Sarah Schlitz: « Le féminisme est une question de survie »
Chaque mois, «Le sens de sa vue» revient sur les œuvres et moments qui ont construit la vision du monde d’une personnalité politique. La députée Ecolo liégeoise s’est prêtée au jeu.
C’est pleine d’affection qu’elle évoque ses racines, elle qui semble avoir hérité de plus de monde que le commun des citoyens. Sarah Schlitz, petite-fille d’un ancien bourgmestre de Liège, se décrit comme «héritière d’un capital social et politique fort», dans «une famille où l’on chantait l’Internationale après le repas du dimanche». Mais ce n’est pas le seul héritage dont elle se prévaut. La grand-tante de sa maman fut une célèbre résistante et militante communiste, Madeleine Jacquemotte-Thonnart. Et, «je m’en aperçois depuis quelques années, je viens aussi d’une famille où les femmes sont dans des positions de pouvoir: ma grand-mère était parmi les premières étudiantes en médecine, puis elle prit la tête d’un laboratoire médical à Liège, et toutes ses filles ont fait des études supérieures et ont un caractère très fort. Je suis héritière de ce féminisme-là, où les femmes osent s’imposer.»
Cette préoccupation pour la transmission l’a peut-être aidée à trouver «une colère saine» dans la lecture du Genre du capital, cette enquête sociologique qui montre comment les femmes se font plus souvent flouer que les hommes dans les discussions successorales.
Mais Sarah Schlitz ne se proclame pas que la légataire de ses aïeux. Elle veut aussi transmettre l’héritage de Bla-Bla, l’extraterrestre de la RTBF qui, avec ses «la pub? beurk!», a sans doute pesé dans son engagement dans des groupes antipub liégeois. Et enfin, parce qu’elle «préférerait boire une bière avec le Renaud de 1980 qu’avec celui de 2023», c’est en héritière du chantre écorché qu’elle se pose. Même s’il «n’a pas très bien tourné», Renaud Séchan sut, mieux que personne à cette époque, «mettre des mots sur la colère d’une génération». Cette colère, elle l’a aussi reçue de cet héritage.
Le Savoir: Céline Bessière et Sybille Gollac, Le Genre du Capital
A la fois critique et complément du Capital au XXIe siècle de Thomas Piketty, cet ouvrage ouvre, selon Sarah Schlitz, «un nouveau champ du féminisme. Les autrices expliquent que l’Etat a rendu les droits égalitaires formellement, dans une perspective féministe et neutre d’un point de vue de genre, mais elles arrivent malgré tout à mettre le doigt sur une série de mécanismes qui reproduisent ou génèrent des inégalités de genre en matière de patrimoine.»
L’approche «débusque les inégalités de genre dans tous les milieux», et n’aborde pas ici la domination masculine sous un angle symbolique, esthétique, culturel ou sexuel. «C’est mon féminisme, ça, basé sur les questions sociales. Les questions financières, c’est le nerf de la guerre. Le féminisme, ce n’est pas que des questions symboliques ; c’est une question de survie», appuie Sarah Schlitz, qui évoque une réalité tangible dans tous les milieux. «On a tendance à éloigner les femmes des discussions d’argent, chez les plus précaires comme chez les plus nantis. Par conséquent, elles ne sont pas outillées pour se rendre compte de l’argent qui leur passe sous le nez…», soupire-t-elle.
La Scène: Ici Bla-Bla à la RTBF
Le «cache-cache pub» de Bla-Bla a fait grandir la petite Liégeoise. «Bla-Bla, c’est les dessins animés qu’on regardait avec nos cousins le mercredi après l’école, chez ma grand-mère», confie-t-elle. Des dessins animés pas si innocents. «Ils ont forgé une génération… Bla-Bla était plein de messages profondément engagés qu’on ne voit plus maintenant: parler d’excision, des sans-papiers, etc. Je fais partie d’une génération bercée par Bla-Bla, et sa culture irrigue encore beaucoup de mouvements militants», se souvient la députée.
Une telle programmation sur le service public, aujourd’hui, susciterait probablement l’agacement d’une certaine droite. Mais, répond Sarah Schlitz, «s’exprimer sur les sujets de société ne relève-t-il pas de la liberté d’expression du service public? Ceux qui accusent le service public d’être engagé ne le font que quand ils ne sont pas d’accord, il y a là une tentative de “muselage”. On a profondément besoin de militants, y compris dans les médias. Et essayer de faire passer d’autres militants, ceux qui sont favorables, par exemple, au PIB ou à la bétonnisation, comme n’étant pas militants, à un moment, ce n’est pas correct…»
Le Son: Renaud, Où c’est qu’j’ai mis mon flingue?
«Ça a fait sonner toute mon enfance, on écoutait l’album avec mon père dans la voiture», commence-t-elle avec nostalgie, jusqu’au moment où on lui rappelle les paroles, sexistes («votre République, moi je la tringle»), ou hostiles aux élections (ces «connards qui vont aux urnes»). «Evidemment, on n’embrasse pas toutes les paroles qu’on écoute», justifie-t-elle, évoquant des paroles à «replacer dans leur contexte». «Mais, quand j’étais révoltée, je me retrouvais dans cette colère.»
Le Soi: Un voyage d’études au Chili
Au Chili, «on ne s’en rend pas compte», survit une certaine «nostalgie de l’époque Pinochet». «A Santiago, j’étais hébergée par des gens très sympathiques. Le père m’a expliqué qu’il avait participé au putsch contre Allende… Par la suite, j’ai rencontré des étudiants surendettés pour dix, vingt, trente ans, parce que le système d’études supérieures avait été privatisé. Même les libéraux les plus radicaux de Belgique ne voudraient pas vivre dans ce système.»
La suite: le député bruxellois (Ecolo) Kalvin Soiresse
Au moment de désigner la prochaine personne qu’elle aimerait voir se prêter à l’exercice du «Sens de sa vue», Sarah Schlitz avait d’abord pensé à Sofie Merckx, «avec qui je partage pas mal de combats». Mais comme la députée et cheffe de groupe PTB au Parlement a eu l’honneur du dernier épisode (Le Vif du 27 juillet), «j’ai joué à domicile», dit-elle. Elle a «envie que vos lecteurs et auditeurs apprennent à connaître Kalvin Soiresse. Son parcours est inspirant et atypique. Arrivé du Togo à 22 ans, devenu professeur, il s’est passionné pour la politique et s’est lancé dans un engagement décolonial. Il ne manque jamais de courage pour défendre un projet à la fois antiraciste et anticapitaliste dans lequel je me retrouve.» Certains Ecolos, justement, se retrouvent moins dans ce projet fermement ancré à gauche, et pensent qu’il serait plus judicieux de se focaliser sur l’environnement et le climat. Sarah Schlitz coupe. «Ecolo a toujours été un parti qui travaillait sur les questions d’égalité. Le féminisme, la solidarité Nord-Sud, ce sont des causes qui sont dans l’ADN d’Ecolo.»
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