Pourquoi Engagés et MR n’ont pas osé introduire une consigne sur les canettes et bouteilles en plastique
Série | Tous les tabous wallons ne sont pas tombés (9/10). Malgré les «coudées franches» du MR et des Engagés, les nouveaux accords de gouvernements n’instaurent pas une consigne sur les canettes et bouteilles en plastique. Alors que c’était l’une des priorités des centristes pour la Wallonie lors de la campagne électorale.
Le contexte
«Faire tomber les tabous.» En présentant la Déclaration de politique régionale (DPR) et la Déclaration de politique communautaire (DPC), les deux formateurs/présidents de parti Georges-Louis Bouchez (MR) et Maxime Prévot (Les Engagés) ont rivalisé de déclarations ambitieuses. Les socialistes et les écologistes, battus, sont relégués dans l’opposition, et ne pourront pas les empêcher de mettre en œuvre un programme de réformes salué par tous les éditorialistes et auquel aspire une majorité de l’électorat francophone. Jamais le centre et la droite n’ont eu autant «les coudées franches» à la Région et à la Fédération Wallonie-Bruxelles. Pourtant, certains engagements (ré-)novateurs, beaucoup d’ambitions innovantes et quelques promesses de campagne disruptives ne devraient pas, à la lecture de la DPR et de la DPC, se réaliser. Voici les tabous que le MR et Les Engagés n’ont pas osé faire tomber.
Introduire un système de consigne sur les canettes et les petites bouteilles en plastique. La mesure figurait sur la liste des priorités environnementales des Engagés pour le sud du pays. Mais est complètement absente de la Déclaration de politique régionale (DPR) qui cimente l’entente gouvernementale avec le MR. «Nous voulions ardemment sa mise en place, réagit le président de la formation turquoise Maxime Prévot. Mais le MR s’y est opposé avec force, et on ne peut pas instaurer une demi-consigne sur les canettes ou une consigne sur des demi-canettes». Selon les libéraux, «déstructurer la filière du sac bleu n’apporte pas de plus-value économique ni environnementale. La consigne des canettes de manière numérique peut être envisagée à condition que les fraudes soient endiguées». Mais cela ne suffira pas à lutter contre les déchets sauvages, écrivent-ils dans leur programme électoral.
«J’ai été très surprise en découvrant l’accord de gouvernement»
Céline Tellier, députée wallonne Ecolo
«J’ai été très surprise en découvrant l’accord de gouvernement, confesse l’ex-ministre wallonne de l’Environnement Céline Tellier (Ecolo). Après plusieurs relectures, j’ai en effet constaté qu’aucune ligne du texte ne parlait de cette consigne. C’est plus qu’interpellant, car Les Engagés ont été très actifs sur ce dossier pendant la campagne, souffle celle qui est désormais députée wallonne. Mais ça ne m’étonne pas de leur part, puisque mon prédécesseur Carlo Di Antonio (NDLR: Engagé et bourgmestre de Dour) n’avait rien fait à ce sujet.»
Consigne sur les canettes: un abandon des Engagés?
La campagne électorale des Engagés laissait pourtant présager une avancée. Le parti centriste avait même lancé, au printemps, une pétition intitulée «Pour une consigne canettes et petites bouteilles en plastique», qui a récolté 3.795 signatures sur les 4.000 ambitionnées à l’heure d’écrire ces lignes. «Qu’est-ce qu’on attend?», écrit l’ex-cdH sur son site web, rappelant que «cela fait bientôt deux ans que nous avons déposé pour la première fois au Parlement de Wallonie une proposition de décret qui permet d’instaurer légalement sur notre territoire une vraie consigne comme en Allemagne et aux Pays-Bas».
«Comme Ministre, vous comprendrez qu’il m’est difficile de m’exprimer sur des dossiers qui ne sont pas les miens»
François Desquesnes, ministre du Territoire, des Infrastructures, de la Mobilité et des Pouvoirs locaux
Le projet était porté par François Desquesnes, alors chef de groupe des Engagés au Parlement wallon. Avec des mots durs, le nouveau ministre du Territoire, des Infrastructures, de la Mobilité et des Pouvoirs locaux tançait alors la gestion de Céline Tellier. La consigne sur les canettes et bouteilles en plastique «restera au stade de l’annonce» et «est un vrai échec», déclarait-il alors au micro de La Première. Un an plus tard, l’élu centriste se montre beaucoup plus fuyant, renvoyant la patate chaude à son collègue de parti Yves Coppieters, désormais chargé des matières environnementales. «Comme Ministre, vous comprendrez qu’il m’est difficile de m’exprimer sur des dossiers qui ne sont pas les miens.»
