Aux dernières fêtes de Wallonie, l'ancien député wallon Front national Jean-Pierre Borbouse a moins «troublé» la fête que Tom Van Grieken, le président du Vlaams Belang. © RTBF

Pourquoi le Vlaams Belang et le RN parrainent le petit parti Chez Nous

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Toute l’extrême droite européenne, mais surtout la flamande du Vlaams Belang et la française du Rassemblement national, mise sur un nouveau parti fondé par deux anciens du PP et baptisé Chez Nous.

Samedi 16 septembre, Tom Van Grieken part de chez lui et transforme chez nous la cérémonie officielle des Fêtes de Wallonie en scandale. Il était là, au dernier rang, au Théâtre royal de Namur, costume bleu cintré et componction de rigueur, comme spectateur des discours du président du parlement wallon, André Frédéric (PS), et du ministre-président, Elio Di Rupo. C’est le parlement wallon qui invite, et, comme les membres de tous les bureaux de toutes les autres assemblées de Belgique, Tom Van Grieken, comme vice-président de la Chambre des représentants, a reçu son bristol. Mais dans une région qui s’enorgueillit de la protection de son cordon sanitaire, la présence du président du Vlaams Belang a « troublé la fête », selon un André Frédéric embarrassé.

Chez Nous veut faire ici ce qui a été réussi chez eux, en Flandre, mais aussi en France, en Allemagne, en Suède et aux Pays-Bas.

A sa droite, la présence d’un invité n’a pas fait polémique. Cravate rouge et bras de chemise, Jean-Pierre Borbouse, pourtant, n’est pas moins concerné par le cordon sanitaire que son illustre voisin. Ancien député wallon du Front national francophone, et ancien conseiller communal carolorégien, il est aujourd’hui président de l’asbl Nation Europe et du groupusculaire Parti National Européen.

Ce n’est pas un hasard s’ils se sont retrouvés côte à côte. Les deux hommes, l’un depuis la Flandre, l’autre depuis un petit local de la chaussée de Montignies à Gilly, incarnent la tentative de résurrection de l’extrême droite en Belgique francophone.

En Wallonie, plus précisément: les « patriotes », faute d’une conscience nationale sur laquelle s’appuyer, y importent l’expertise, les doctrines et les méthodes de l’internationale nationaliste.

C’est toute l’histoire du petit parti Chez Nous, que Tom Van Grieken et beaucoup de ses homologues étrangers parrainent, et que Jean-Pierre Borbouse et pas mal de ses camarades wallons, avertis de ce prestigieux parrainage, ont ensuite rejoint.

Tisser des liens

Car depuis sa fondation, Chez Nous veut faire ici ce qui a été réussi chez eux, en Flandre, mais aussi en France, en Allemagne, en Suède et aux Pays-Bas. Et chez eux, on semble convaincu que Chez Nous peut y parvenir.

C’est en tout cas ce que pense le Bruxellois Jérôme Munier, son président. Son évolution personnelle, et de subtiles modifications de la ligne de sa jeune formation, illustrent bien celles d’une droite radicale européenne qui, parfois à partir des partis traditionnels, s’est radicalisée. Consultant dans le privé, Jérôme Munier, 40 ans, fut parmi les premiers membres du Parti Populaire de Mischaël Modrikamen et Rudy Aernoudt.

Il l’a quitté en 2011, dénonçant une « dérive raciste », a rejoint le MR, pour lequel il a été candidat aux communales de 2012 à Woluwe-Saint-Lambert, avant de revenir au PP, d’y rediriger les jeunes et de s’occuper notamment de tisser des liens avec le Rassemblement national français, puis de le quitter pour rejoindre les Listes Destexhe à leur fondation début 2019.

C’est au PP que Jérôme Munier a rencontré un autre quadra, cofondateur de Chez Nous, Gregory Vanden Bruel. Diplômé en journalisme et en sciences politiques de l’ULB, où il fonda une section étudiante du CDH, il a ensuite été happé par le Parti Populaire.

Il fut rédacteur en chef de Le Peuple, le journal en ligne lancé par Mischaël Modrikamen, qui avait repris la propriété du titre du vieux quotidien Parti ouvrier belge (POB), et attaché parlementaire du député wallon PP André-Pierre Puget.

Il est aujourd’hui au cœur du réseau des extrêmes droites continentales puisqu’il est salarié du Parti Identité et Démocratie/Identity and Democracy Party, la formation européenne largement financée par l’Union, et composée notamment du Rassemblement national, du Vlaams Belang, de la Lega italienne, du FPO autrichien, du PVV néerlandais et des Portugais de Chega.

Lorsqu’en décembre 2017, ils constituent l’asbl Chez Nous, Jérôme Munier et Gregory Vanden Bruel ne sont plus au Parti Populaire, dont ils ont critiqué le virage eurosceptique.

Ce virage a été largement imposé par les financements que recevait le parti de Mischaël Modrikamen d’une fédération européenne de petites formations, de l’Ukip (UK Independence Party) à Debout la France. Les cofondateurs l’ont en tête lorsqu’ils explicitent, à l’article 4 des statuts déposés au moniteur, le but de leur asbl, « promouvoir en toute indépendance les valeurs libérales et conservatrices ». Trois ans plus tard, le Parti Populaire et les Listes Destexhe ont disparu après leur échec au scrutin de mai 2019.

Et les deux cofondateurs dissolvent l’asbl Chez Nous pour en fonder une autre, toujours à l’adresse everoise de Jérôme Munier. Elle s’appelle La Ruche, et l’article 4 des statuts est le seul à avoir été modifié. Il porte, cette fois, que le but de l’asbl est de « promouvoir en toute indépendance les valeurs européennes ». Jérôme Munier la préside toujours, mais Gregory Vanden Bruel n’en est plus administrateur.

Une ancienne députée wallonne du MR, puis des Listes Destexhe, Patricia Potigny, aujourd’hui conseillère communale indépendante à Montigny-le-Tilleul, le remplace comme vice-présidente. Pendant ces trois années, Gregory Vanden Bruel et Jérôme Munier ont multiplié les contacts avec les grands partis voisins, justifiant le changement formel de leur statutaires valeurs.

Ils ont, en particulier, tissé des liens avec le Rassemblement national et le Vlaams Belang.

Gregory Vanden Bruel et Jérôme Munier (au centre), cofondateurs de Chez Nous, entourés de leurs copains d'extrême droite Tom Van Grieken (VB, à g.) et Jordan Bardella (RN, à dr.).
Gregory Vanden Bruel et Jérôme Munier (au centre), cofondateurs de Chez Nous, entourés de leurs copains d’extrême droite Tom Van Grieken (VB, à g.) et Jordan Bardella (RN, à dr.). © belgaimage

Un moment refondateur

Les cofondateurs, un jour, se sont trouvés devant Tom Van Grieken, au siège du Vlaams Belang, sur la place Madou, et leur PowerPoint a fini de convaincre le jeune président flamand. Jérôme Munier, quelques semaines plus tard, a traversé la frontière pour se rendre au siège du Rassemblement national, où l’attendaient Marine Le Pen et un collaborateur.

En novembre 2021, ils ont officiellement lancé leur mouvement lors d’une conférence de presse un peu absurde, dont le lieu fut tenu secret, puis annoncé en région liégeoise, puis délocalisé à Petit-Enghien, en Wallonie picarde.

Derrière une table à quatre chaises, des bannières portaient le logo de Chez Nous: une abeille, les alvéoles qui rappellent une ruche, et au sommet de la plus haute d’entre elles, une petite croix qui rappelle l’église censée rester au milieu de nos villages.

Et les quatre chaises portaient de cardinaux fondements : Tom Van Grieken, président du Vlaams Belang, à la droite de Jérôme Munier, et Jordan Bardella, président du RN. Le lendemain de cette conférence de presse, Jérôme Munier était contacté par Jean-Pierre Borbouse.

Ce dernier a, depuis, fondu son Parti National Européen au creuset de Chez Nous. Et Alain Destexhe a déjà plusieurs fois témoigné de son soutien à l’initiative.

Le bénéfice de cet investissement international est énorme.

Ce moment fut, pour l’extrême droite en Belgique francophone, ou plus précisément en Wallonie, un moment refondateur. Après ça, chaque congrès annoncé par Chez Nous, souvent interdit par crainte de troubles à l’ordre public par les bourgmestres concernés, mais tenu quand même, dans l’espace public ou dans de petites salles improvisées, rassemblant tout au plus quelques poignées de militants, est agrémenté de la présence de personnalités prestigieuses de l’extrême droite européenne. Le 30 septembre dernier, à Fleurus, sur le trottoir devant l’hôtel de ville, c’est ainsi Maximilian Krah, future tête de liste de l’AfD allemande aux élections du 9 juin, qui était de service.

Copié-collé du Belang

Le bénéfice de cet investissement international, pour Chez Nous et ses cofondateurs, est énorme. Chez Nous a contractuellement le droit d’utiliser la flamme tricolore du Rassemblement national, et aucune autre formation ne pourra utiliser cette marque, ni le nom de Front national, sur le territoire belge. Et le Vlaams Belang ne s’est pas seulement engagé à ne pas présenter de listes aux législatives dans les provinces wallonnes. Il dispense surtout de fructueux conseils en communication à son filleul francophone.

On se rappelle combien les campagnes numériques du Belang eurent, en mai 2019, une influence apparemment décisive sur le grand succès de l’extrême droite flamande.

Ces conseils, presque hebdomadaires selon Jérôme Munier, donnent aux publications, qu’on croirait directement copiées-collées de celles du Belang (même graphie, mêmes thèmes, même langage) de Chez Nous sur les réseaux sociaux (Facebook, Instagram et TikTok surtout) un impact bien plus important que n’en ont celles des partis francophones disposant d’une représentation parlementaire, PTB excepté.

L’argent qui sert à promouvoir ces publications provient, selon Jérôme Munier, des cotisations des quelques membres et des économies de ses rares cadres. Ni le Belang, ni le RN, ni leur fédération européenne, ne financent leurs petits Belges.

Cela ne leur coûte rien.

Cela rapporte peu au RN, hormis une certaine tranquillité. Pendant les décennies 1990 et 2000, il a dû multiplier les procès contre de multiples acteurs belges qui s’étaient approprié la marque lepéniste.

Cela rapportera probablement au Vlaams Belang, qui, en échange de son soutien, s’est assuré l’exclusivité de la droite radicale sur le terrain régional bruxellois en juin 2024 : Chez Nous ne se présentera ni aux régionales ni aux fédérales dans la capitale.

En 2019, les Listes Destexhe et le Parti Populaire avaient rassemblé seize mille électeurs francophones aux régionales, mais n’avaient obtenu aucun député.

Avec 5 800 voix dans le collège flamand, le Belang avait remporté un seul siège. Un transfert de voix efficace ferait de lui, et de loin, le premier parti flamand du parlement régional.

Le Vlaams Belang se sentirait alors comme chez lui sans Chez Nous.

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