parce qu’on n’y pratique pas la coalition large comme en Belgique, a ses limites. Cependant, cumuler les fonctions de chef de gouvernement et de leader de sa formation politique, apparaissant comme incongru ici, est plutôt la norme ailleurs. On pourrait citer le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Espagne ou encore la Grèce.
Les statuts ne le permettent pas
A l’intérieur du parti libéral, l’idée de voir le président monter au gouvernement a donné lieu à quelques réactions sceptiques. Ouvertement, la députée européenne Sophie Wilmès, comme le ministre-président wallon Adrien Dolimont, ont déclaré qu’eux ne s’essaieraient pas à un tel cumul. Président de parti et (vice-Premier) ministre: chacun de ces rôles nécessite une implication à temps plein. Et accessoirement, les statuts de leur parti, tels qu’ils ont été votés en 2021, ne le permettent pas. Souhaite-t-il réellement exercer les deux fonctions en même temps ou laisserait-il la présidence de côté pour se concentrer sur le gouvernement? Georges-Louis Bouchez se positionnera au moment où la question se posera réellement, indique-t-on de toute façon au MR.
Voilà l’obstacle qui se présenterait à n’importe quel président de parti qui souhaiterait intégrer un gouvernement: les statuts de toutes les formations ayant déjà participé à des coalitions gouvernementales l’interdisent, d’une manière ou d’une autre, du MR à Ecolo, en passant par DéFI, le CD&V, Vooruit ou le PS. Cela ne signifie pas que des dérogations éventuelles ne pourraient être accordées ou que les statuts ne pourraient connaître une modification ad hoc. Mais assurément, le cumul président/ministre ne fait pas partie des usages.
S’il se confirme qu’il devient Premier ministre, Bart De Wever sera confronté à la même situation. Les ministres, secrétaires d’Etat, présidents de parlement et chefs de groupe parlementaire ne peuvent pas faire partie du bureau exécutif du parti, détaillent les statuts de la formation nationaliste. S’il accède bien au 16 rue de la Loi, l’Anversois devra être remplacé à la présidence.
Concernant Les Engagés, l’autre formation francophone de l’Arizona, les statuts sont aussi limpides que ceux du MR: il y a incompatibilité entre la fonction de président et un mandat de membre d’un exécutif fédéral, régional, communautaire ou provincial. La décision appartient à Maxime Prévot, qui s’exprimera en temps voulu à ce sujet, déclare-t-on au sein du mouvement. Rappelons que son parti a également enregistré une nette progression aux élections communales à Namur, où il a personnellement supplanté toute la concurrence. Ce plébiscite local pourrait aussi peser en son for intérieur au moment de sceller son propre sort.
«Olivier Chastel était prié de tenir la boutique, mais l’homme fort du parti restait bien Charles Michel.»
Charles Michel, une exception
Dans l’histoire politique récente, quelques grandes figures ont toutefois choisi de conserver la présidence de leur parti tout en intégrant un exécutif, à chaque fois dans des circonstances spécifiques. En revanche, pratiquement aucun Premier ministre ne s’y est essayé.
«Le seul cas qui, vraiment, fait exception dans l’histoire politique belge est celui de Charles Michel, qui a volontairement repris la présidence du MR alors qu’il était Premier ministre», précise Jean Faniel, directeur général du Crisp, le centre de recherche et d’information socio-politiques.
Paul Vanden Boeynants, devenant Premier ministre en mars 1966, avait bien conservé la présidence du parti social-chrétien pour quelques semaines, avant que Robert Houben le remplace. Le parti avait éprouvé quelques difficultés à organiser la succession. Guy Verhofstadt, en 2004, avait repris les rênes du VLD pendant quelques jours alors qu’il était Premier ministre, à la suite d’un conflit interne avec son président, Karel De Gucht. Président et Premier s’étaient écharpés autour du droit de vote des étrangers. Rapidement, les libéraux flamands étaient convenus que la situation n’était pas adéquate, si bien que Guy Verhofstadt fut rapidement délesté de la présidence pour être remplacé par un intérimaire, Dirk Sterckx.