Yves Coppieters: «L’idée n’est pas enterrée»
L’épidémiologiste, dont la popularité acquise pendant la crise sanitaire a permis de réaliser le deuxième plus grand nombre de voix dans le Brabant wallon, ne se montre pas plus précis. «La consigne sur les canettes? Ce n’est pas une priorité», cafouille-t-il. Avant de se reprendre: «Enfin, non, pardon. Je veux dire qu’on doit revoir le portefeuille de l’environnement en profondeur. Et donc l’idée d’une consigne sur les canettes n’est pas enterrée, mais on devra peut-être l’envisager différemment avec notre partenaire. D’autant qu’il faut se concerter avec la Flandre et Bruxelles pour convenir d’une politique uniforme.» Le nouveau ministre confirme que le dossier «ne sera pas sur la table demain, car si Céline Tellier a bien avancé dans le précédent gouvernement, il n’est pas encore assez mûr».
«On devra peut-être l’envisager différemment avec notre partenaire»
Yves Coppieters
L’incohérence du MR sur le dossier
De quoi faire tiquer l’écologiste. «Tout est prêt pour mettre le système en place. On a énormément bossé là-dessus les dernières années, et travaillé à un accord de coopération entre les trois régions. J’ai du mal à comprendre pourquoi le gouvernement n’appuie pas maintenant sur le bouton play.» Alors qu’un accord semblait être dans les starting-blocks au printemps dernier, le dossier n’avait finalement pas abouti. «Le processus a été freiné en fin de gouvernement par le MR», déroule Céline Tellier.
Qui met en lumière une difficilement compréhensible incohérence: les libéraux bloquent le projet de consigne en Wallonie, alors que plus de six communes sur dix dirigées par un bourgmestre MR ont rejoint l’Alliance de la consigne, association qui regroupe 1.300 villes, entreprises et organisations en Belgique et aux Pays-Bas. Dont 51% des communes wallonnes sont membres. Le parti libéral est donc celui qui se montre le plus favorable à la mesure, devant Les Engagés, Ecolo et le PS.
Céline Tellier avait tout de même été mandatée par le gouvernement pour organiser la concertation avec la Flandre et Bruxelles sur la question de la consigne. Sur le fond, les trois entités fédérées sont – assure l’élue brabançonne – d’accord sur la voie à emprunter: celle d’un système qui combine consigne physique et numérique, afin de ne pas mettre de côté les oubliés de la fracture numérique.
Absente de la DPR, la mesure suivrait néanmoins son cours. En témoigne un courrier envoyé par l’ex-ministre de l’Environnement le 4 juin, quelques jours avant les élections. Dans celui-ci, Céline Tellier charge la Commission interrégionale de l’Emballage de préparer une réforme du système de consigne pour les canettes et les bouteilles PET, à faire approuver aux trois régions d’ici le 31 décembre 2024.
A quoi ressemblerait la consigne sur les canettes?
Les acteurs de l’emballage wallon ont de leur côté misé sur un système de consigne intelligente. «L’absence de ce dossier dans la DPR ne signifie pas son abandon, affirme le porte-parole de Ensemble pour une consigne intelligente. Nous allons continuer de travailler à une amélioration du système, en attendant les décisions politiques.» Car le gouvernement devra bien appuyer sur l’accélérateur: d’ici 2029, la Commission européenne demande aux Etats-membres de collecter 90% des emballages. Un objectif difficilement atteignable sans l’aide d’une consigne sur les canettes et les bouteilles en plastique, toujours selon l’association Ensemble pour une consigne intelligente. Qui ne se montre pas favorable à une consigne physique, comme pour certaines bouteilles de bière, mais plutôt numérique. Le consommateur scannerait le code QR qui se trouve sur la canette ou la bouteille, avant de la jeter dans un sac bleu. Réaliser cette opération lui permettrait de récupérer une somme d’argent, directement sur son compte en banque. Quant au montant, les avis divergent, mais 0,25 euro serait un bon incitant, selon le porte-parole de Ensemble pour une consigne intelligente.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici