Pourquoi le MR et Les Engagés n’ont pas osé en finir clairement avec le pouvoir syndical: «On ne réformera pas la Wallonie sans les syndicats»
Série | Tous les tabous wallons ne sont pas tombés (6/10). Malgré les «coudées franches» du MR et des Engagés, les nouveaux accords de gouvernements n’excluent pas explicitement les organisations syndicales de tous les organes de gestion et de consultation wallons et francophones: elles y auront même un rôle «plus stratégique »…
Le contexte
«Faire tomber les tabous.» En présentant la Déclaration de politique régionale (DPR) et la Déclaration de politique communautaire (DPC), les deux formateurs/présidents de parti Georges-Louis Bouchez (MR) et Maxime Prévot (Les Engagés) ont rivalisé de déclarations ambitieuses. Les socialistes et les écologistes, battus, sont relégués dans l’opposition, et ne pourront pas les empêcher de mettre en œuvre un programme de réformes salué par tous les éditorialistes et auquel aspire une majorité de l’électorat francophone. Jamais le centre et la droite n’ont eu autant «les coudées franches» à la Région et à la Fédération Wallonie-Bruxelles. Pourtant, certains engagements (ré-)novateurs, beaucoup d’ambitions innovantes et quelques promesses de campagne disruptives ne devraient pas, à la lecture de la DPR et de la DPC, se réaliser. Voici les tabous que le MR et Les Engagés n’ont pas osé faire tomber.
«On ne fait pas de politique pour plaire aux syndicats», a déclaré Maxime Prévot dans son interview du 13 juillet au Soir, et le moins que l’on puisse dire c’est que les organisations syndicales ont pris la constitution des gouvernements MR-Engagés avec circonspection. Les Engagés se sont, pensent-ils, droitisés. Tandis que le MR est, politiquement et idéologiquement aussi bien, si l’on peut dire, que sociologiquement, leur adversaire depuis des décennies.
On ne compte plus les insultes qui ont été échangées entre la FGTB et le MR, et on sait déjà qu’entre les prochains gouvernements wallon et francophone et les représentants du monde du travail, les occasions de se confronter ne manqueront pas.
En Belgique, les syndicats, comme les organisations patronales, sont associés à à peu près toutes les décisions politiques depuis toujours. C’est le cas en Flandre aussi, où la FGTB et la CSC sont tout aussi actives dans les structures publiques d’emploi et de formation qu’en Wallonie ou à Bruxelles par exemple. Mais la campagne ayant été ce qu’elle est, les résultats de l’élection ayant été ce qu’ils sont et la Wallonie étant ce qu’elle est, toutes les structures wallonnes, et en particulier le Forem, appelé à une large transformation, verront à coup sûr l’influence syndicale se réduire. La Déclaration de politique régionale (DPR) prévoit d’ailleurs l’ouverture au privé d’une série d’institutions et d’initiatives (les missions régionales pour l’emploi-Mirec, notamment).
Néanmoins, les termes employés dans la DPR sont beaucoup moins francs que ceux proclamés en campagne et même que ceux prononcés en conférence de presse par Maxime Prévot et Georges-Louis Bouchez.
Donner aux syndicats un rôle «plus stratégique»
La page 38 de la DPR annonce en effet que «les mécanismes indispensables de consultation avec les partenaires sociaux seront revus pour les rendre plus stratégiques et éviter la multiplication des lieux et points de rencontre (Forem, CESE Wallonie, GPSW). Le cas échéant, le décret organique du Forem sera revu dans ce sens.» Autrement dit, le MR et les Engagés auraient pu, d’un trait de plume, exclure les syndicats de tous les «lieux et points de rencontre» possibles et imaginables. Mais ils ont choisi de ne pas user de leur avantage. Ou pas trop vite. Et de leur promettre un rôle (encore) plus stratégique. Histoire de ne pas commencer la bagarre trop tôt, et surtout histoire de se laisser l’occasion de la feuilletonner, sur les courageux innovateurs aux prises avec des défenseurs des privilèges d’un autre temps. Le storytelling a déjà commencé sur la nomination des enseignants, et on en lira à coup sûr de nombreux autres épisodes dans les cinq années qui viennent.
Député wallon et chef de cabinet de Pierre-Yves Jeholet à la ministre-présidence de la Fédération Wallonie-Bruxelles, Fabian Culot (MR) conteste toute ambition de cet ordre chez les formateurs des prochains gouvernements MR-Engagés. «Ah non! Dans une démocratie libérale, la place des syndicats est une place importante! Ca fait partie du pluralisme, ça fait partie du débat, particulièrement dans un processus de concertation. Mais ils ont peut-être moins leur place dans un processus de décision. Je l’ai constaté comme chef de cabinet, le rôle qu’on a donné aux syndicats dans la mise en oeuvre du pacte d’excellence au sein du comité de concertation a fini par être ressenti comme un rôle de codécision, et eux-mêmes ont quitté la table, parce qu’ils en avaient marre d’être considérés par leur base comme des corédacteurs de réformes difficiles. A force de leur donner la plume, ça nuit à leur propre action… Mais on ne réformera pas la Wallonie sans les syndicats. C’est toutefois chacun sa place, et il appartient au gouvernement et au parlement de trancher lorsqu’il y a un débat de politique publique», conclut-il, impatient de débattre et sans doute encore plus impatient de trancher. Il sera en effet plus que probablement le chef de cabinet de Pierre-Yves Jeholet, méga-ministre wallon de l’Economie et de l’Emploi.
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