Ces deux situations très éphémères s’étaient présentées dans des moments de crise, l’intention consistant à vite passer le flambeau.
A peine Premier ministre, en 2014 donc, Charles Michel avait été remplacé par Olivier Chastel à la tête du MR. «Disons qu’Olivier Chastel était prié de tenir la boutique, mais l’homme fort du parti restait bien Charles Michel», recadre au passage Jean Faniel. Une fois encore, rien de bien révolutionnaire. Trois ans plus tôt, Thierry Giet avait accédé à la présidence du PS pendant qu’Elio Di Rupo devenait Premier ministre, dans un canevas pas tellement différent du «bon petit soldat». Bien d’autres exemples similaires pourraient être évoqués.
Mais en février 2019, Olivier Chastel choisissait de se consacrer à la campagne pour les élections européennes. Charles Michel redevenait président du MR, tout en étant Premier ministre d’un gouvernement –ce n’est pas un détail– en affaires courantes, suite à la défection de la N-VA.
En novembre de la même année, dans le contexte du départ de Charles Michel pour la présidence du Conseil européen, c’est Georges-Louis Bouchez qui a été élu à la tête des libéraux. Il occupe toujours le poste et, fort de 96% des voix recueillies l’été dernier lors de sa réélection, il ne compte pas forcément le quitter.
Di Rupo, Reynders, Milquet
«A côté de ce cas un peu unique, jusqu’ici, de Charles Michel, d’autres situations ont donné lieu à des cumuls, le plus souvent dans des contextes assez spécifiques. Par exemple parce qu’on n’avait pas trop le choix ou pour un temps délibérément limité», explique le directeur du Crisp. Ainsi, Elio Di Rupo était ministre-président wallon depuis quelques semaines lorsqu’il est devenu président du PS, à la fin de l’été 1999. «Mais il avait d’emblée annoncé qu’il ne resterait que pour quelques mois à la tête du gouvernement wallon.» Six ans plus tard, en 2005, secoué par les «affaires» du PS carolo, Jean-Claude Van Cauwenberghe démissionne de la ministre-présidence wallonne. Elio Di Rupo reprend du service, tout en étant président de son parti, dans ce qui apparaît comme un cas de force majeure.
Il a pu arriver, à l’une ou l’autre reprise, qu’un ministre –éventuellement vice-Premier– du gouvernement fédéral soit également président de son parti. Ce fut le cas de Didier Reynders (MR), entre 2004 et 2011, et de Joëlle Milquet (CDH, actuellement Les Engagés) entre 2008 et 2011.
Le kern, une zone tampon
Le risque, alors, consiste à concentrer trop de pouvoir sur sa seule personne. Ou trop de fonctions, tout simplement, pour un seul être humain. Les deux casquettes sont intriquées, pour le meilleur comme pour le pire. Une fronde interne au parti risque de fragiliser la personne au gouvernement, un désaveu gouvernemental risque de la discréditer en interne.
Surtout, l’exécutif fédéral s’est structuré ces dernières décennies autour du fonctionnement du kern comme lieu central de pouvoir. Ce comité ministériel restreint rassemble, grosso modo, le Premier ministre et les vice-Premiers ministres. Or, l’habitude a été prise de doter le gouvernement fédéral d’un vice-Premier issu de chacune des formations de la coalition. Cette règle tacite implique que le Premier ministre est censé être un peu au-dessus de la mêlée. Dans cette configuration, les vice-Premiers, selon leur personnalité et leurs possibilités, forment une sorte de courroie de transmission entre la tête de leur parti et le kern. Ils peuvent jouer les «tampons», comme le dit Jean Faniel, entre les velléités du parti et les compromis gouvernementaux. C’est probablement une des principales qualités de ce mode de fonctionnement qui est d’usage au fédéral.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici