Le PS a dépensé un total de 3,2 millions d’euros pour la campagne électorale de juin, contre 1,4 million pour Ecolo. © BELGA/BELPRESS

Pourquoi la campagne électorale de juin a été la moins chère de tous les temps: «Seul un parti a créé la surprise»

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

Les partis belges ont dépensé un total de 34,5 millions d’euros pour la campagne électorale précédant le scrutin fédéral, régional et européen du 9 juin. Un chiffre historiquement bas, en partie justifié par la chute des investissements des partis traditionnels.

Après une année politique mouvementée, place aux décomptes financiers. Les campagnes électorales à répétition ont-elles pesé sur le budget des partis belges? Pas vraiment. Ou en tout cas moins que par le passé. En réalité, jamais les formations politiques n’avaient dépensé si peu que pour les éléctions du 9 juin, révèle une étude de la KULeuven publiée fin octobre.

Au total, la campagne pour le scrutin fédéral, régional et européen a coûté 34,5 millions d’euros aux partis, soit 6,7 millions de moins qu’en 2019 (en tenant compte de l’inflation). Ce montant représente l’intégralité des dépenses électorales enregistrées entre le 9 février et le 8 juin, soit au cours des quatre mois précédant le scrutin. Durant cette période dite de «prudence», les partis sont en effet tenus de déclarer tous les frais engagés à des fins de promotion pour leurs couleurs, mais aussi ceux de leurs candidats: publicité sur les réseaux sociaux, production d’affiches électorales, encarts dans la presse traditionnelle… Seules les dépenses récurrentes (conférence annuelle, par exemple) sont exclues de ce décompte, précise Gunther Vanden Eynde, chercheur à la KULeuven et co-auteur de l’étude. Sur ces 34,5 millions d’euros, un tiers (11,1) a été dépensé par les partis eux-mêmes, et deux-tiers (23,2) par les candidats individuels représentant ces partis.

La N-VA en tête

Globalement, ce sont les partis flamands qui se révèlent les plus dépensiers, avec une campagne électorale à hauteur de 3,3 millions d’euros en moyenne, contre 2,6 millions pour les partis francophones. Avec plus de 4,6 millions d’euros déboursés en quatre mois, c’est la N-VA qui décroche la première place du podium, suivie par le Vlaams Belang (3,8 millions) et le CD&V (3,3 millions). Côté francophone, c’est le PS qui sort du lot, avec 3,2 millions investis dans la campagne, juste devant le MR (2,9 millions) et Les Engagés (2,8 millions). Ecolo (1,5 million) et DéFi (634.000 euros) ferment la marche. Cette différence entre le nord et le sud du pays s’explique en partie par un nombre d’électeurs plus faible du côté francophone, «ce qui signifie moins de sièges à pourvoir et donc moins de candidats susceptibles d’engager des dépenses», précisent les auteurs de l’étude. En outre, les partis francophones reçoivent moins de subventions publiques, car celles-ci sont calculées en fonction du nombre de voix ou de sièges obtenus lors des précédents scrutins.

Si ces montants peuvent paraître faramineux, ils sont en réalité en forte baisse au fil des scrutins. Pour ne pas comparer des pommes et des poires, les chercheurs de la KULeuven ont tenu compte de l’inflation et ont traduit les précédentes dépenses aux prix de juin 2024. Ainsi, lors des élections législatives de 2014, les coûts totaux engagés au cours de la campagne s’élevaient à 42,4 millions d’euros, soit près de 8 millions de plus que cette année, et 600.000 euros de plus qu’en 2019. En 2024, les coûts sont retombés sous la barre des 40 millions, soit au niveau des élections de 2003 à 2007. Cependant, ces échéances n’étaient pas assimilables au triple scrutin (européen, fédéral et régional) de cette année, car elles n’englobaient que les fédérales. «A comparaison égale, les élections de 2024 apparaissent donc comme les moins chères de tous les temps», conclut l’étude.

