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Polyamour, stérilisation, abandon de la pénétration: pourquoi il s’agit d’actes politiques (entretien)

Thierry Fiorilli
Thierry Fiorilli Journaliste

Stérilisation choisie à 20 ans, polyamour, nouvelles identités de genre… Autant d’actes politiques, selon le sociologue Jacques Marquet, mais à géométrie et motivations très variées.

Jacques Marquet est sociologue de la famille et du couple à l’UCLouvain. Il développe et nuance la nature politique de différents comportements actuels liés aux sexes et à la sexualité.

La stérilisation, en augmentation chez les jeunes, est-elle un acte politique?

Non si elle est décidée à 40 ans, un âge où énormément d’hommes et de femmes ont déjà la descendance souhaitée. Oui si elle est choisie à 20 ans. Ceci nous renvoie à la distinction que font nos collègues américains entre les childless, les personnes sans enfants malgré elles, parce qu’elles n’ont pas trouvé le partenaire idéal ou à cause d’un problème médical, et les childfree, sans enfants par choix. Or, aujourd’hui, parmi les jeunes qui se revendiquent childfree, un certain nombre sont dans une démarche totalement politique et souvent en lien avec la question du climat – selon eux, nous serions déjà beaucoup trop nombreux sur Terre, nous n’arriverons pas à nourrir toute la population, les enfants sont un vecteur énorme de pollution, etc. Mais d’autres, notamment les couples au fonctionnement égalitaire, le décident parce que l’arrivée de l’enfant est le point d’inflexion vers des comportements totalement inégalitaires et majoritairement défavorables à la femme. Et ils ne souhaitent pas que ce problème se pose. Le comportement qui renvoie au souhait de ne pas avoir d’enfant peut dès lors être lu tantôt de façon «micro» – le cadre de vie qu’on souhaite pour soi et son partenaire – tantôt de manière «macro» – l’écoanxiété, la perspective de guerre, etc. On observe aussi une proportion significative de jeunes hommes, aux alentours de 35 à 40 ans, qui désirent prendre part de manière plus active dans la contraception, en recourant à la stérilisation: ma compagne a assumé pendant 20 ans la prise en charge, les risques et les coûts liés à la contraception, maintenant, c’est à mon tour. Ce souci d’une égalité hommes-femmes est aussi politique. C’est une micropolitique, qui renvoie à l’économie conjugale.

Quid de la baisse volontaire de l’acte sexuel chez les jeunes?

Je ne sais pas si elle est avérée, mais chez certains, il existe une forme de désacralisation de la sexualité dans le sens où ils se demandent si le lien amical n’est pas plus important que le lien amoureux. Cela signifie que, pour eux, la sexualité a sa place, mais pas celle établie par une certaine histoire de nos sociétés occidentales, à savoir d’être l’un des fondements de l’union, consacrée par le mariage religieux ou l’Etat. Ce mouvement sort progressivement la sexualité de cette place forte. Par ailleurs, il y a une volonté de plus en plus exprimée tant par de jeunes hommes que des jeunes femmes de prendre de la distance par rapport à un modèle particulier de sexualité. Notamment le primat de la pénétration dans le rapport sexuel, perçu comme élément du modèle qualifié de patriarcal, hétéronormé, monogame, fortement dissymétrique du point de vue des genres… L’amour libre, ou le polyamour, est lui aussi une volonté de se démarquer de ce modèle hétéro, dominé par les hommes, qui le défendent parce qu’il les arrange plus que les femmes, semble-t-il. Ce sont autant de démarches politiques. Plus ou moins conscientes.

Jacques Marquet, sociologue (UCLouvain). © Alexis Haulot
«Le souci d’une égalité hommes-femmes est une micropolitique qui renvoie à l’économie conjugale.»

Cela signifie-t-il qu’on assiste à une révolution sexuelle?

Que signifie «révolution sexuelle»? S’il s’agit de parler librement de sexualité, alors oui, indiscutablement, puisque la parole sur la sexualité s’est fortement déliée. Si c’est se distancier des instances – surtout l’Eglise catholique romaine – qui donnaient la norme en matière de sexualité, la réponse est encore oui. Si c’est la prise de distance par rapport à une sexualité qui serait d’abord conjugale, ça me paraît moins clair: les études portant sur la sexualité montrent qu’elle reste territoire conjugal, que dès qu’on en sort, la stigmatisation n’est pas très loin et qu’une grande majorité des personnes ayant vécu une rupture essaient de recréer un couple. A cela, le polyamour ou l’amour libre rétorquent qu’il y a à explorer autre chose que la sexualité dans son espace conjugal et que si une rupture est survenue, ce n’est pas parce que l’ex ne convenait pas ou que la relation était foireuse, non, c’est parce que le modèle posait problème. Ce modèle monogame exclusif. Ça ne fait pas révolution mais ça signifie qu’il y a une remise sur la table d’une question qui est quand même d’un autre ordre que celle de l’égalité hommes-femmes. Elle ouvre d’autres perspectives. Comme le fait la revendication de reconnaissance des différentes identités de genre: il ne s’agit plus uniquement de la reconnaissance des hommes et des femmes dans leur identité sexuelle, il y a une attente de reconnaissance de la personne au-delà de ses statuts et de ses traits permanents.

Cette attente est-elle déjà un acte politique?

Comme le contrôle de la sexualité pris en charge par l’homme, dans une visée d’égalité, elle est d’abord de la politique domestique. Qui peut ensuite pousser le politique à décider de rendre gratuits certains contraceptifs masculins, ou d’en faire prendre la charge par l’Etat, pour essayer d’encourager cette égalité-là. Avec la question des genres, on est dans quelque chose du même ordre. On aurait pu se la poser avant, mais les oreilles n’étaient pas préparées à l’entendre. Or, voilà qu’on dispose de médias, dont les séries télés, qui mettent en avant ces interrogations; les jeunes ou moins jeunes en réflexion par rapport à leur identité et orientation sexuelles y trouvent une première mise en forme de leurs interrogations. Ces questions viennent donc d’individus, elles sont véhiculées dans la société par la culture, au sens large, elles sont relayées par les associations qui s’occupent de ces personnes et par celles qui se solidarisent et peuvent constituer des groupes de pression. Avec, au bout du compte, le politique qui décide de les prendre ou non en compte.

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