Côté francophone, le MR occupe indéniablement le terrain médiatique.

Pourquoi et comment le MR est devenu le parti des médias (malgré eux)

Clément Boileau
Clément Boileau Journaliste

People et familial d’un côté, populaire et réactionnaire de l’autre, le Mouvement réformateur percole sur tous les terrains médiatiques. Malgré, ou grâce à, un président plus agressif que jamais.

Grand vainqueur des élections côté francophone, le MR occupe indéniablement le terrain médiatique. Du fait des négociations en cours en vue de la formation éventuelle de l’Arizona, bien sûr. Mais aussi des coups de com orchestrés par Georges-Louis Bouchez, remonté contre ses adversaires – au premier rang desquels, la gauche «bien-pensante».

Dernièrement, c’est sur CNews, la chaîne préférée de l’extrême droite française, que le patron des libéraux s’est plaint du déficit de liberté d’expression, voire de l’excès de censure, dont souffrirait la Belgique francophone. Le cœur de la polémique? La diffusion sur la Une (RTBF) du discours d’investiture de Donald Trump en léger différé, cordon sanitaire oblige. Un scandale selon lui, qui déplore qu’hormis chez Sudinfo, «le journal le plus populaire, le plus lu» chez nous, ce décalage n’ait suscité qu’un «silence gêné» dans le reste des médias. Politiquement, le président du MR tente par là de faire passer l’idée que son parti est le seul à véritablement défendre la liberté d’expression.

Il a un côté intimidateur, mais qui crée une dépendance, car parfois il donne de bonnes infos.

Les journalistes entetiennent malgré eux une relation ambivalente avec le président du MR…

Un parti présent partout, tout le temps

Les idées portées par les libéraux et singulièrement par Georges-Louis Bouchez sont pourtant loin d’être ostracisées, y compris sur le service public belge. Elles y sont même, régulièrement, soutenues, de façon plus ou moins explicite. Les «punchlines» mises en avant dans l’émission «C’est vous qui le dites», sur les ondes de Vivacité (RTBF), sont par exemple révélatrices de la visibilité médiatique du MR et des thèmes qu’il porte: limitation des allocations de chômage à deux ans, aversion pour les syndicats, mise au travail d’un maximum de détenus, le fait que la Belgique aurait un problème avec l’islamisme…

Parfois, d’autres personnalités portent la parole du parti, sans sortir du cadre fixé: Willy Borsus plaidant pour un contrôle renforcé des chômeurs; Denis Ducarme s’en prenant à Ludivine Dedonder (PS), coupable de s’étaler sur sa vie privée; Julie Taton affichant sa volonté de «stimuler» les personnes qui ont «choisi» de ne pas travailler. Ainsi la grande droite populaire voulue par Bouchez peut compter sur ce visage largement promu par «le journal le plus populaire de Belgique francophone», qui avait annoncé son arrivée au parti voilà un an. Ou sur l’aura d’une Sophie Wilmès, plus aimée que jamais par les Belges, qui lui ont octroyé plus de 500.000 voix le 9 juin dernier. La femme forte du parti que Paris Match a placée en Une, à égalité face au président, au lendemain de la victoire du MR et des Engagés (visuellement absents, eux, de cette couverture). Un hebdomadaire qui, à l’automne, propulsait ensuite «Madame Georges-Louis Bouchez» – Lucie Demaret – sous les projecteurs pour un entretien où il ne fut jamais question de politique. Côté censure des idées ou des personnalités de droite, le monde «orwellien» décrit sur CNews, tant par Georges-Louis Bouchez que ses intervieweurs, semble plutôt lointain.

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Contrôle extrême

Pour autant, la liberté d’expression prônée par les libéraux ne semble pas avoir tout à fait cours dans leurs rangs ni dans les habitudes de Georges-Louis Bouchez. «La façon dont il traite les gens est d’une violence sans nom, il est tout le temps dans la menace», lâche un poids lourd libéral, qui décrit une communication construite par et pour le président. «Parfois, ses sorties font un peu débat dans le parti, mais personne ne lui dit plus rien depuis longtemps. C’est surtout entre nous qu’on se dit quand ça ne va pas. Le débat n’a jamais lieu de manière ouverte, car il aura toujours le dernier mot.» Au point que seule Sophie Wilmès ose parfois lui tenir tête – les contacts sont désormais très distants, nous revient-il. Pour les autres, gare à ne pas dévier de la ligne libérale «new look» dans les médias.

La communication n’a pourtant pas toujours été si corsetée. «Pour défendre quelque chose face à lui, il faut être prêt à le faire jusqu’au bout, et ne pas se laisser intimider par son argumentation, en général assez assertive, se souvient cette collaboratrice qui a assisté à la refonte communicationnelle du parti. Il dit ce qu’il a à dire, et il dit tout. En général, il n’y a pas de méchanceté, mais c’est très vif. Quant au conflictuel, ça ne l’est jamais vraiment longtemps. On peut toujours revenir avec une argumentation solide, trouver un accord, et il n’est pas rancunier. Mais il faut se battre

Journalistes harcelés

La RTBF n’est pas le seul média avec lequel les frictions existent. «On a parfois des échanges très vifs», assure Gaspard Grosjean, rédacteur en chef adjoint de Sudinfo, citant notamment l’histoire du voyage de Georges-Louis Bouchez au Qatar. «Là, on a eu des échanges musclés.»

«Il a un côté intimidateur, mais qui crée une dépendance, car parfois il donne de bonnes infos, il aime faire fuiter, appuie cette consœur, malgré tout fatiguée par les coups de pression. Une fois, sur un sujet quelconque, il a appelé pendant 30 minutes pour éviter que j’écrive l’article. On l’entendait à l’autre bout de la rédaction. Finalement, j’ai renoncé à publier. Pas uniquement à cause de son appel, mais parce que le sujet n’en valait pas la peine.»

La plupart des libéraux connaissent l’impulsivité de leur président à l’égard des journalistes. Certains commencent à s’en émouvoir, craignant pour la stabilité et la réputation du parti. «Pour avoir parlé à plusieurs journalistes, je sais que quand il n’est pas content d’un article, il peut appeler 20 fois l’auteur, et hurler. Il a un problème de rapport à la presse, avec un degré d’agressivité phénoménal. Cela pose une vraie question de liberté d’expression et de liberté de la presse.»

Il a un problème de rapport à la presse, avec un degré d’agressivité phénoménal.

Plusieurs sources libérales s’inquiètent du rapport du président du parti à la presse.

Cancel culture

Grand pourfendeur de la «cancel culture» (NDLR: manœuvre qui vise à discréditer quelqu’un en le signalant à son employeur, par exemple), Georges-Louis Bouchez ne s’en prive pourtant pas, appelant les rédacteurs ou rédactrices en chef pour leur signifier tout le mal qu’il pense d’un article qui lui a déplu, quand il ne se plaint pas directement auprès du patron du journal ou groupe de presse.

«En ce qui me concerne, je ne sais pas, la rédaction en chef ne m’a jamais rapporté ce genre de comportement de sa part, contrairement à d’autres personnalités politiques», nuance un confrère, qui souligne que Georges-Louis Bouchez a plutôt tendance à le contacter directement, louant même le fait que ce dernier n’a «pas toujours complètement tort», parvenant même «parfois, à s’expliquer calmement». «Certains, quand ils t’en veulent, utilisent d’autres techniques: par exemple, ils te « ghostent » pendant un an, ne t’accordent plus d’interviews, etc.», ajoute cet autre confrère, reconnaissant au président réformateur le fait que «lui ne le fait pas. Mais il reste hypersusceptible, c’est clair.» Et parfois, bien silencieux: sollicité pour échanger sur ses rapports aux médias et aux journalistes, Georges-Louis Bouchez n’a pas donné suite.

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