Campagne électorale: le PTB à contre-sens

Comment expliquer une telle tendance à la baisse? D’abord, car les plafonds de dépenses imposés aux partis (pas aux candidats individuels) ne sont pas indexés malgré l’inflation. Le montant maximum autorisé n’a ainsi pas évolué en plusieurs dizaines d’années. «Les dépenses ne peuvent donc pas suivre l’évolution du coût de la vie et diminuent ainsi en valeur réelle», précisent les chercheurs.

La chute des dépenses est surtout à attribuer aux partis traditionnels (chrétiens-démocrates, socialistes et libéraux), qui se serrent aujourd’hui la ceinture. A eux seuls, ils ont ainsi dépensé 5,7 millions d’euros de moins qu’en 2019. En conséquence, la proportion de ces partis dans les dépenses totales diminue. Alors qu’en 1991, ils représentaient encore 84,5% des frais engagés dans les campagnes électorales, ce chiffre tombe à 53,3% en 2024. «La capacité des partis à investir dans les campagnes dépend de leurs résultats aux dernières élections, rappelle Gunther Vanden Eynde. Plus leur part de marché électorale diminue, moins ils reçoivent de financement public.» Pas étonnant, donc, de voir le CD&V ou l’Open VLD ne pas avoir délié les cordons de la bourse cette année au vu de leurs performances en demi-teinte en 2019. C’est d’ailleurs la première fois que le Vlaams Belang se hisse devant eux dans le classement. Ecolo et Groen, en meilleure forme en 2019, ont par contre pu se permettre une légère augmentation des dépenses, avec respectivement +0,5 million et +0,6 million de frais par rapport à 2019. Mais ce sont les communistes qui se sont montrés le plus généreux en 2024, avec une hausse de 1,4 million de leurs dépenses par rapport à 2019. «Le PTB a créé la surprise, confirme Gunther Vanden Eynde. Cette forte hausse s’explique par la flambée de leurs dépenses par des candidats individuels, qui sont passées de zéro en 2019 à 1,5 million d’euros en 2024. Ce n’était pas du tout dans la tradition du parti auparavant d’investir de la sorte.»

Un coup de poker

La tendance globale aux économies électorales s’explique également par les stratégies propres aux partis. Pour rappel, aucune dotation publique n’est spécialement prévue en cas d’élections: les partis doivent intégralement financer leur campagne avec leur subvention annuelle habituelle (également prévue pour la rémunération des collaborateurs, la location des bâtiments du parti…) ou leurs économies propres. Les investissements sont donc soumis à des choix. D’autant plus dans une année à deux campagnes. «Certains partis ont peut-être moins dépensé lors du scrutin de juin, pour garder quelques réserves d’argent pour les élections communales et provinciales», avance Gunther Vanden Eynde. D’autres ont peut-être davantage misé sur les publicités sur les réseaux sociaux en pré-campagne, par exemple fin 2023. «Les dépenses engagées en dehors de la période de prudence ne sont pas reprises dans les coûts de la campagne», rappelle le politologue de la KULeuven, qui confirme que le Vlaams Belang, la N-VA et le PTB ont énormément misé sur les réseaux en vue du scrutin fédéral.

Enfin, la limitation des investissements peut également traduire une anticipation de mauvais résultats, et donc d’une réduction de la dotation publique qui engendrera inévitablement de l’austérité pour les partis concernés. Ecolo, par exemple, aurait pu encore investir davantage dans la campagne: les Verts ont à peine dépensé 39,5% du plafond maximum autorisé. Mais ils ont peut-être essayé de garder un petit bas de laine pour les années à venir, au vu des sondages qui leur étaient défavorables. «Dans ces moments-là, un dilemme se pose: les partis peuvent essayer d’investir davantage dans la campagne pour se sauver et déjouer les sondages, mais c’est le risque de tout perdre, avance le chercheur de la KULeuven. Si les résultats ne sont pas au rendez-vous malgré des dépenses mirobolantes, c’est le massacre assuré pour le parti. Mais le pari peut également s’avérer gagnant, à l’image de la campagne du Vlaams Belang en 2019. Tout est une question de stratégie.»

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