Pour la députée DéFi Sophie Rohonyi, le positionnement du CD&V sur l'IVG est avant tout une "stratégie politique" pour "gagner sur tous les tableaux" © Belga

Pourquoi ce revirement du CD&V sur l’avortement? « Une manière de bloquer le débat avant même qu’il n’ait lieu »

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

La réforme de la loi sur l’avortement va-t-elle enfin voir le jour? Les lignes bougent au sein de la Vivaldi, notamment depuis que le CD&V a ouvert la porte à un allongement du délai légal de l’IVG à 14 semaines. Dans l’opposition, la députée DéFi Sophie Rohonyi appelle à respecter les recommandations scientifiques et à « faire confiance aux femmes ».

C’est un infléchissement qui en a surpris plus d’un. Jusqu’alors vigoureusement opposé à une réforme de la loi sur l’interruption volontaire de grossesse (IVG), le CD&V semble désormais prêt à faire des concessions, aussi minimes soient-elles. Lundi, par la voix de la députée Els Van Hoof, les chrétiens-démocrates flamands ont notamment ouvert la porte à une prolongation de la limite gestationnelle maximale de l’avortement à 14 semaines, contre 12 actuellement. Bien que ce délai reste inférieur à celui de 18 semaines préconisé par le Comité scientifique en charge de la question – dont le rapport a été présenté ce mardi au Parlement – le pas en avant du CD&V pourrait bien relancer le débat, au point mort depuis 2018.

« Une manière de figer les discussions »

« Le CD&V a clairement senti une pression sur le dossier de l’IVG, analyse Dave Sinardet, politologue à la VUB. Le parti essaie donc de se montrer un peu constructif et de se défaire de l’image immobiliste qu’il renvoie sur la question. » Pour Sophie Rohonyi, députée fédérale DéFi, l’attitude des chrétiens-démocrates reste avant tout une stratégie politique, « pour gagner sur tous les tableaux ». « Je trouve ça assez cavalier de la part du CD&V d’avancer sa position avant même que les experts du Comité ne viennent au Parlement pour présenter leur rapport, s’indigne la nouvelle présidente du Conseil des femmes francophones de Belgique. Mandater des experts qui ont travaillé pendant un an, pour finalement ne pas aller dans leur sens et ne pas suivre leurs recommandations, c’est une manière de bloquer le débat avant même qu’il n’ait lieu et de figer les discussions. »

« Il y a certes une volonté du parti de se montrer progressiste en assouplissant le délai à 14 semaines, mais en même temps, en refusant d’aller au-delà de cette ligne rouge, c’est une manière de rassurer son électorat conservateur, qu’il se dispute avec la N-VA et le Vlaams Belang », poursuit la députée, qui s’inquiète de la teneur des propos tenus par le CD&V. « Le parti justifie ce délai de 14 semaines en disant qu’au-delà de ce terme, le fœtus serait ‘coupé en morceaux’ lors de l’avortement. C’est typiquement un discours stigmatisant et culpabilisant pour les femmes », déplore Sophie Rohonyi, qui compare cet argumentaire à celui des associations anti-avortement qui militent devant les plannings familiaux ou à celui de certains élus conservateurs américains. « Je trouve ce vocable extrêmement violent et en contradiction totale avec cette posture censée être plus progressiste. »

Le « droit de veto » du CD&V

Reste désormais à déterminer si le pas en avant des chrétiens-démocrates peut réellement ouvrir la voie à un consensus au sein de la majorité. Il y a fort à parier que les partenaires de la Vivaldi – socialistes et écologistes en tête – s’en tiennent aux recommandations des experts et refusent ce délai de 14 semaines. « On risque alors de se retrouver dans une impasse, car l’accord de gouvernement est du côté du CD&V », rappelle Dave Sinardet. Le texte signé par la Vivaldi en 2020 est en effet très clair sur les questions éthiques : il ne peut y avoir de vote s’il n’y a pas de consensus entre les sept partis de la coalition, même en cas de majorité parlementaire. « Autrement dit, le CD&V a un droit de veto, résume Sophie Rohonyi. Si les autres partis s’en tiennent au délai de 18 semaines, et que le CD&V maintient sa position, le texte ne pourra pas être voté au Parlement car on est cadenassé par cet accord de gouvernement. »

« L’accord du gouvernement est du côté du CD&V »

Malgré ces difficultés, la recherche d’un consensus reste la priorité de la Vivaldi, ont rappelé plusieurs députés de la majorité en Commission ce mardi. Dans l’opposition, la cheffe de groupe PTB, Sofie Merckx, s’est dite en revanche prête à rallier une majorité alternative pour soutenir la proposition de loi PS, co-signée par des libéraux, des écologistes, le PTB et DéFI avant la formation du gouvernement. « La piste d’une majorité de rechange me paraît peu probable, sauf en toute fin de législature, mais ce ne serait pas très loyal envers le CD&V », estime néanmoins Dave Sinardet.

Pas de position unanime chez les Engagés

Les Engagés, parti frère du CD&V, sont davantage dans la réserve. Si la formation politique est favorable à une révision de la législation, notamment sur la suppression de toute sanction pour les femmes, la question de l’extension du délai n’est pas encore tranchée, indique la députée Catherine Fonck. « Rappelons que pour les questions de nature éthique, le Mouvement octroie à chaque député une liberté de conviction et de vote », complète le président Maxime Prévot.

« La science doit l’emporter sur l’idéologie »

Pour Sophie Rohonyi, l’heure n’est plus à la tergiversation. « L’enjeu, aujourd’hui, est de dégager un accord qui soit respectueux du travail réalisé par les experts et qui fasse confiance aux femmes. Il faut arrêter de les infantiliser et de les culpabiliser, insiste la députée DéFi. On a tous les éléments en main pour légiférer comme il se doit. On se situe à un véritable momentum. » Et de conclure : « La science doit l’emporter sur l’idéologie. »

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