Aux élections de mai 2019, Paul Magnette était tête de liste à l’Europe et Elio Di Rupo tête de liste dans le Hainaut. Ils inverseront les rôles en juin 2024.

Pourquoi la confection de la liste PS dans le Hainaut fait grincer des dents (analyse)

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

La confection de la liste PS dans le Hainaut, dont Le Vif révèle les noms, et que mènera Paul Magnette dans le « combat des chefs » contre Bouchez et Nollet, fait grincer quelques dents. Surtout à Thuin…

C’est la plus grande circonscription ­francophone, et s’y livrera la bataille du Hainaut, celle où s’affronteront les présidents des trois partis francophones de la Vivaldi.

Paul Magnette (PS), Georges-Louis Bouchez (MR) et Jean-Marc Nollet (Ecolo) y mèneront les listes de leurs partis respectifs aux élections législatives. Le 9 juin prochain, le Hainaut et ses quelque 950 000 électeurs enverront 17 députés à la Chambre. C’est un de moins qu’en 2019. En raison de l’adaptation aux évolutions démographiques, la circonscription du Hainaut ainsi que celle de Liège ­perdront un parlementaire dès la nouvelle législature fédérale, au profit de celles de Bruxelles et de Namur, et les places seront encore plus chères que d’habitude.

Pour le PS et son président, Paul Magnette, en particulier, l’enjeu est pesant sur les plans collectif et personnel. Du bassin de l’Escaut à la vallée de la Sambre, la province de Hainaut, avec ses trois anciennes régions minières – le Centre, le Borinage et Charleroi –, a en effet ­toujours été un bastion socialiste.

La province de Hainaut, avec ses trois anciennes régions minières – le Centre, le Borinage et Charleroi –, a en effet ­toujours été un bastion socialiste.

En 2019, la liste menée par Elio Di Rupo (125 000 voix de préférence) remportait 34 % des suffrages, pour huit sièges, et ce fut une historique défaite. En 2014, Elio Di Rupo, Premier ministre sortant, attirait 182 000 voix de préférence et neuf députés socialistes oblitéraient leur billet pour la Chambre. En 2010, date de sa dernière victoire, le PS récoltait dans le Hainaut plus de 48 % des suffrages, 202 000 électeurs cochaient le nom d’Elio Di Rupo, et onze députés socialistes s’en allaient siéger au Parlement. Avec un siège de moins pour la circonscription l’an prochain, et un parti de gauche de plus, le PTB, comme concurrent, le président du PS sait qu’il ne peut plus oser rêver à ce raz-de-marée.

La liste de 2010, avec le Montois Elio Di Rupo en tête, le Picard Rudy Demotte en dernier effectif et le Thudinien Paul Furlan en queue de suppléance, avait des airs de dream team. Le quadrillage de ce vaste territoire ne pourra pas, en juin prochain, être aussi efficace, parce que les élections régionales simultanées imposeront une dispersion de figures populaires dans les quatre arrondissements électoraux wallons (les listes PS y seront menées par des hommes uniquement, le Binchois Laurent Devin dans le Centre, le bourgmestre d’Ath Bruno Lefèbvre en Wallonie picarde, celui de Mons, Nicolas Martin, à Mons-Borinage, et Thomas Dermine, dont ce sera le baptême électoral, à Charleroi). Ces têtes de liste, avec toutes les autres, dans les six circonscriptions fédérales, à la Région bruxelloise, dans les onze arrondissements wallons et à ­l’Europe, seront présentées en meeting le 17 décembre à Seraing. Pour le Hainaut, un congrès provincial officialisera les ­éligibles à Morlanwelz, le 16. Elio Di Rupo, on le sait depuis quelques mois déjà, tirera la liste européenne.

Pas de Di Rupo en renfort-urnes

Le ministre-président wallon aurait, pensent plusieurs socialistes inquiets, été plus utile à sa formation sur la liste fédérale hainuyère, car chaque siège y comptera dans les futures négociations fédérales. Mais il a, depuis plusieurs années déjà, manifesté auprès de son président sa préférence pour l’Europe. Paul Magnette, s’ennuient les mêmes socialistes, n’a pas insisté. La retraite continentale d’Elio Di Rupo consacre une ambition du même ordre pour l’homme au nœud papillon. Fin 2024, la présidence du Comité européen des régions sera vacante, et elle pourrait échoir à un ­socialiste. Elle intéresse Elio Di Rupo, longtemps vice-président de l’Internationale socialiste. Paul Magnette, fort actif dans les structures partisanes européennes, ­évidemment, le soutiendra.

Notons que cette assemblée n’est pas accessible aux députés européens, mais bien aux présidents de régions, ce qu’est encore Elio Di Rupo, et aux conseillers communaux, ce qu’il est toujours et ce qu’il sera encore probablement après les communales d’octobre 2024. Cet espoir ne serait donc pas incompatible avec une place sur la liste fédérale. Or, face aux quelques tensions géopolitiques que la composition de l’équipe hainuyère suscite, il s’est à plusieurs reprises montré disponible pour un renfort-urnes, l’équivalent électoral du renfort-caisse. Il n’en sera rien. Probablement, au fond, cela l’arrange-t-il. Mais son absence en perturbe certains car elle pourrait coûter un siège ou deux, ­éventuellement le leur.

Venons-y.

Cinq fédérations socialistes balisent le territoire hainuyer, par ordre d’importance en nombre de militants : ­Mons-Borinage, la Wallonie picarde, Charleroi, le Centre et Thuin. Depuis 2003, Elio Di Rupo, à la fois indétrônable président du parti et représentant de la plus puissante fédération provinciale, a toujours mené les troupes aux élections législatives dans le Hainaut, et c’était doublement logique. Que le Carolorégien Paul Magnette le fasse à sa place n’a rien d’illogique non plus. Il est aujourd’hui le socialiste le plus populaire en Belgique francophone, il a récolté, comme tête de liste européenne, 120 000 voix de préférence sur le territoire du Hainaut en mai 2019, il sera tête de liste au scrutin fédéral, qui est le niveau de pouvoir le plus important pour le PS, et personne ne trouve ça anormal. Mais sa fédération n’est pas la plus grosse du Hainaut.

Ludivine Dedonder, tournaisienne et ministre de la Défense, sera deuxième sur cette liste fédérale, et personne ne trouve ça anormal non plus, tant elle a su se construire une popularité depuis son ministère. Mais sa fédération n’est pas la plus grosse du Hainaut non plus.

Aucun Thunidien éligible

La plus grosse fédération du Hainaut (plus de 30 % des adhérents PS de la province y cotisent), avec ça, devait, en quelque sorte, passer son tour deux fois. Son président, le bourgmestre de Mons, Nicolas Martin, a habilement négocié les compensations, et dans la bagarre d’avant la bataille du Hainaut, les plus p’tits, en particulier ceux de la fédération de Thuin, se sont retrouvés spotchîs comme toudi.

Dans la bagarre d’avant la bataille du Hainaut, les plus p’tits, en particulier ceux de la fédération de Thuin, se sont retrouvés spotchîs comme toudi.

Dans une récente réunion, à laquelle participaient Paul Magnette et les présidents fédéraux, Nicolas Martin a suggéré qu’on applique une clé D’Hondt croisant nombre de militants et nombre d’électeurs, plutôt que la traditionnelle alternance stricte, pour attribuer les places suivantes, et cette suggestion a été validée. En conséquence, les Monto-Borains disposeront des deux positions suivantes sur la liste, plutôt que d’une seule. Et ces troisième et quatrième candidats seront probablement les deux derniers à profiter de la dévolution des votes en case de tête, autant dire les deux seuls qui seront élus à coup sûr. Ces deux-là seront, comme ­troisième, le populaire bourgmestre d’Hensies et député fédéral depuis 2007 Eric Thiébaut, et, comme quatrième, la jeune présidente du CPAS de Mons, Marie Meunier.

Marie Meunier, 31 ans, présidente du CPAS de Mons, figurera à la quatrième
place sur la liste PS dans la circonscription du Hainaut.

Derrière, les sortants et les aspirants députés seront donc livrés à l’impitoyable concurrence des voix de préférence. La fédération du Centre poussera deux candidats, les députés sortants Patrick Prévot, de Soignies, cinquième, et Laurence Zanchetta, de La Louvière, sixième. Le deuxième candidat de l’arrondissement de Charleroi, alors, ne se trouvera que septième. Il est prévu que ce soit Hugues Bayet, bourgmestre de Farciennes et lui aussi député fédéral.

En huitième place seulement figurera Virginie Gonzalez Moyano, bourgmestre d’Anderlues, présidente de la fédération de Thuin, et qui, en 2019, avait raté l’élection au parlement de Wallonie pour quelques dizaines de voix. Aucun Thudinien ne serait en position éligible, puisque la première suppléance, qui garantit pratiquement un siège, devrait échoir à une Picarde – on parle de la députée wallonne mouscronnoise Fatima Ahallouch, alors qu’elle avait permis en 2019 à Philippe Tison, lui-même ancien bourgmestre ­d’Anderlues, ancien président de la fédération de Thuin et conjoint de Virginie Gonzalez Moyano, de siéger à la Chambre. Le deuxième suppléant sera carolorégien, et peut-être les instances feront-elles un geste vers leur petit voisin du sud.

Autre député sortant, actuel bourgmestre d’Estaimpuis et donc picard éminent, Daniel Senesael poussera la liste, avec l’objectif de remonter la plupart de ses camarades.

Ce casting où ne figure d’autre vraie star que Paul Magnette est censé, par le jeu de la concurrence individuelle, forcer les candidats pas protégés par le matelas des votes en case de tête à aller chercher les électeurs avec les dents. La sélection ­promet aussi à Paul Magnette une très belle moisson de voix de préférence, parce qu’un candidat très fort menant des ­candidats plus faibles aspire toujours davantage de suffrages vers son nom.

Mais il laisse fort peu de perspective à la fédération socialiste de Thuin.

Elle a eu trois élus en 2019, les défunts Paul Furlan et Philippe Blanchart au parlement de Wallonie, et le suppléant Philippe Tison à la Chambre. Elle pourrait ne plus en avoir un seul après juin.

Paul Magnette lui-même a répété, lors de cette réunion qui vit Nicolas Martin imposer sa clé d’Hondt à ses homologues, que les candidats thudiniens, les deux défunts exceptés, ne faisaient pas de voix. Les Thudiniens ne seront pas non plus choyés sur la liste wallonne, qui regroupe les arrondissements de Charleroi et de Thuin. Derrière Thomas Dermine (dont la première suppléante devrait être la Carolorégienne Latifa Gahouchi) sont en effet annoncés la députée fédérale Ozlem Ozen, d’Aiseau-Presles, le député wallon chapellois Mourad Sahli et puis, comme quatrième, Natacha Blanchart. Une référence posthume, mais surtout provocatrice à la bonne ville de Thuin et, surtout, à ses représentants socialistes : elle habite Charleroi, mais est la fille de Philippe Blanchart, ancien bourgmestre, ancien député, décédé fin 2019. Il paraît qu’on a même songé à la fille de Paul Furlan, pour bien montrer qu’on n’était pas satisfait des survivants. 

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire