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Pourquoi l’émancipation a perdu de son pouvoir (et pourquoi c’est dommage)
L’historienne Michèle Riot-Sarcey regrette la raréfaction des processus d’émancipation collective. La faute à la suprématie capitaliste et au triomphe de l’individualisme?
«Etrangement, le mot « émancipation », dans son sens d’origine, est presque absent du langage commun», constate Michèle Riot-Sarcey, professeure émérite d’histoire contemporaine et d’histoire du genre à l’université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis, dans son dernier essai Mais où est passée l’émancipation?, prolongement d’un précédent intitulé L’Emancipation entravée. L’idéal au risque des idéologies au XXe siècle (La Découverte, 2023). Elle n’en trouve plus guère trace que dans la publicité et dans le langage des influenceurs… D’où ce début de questionnement: «Se déprendre des tutelles et des contraintes ne serait donc plus l’objectif de chacun de nous?»
L’autrice tempère tout de même ce diagnostic en énumérant quelques exemples de «démarches qui consistent à se libérer des tutelles qui nous enferment», selon sa définition de l’émancipation. L’établissement de zones à défendre (Zad), comme celle de Notre-Dame-des-Landes en opposition à la construction d’un deuxième aéroport près de Nantes en France, la création d’associations citoyennes d’entraide et d’activités culturelles à l’image de l’Ateneu Popular 9 Barris de Barcelone en Espagne, ou la mise au jour d’une autre vision du passé comme l’éprouvent les promoteurs du processus de décolonisation sont autant d’expériences d’émancipation que met en exergue Michèle Riot-Sarcey.
«On ne se libère qu’avec les autres.»
Elle observe néanmoins que la subordination au système capitaliste, la valorisation à tout crin de l’individualisme et la propension de l’être humain à la servitude volontaire, théorisée par Etienne de La Boétie dès le XVIe siècle, rendent de plus en plus compliquées les subversions de l’ordre dominant. Pour l’autrice, pourtant, «l’émancipation est une nécessité moderne». «S’émanciper, c’est retrouver les autres semblablement libres afin d’unir les compétences pour transformer les sociétés et agir, en toute conscience, avec les autres, en se sauvant soi-même.»
Les tentatives d’émancipation des Juifs et des femmes, rappelées par l’autrice au titre de processus tortueux et inachevés, viennent consacrer la nécessité de raviver la foi en l’émancipation, obligatoirement collective. Car «on ne se libère qu’avec les autres».
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