Pourquoi le MR et Les Engagés n’ont pas osé interdire le voile dans la fonction publique: «Cette question doit être appréhendée différemment selon les lieux»
Série | Tous les tabous wallons ne sont pas tombés (2/10). Malgré les «coudées franches» du MR et des Engagés, les nouveaux accords de gouvernements sont très discrets sur la question de l’interdiction des signes convictionnels dans la fonction publique.
Le contexte
«Faire tomber les tabous.» En présentant la Déclaration de politique régionale (DPR) et la Déclaration de politique communautaire (DPC), les deux formateurs/présidents de parti Georges-Louis Bouchez (MR) et Maxime Prévot (Les Engagés) ont rivalisé dans les déclarations ambitieuses. Les socialistes et les écologistes, battus, sont relégués dans l’opposition, et ne pourront pas les empêcher de mettre en œuvre un programme de réformes salué par tous les éditorialistes et auquel aspire une majorité de l’électorat francophone. Jamais le centre et la droite n’ont eu autant «les coudées franches» à la Région et à la Fédération Wallonie-Bruxelles. Pourtant, certains engagements (ré-)novateurs, beaucoup d’ambitions innovantes et quelques promesses de campagne disruptives ne devraient pas, à la lecture de la DPR et de la DPC, se réaliser. Voici les tabous que le MR et Les Engagés n’ont pas osé faire tomber.
C’est une surprise de taille à la lecture des Déclarations de politique régionale et communautaire (DPR et DPC), vu l’ampleur médiatique et politique qu’avait pris cet enjeu de la neutralité d’apparence dans les services publics. Le Centre d’action laïque (CAL), d’ailleurs, a évoqué à cet égard une «réelle déception». Le précédent gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles avait autorisé le port des signes convictionnels (surtout du voile islamique) dans les établissements d’enseignement supérieur et de promotion sociale de son réseau, et le président du MR s’en était insurgé.
Les communes, sur lesquelles la Région a la tutelle, se positionnent comme elles le souhaitent, et plusieurs parlementaires du MR, à la suite du Centre d’action laïque notamment, avaient réclamé une interdiction généralisée du port de signes convictionnels dans la fonction publique communale, que l’agent(e) soit en contact avec le public ou pas. A la Fédération Wallonie-Bruxelles (mais pas seulement), le Code de déontologie des fonctionnaires ne leur interdit pas expressément, et certain(e)s, le portent donc toujours aujourd’hui. Pourtant, la seule clarification annoncée pour ces cinq prochaines années ne porte que sur un secteur très spécifique, par ailleurs très peu concerné aujourd’hui puisque le voile y est déjà proscrit dans pratiquement tous les règlements d’ordre intérieur.
«Le gouvernement interdira par décret le port de signes convictionnels à tous les enseignants de l’enseignement obligatoire du réseau officiel, à l’exception des professeurs de religion», lit-on à la page 14 de la DPC. Et dans la DPR comme dans la DPC, le chapitre (qui est le même dans les deux déclarations) consacré aux fonctionnaires, sous l’intitulé «Une fonction publique neutre, inclusive et exemplaire» n’aborde pas la neutralité d’apparence et donc pas les signes convictionnels, qui étaient pourtant promis à être interdits une bonne fois pour toutes. Pour le traduire clairement: là où il n’est pas explicitement interdit, le voile restera autorisé dans les cinq prochaines années en Wallonie et en Fédération Wallonie-Bruxelles. Une ligne ou deux auraient suffi dans les accords de gouvernements. Elles n’ont pas été tracées.
«En l’espèce, une interdiction claire du port des signes convictionnels pour tout agent de la fonction publique aurait été la bienvenue, ce n’est pas le cas», déplore le CAL. «Cette question est appréhendée d’une manière différente selon les lieux. Ce qui peut exister à Bruxelles ne se présente pas nécessairement dans une commune du fin fond du Luxembourg», justifie Jean-Paul Wahl (MR), député wallon depuis 1995 et doyen du nouveau Parlement.
Le voile: «C’est un sujet tellement délicat»
«C’est un sujet tellement délicat de dire à partir de quand il y a signe convictionnel ou pas. Et ce n’est pas quelque chose qui m’empêche de dormir…», poursuit-il. Avant de philosopher un peu sur ce thème souvent polémique: «C’est une réflexion purement personnelle, dans un domaine qui permet une certaine liberté de parole, mais moi, je ne suis pas choqué si quelqu’un porte un médaillon avec une croix… Jamais ça ne me dérangerait d’être face à un fonctionnaire communal qui en porterait. Tant que ce n’est pas ostentatoire, qu’on reste dans la limite de ce qui n’est pas choquant pour les gens. Si on prend l’exemple de ma commune, Jodoigne, dont j’ai été bourgmestre pendant 20 ans, je n’ai jamais rencontré le moindre problème. Il faut être très prudent en la matière, ne pas tomber dans les excès inverses. Je suis partisan de l’absence de tout signe convictionnel à partir du moment où ils sont ostentatoirement et délibérément portés pour marquer une opinion. Mais tant que ça reste dans les limites du raisonnable et de l’acceptable, d’un lieu à l’autre, il faut être prudent. Tout ça est une question de bon sens», conclut Jean-Paul Wahl.
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