Pas de réforme fiscale: pourquoi c’est un problème pour le CD&V
Sans réforme fiscale, les chrétiens-démocrates flamands se retrouvent Gros-Jean comme devant, à quelques mois des élections. C’est ce même CD&V qui s’était tant fait prier pour intégrer la Vivaldi.
C’est la réalité des sports collectifs, souvent ingrats. Quelques-uns attirent la lumière, soulèvent le trophée, ont l’opportunité de lever les bras en franchissant la ligne. D’autres, à l’image du CD&V, portent les bidons, s’aventurent dans une honorable tentative, mais se retrouvent bredouilles à l’arrivée. Parce qu’il leur aura manqué de réussite ou que le scénario aura joué en leur défaveur.
L’échec des négociations du gouvernement fédéral sur la réforme fiscale a sans doute terni l’image de l’ensemble de la classe politique. Les seuls gagnants dans cette histoire, «ce sont les antipolitiques», relevait d’ailleurs le politologue Carl Devos (UGent) dans la presse néerlandophone.
Chacun a eu l’occasion de désigner le grand fautif: le MR, la gauche dans son ensemble, la rivalité gauche-droite, le ministre des Finances, le Premier ministre, la Vivaldi, selon l’endroit où on se trouve, à l’intérieur ou à l’extérieur de la coalition.
De l’avis général, personne n’en sort gagnant, surtout pas les Belges qui attendaient une réforme de cette fiscalité tellement alambiquée – et l’abaissement promis des charges sur le travail. Mais parmi les formations politiques, le CD&V est probablement celle qui a perdu le plus de plumes dans l’aventure. Parce qu’il ne pourra pas arborer, au moment des élections fédérales de juin 2024, ce «trophée» de la réforme fiscale que portait son ministre des Finances, Vincent Van Peteghem. Mais aussi, dans une perspective un peu plus large, parce que la longue séquence entamée en octobre 2020 par la formation de la Vivaldi n’aura pas fait de cadeau aux chrétiens-démocrates.
Même à l’échelon régional ou communautaire, le contexte est défavorable pour le CD&V.
Des compétences périlleuses au CD&V
Ils furent pourtant les plus difficiles à convaincre, eux qui ont longtemps fait de la présence de la N-VA dans l’exécutif fédéral une condition sine qua non pour signer un accord de gouvernement. Rappelons que les élections de 2019 avaient été historiquement désastreuses pour le CD&V, qui était passé de 18 à douze sièges à la Chambre. Le parti avait aussi fait l’objet de mouvements internes, avec l’accession de Joachim Coens à la présidence à la fin de 2019.
En bout de course, le CD&V héritait de portefeuilles importants pour deux visages relativement neufs, avec les fonctions régaliennes de l’Intérieur pour Annelies Verlinden et des Finances pour Vincent Van Peteghem. Puis Sammy Mahdi devenait secrétaire d’Etat à l’Asile et la Migration. «Ce sont des matières importantes, mais difficiles et périlleuses», résume le politologue Pascal Delwit (ULB). Des armes à double tranchant «qui peuvent vous porter vers la popularité», mais aussi se retourner contre vous.
Les matières de l’asile et de la migration incarnent cette ligne de crête difficile à tenir. Dans les précédents gouvernements, Maggie De Block (Open VLD), à partir de 2011, puis Theo Francken (N-VA), de 2014 jusqu’à 2018, remplacé par la même Maggie De Block ensuite, avaient successivement atteint des sommets de popularité, précisément en exerçant ces compétences.
Il est vrai que le gouvernement De Croo est parvenu à un accord pour se dépatouiller d’une crise de l’accueil, en mars 2023. Mais le public retiendra surtout que la Belgique, sous cette mandature, a maintes fois été rappelée à l’ordre, y compris par la justice, pour ses manquements en matière d’accueil des demandeurs d’asile. Les images des interminables files d’attente, à Bruxelles, devant le Petit-Château, l’été dernier, de la détresse vécue à l’église du Béguinage puis au «palais des droits», resteront, elles aussi.
Au moment de quitter son poste de secrétaire d’Etat pour succéder à Joachim Coens à la présidence, à la suite de sondages désastreux, Sammy Mahdi passait le flambeau à Nicole de Moor. Il s’attirait aussi les critiques de ses propres partenaires de majorité pour sa gestion de la politique migratoire, qui n’aura en aucun cas «profité» aux deux secrétaires d’Etat chrétiens-démocrates comme ce fut le cas avec leurs prédécesseurs.
Au moment d’établir les bilans, il est également possible que l’opinion ne retienne pas grand-chose d’autre du passage d’Annelies Verlinden à l’Intérieur que son rôle prépondérant durant la pandémie de Covid-19, durant laquelle furent maintes fois pointés du doigt les moyens juridiques peu orthodoxes par lesquels étaient adoptées les mesures sanitaires. Elle ne pourra pas non plus mettre à son actif de spectaculaires avancées en matière de réformes institutionnelles et de renouveau démocratique, matières qu’elle devait préparer de concert avec David Clarinval (MR).
La fiscalité comme dernier espoir
La réforme fiscale, donc, ne faisait pas l’objet d’une promesse ferme d’aboutissement dans l’accord de gouvernement, comme l’a rappelé Alexander De Croo au moment de déplorer l’impossibilité de trouver une entente. Il ne prévoyait qu’une «mise en préparation. Aller plus loin que l’accord de gouvernement nécessitait, bien évidemment, l’assentiment des sept partenaires de la coalition. La position de chaque partenaire de la coalition devant ici être respectée», communiquait le Premier ministre, le 18 juillet. On connaît la suite: le MR a été désigné, un peu facilement peut-être, comme le responsable de l’échec par les partenaires, en premier lieu par Vincent Van Peteghem.
«Rétrospectivement, on peut se dire que l’ambition première du CD&V n’était pas forcément de faire atterrir une réforme fiscale sous cette législature», soutient Pascal Delwit. Mais la séquence considérée dans son ensemble, depuis les mauvais résultats électoraux jusqu’aux sondages alarmants, en passant par une gestion laborieuse de matières piégeuses et des remous internes au parti, faisait d’une réforme fiscale un «trophée» particulièrement convoité par Vincent Van Peteghem et son parti.
«On peut critiquer la réforme des pensions, par exemple» et la considérer comme insuffisante ou mal ficelée. «Mais au moins, il y a un accord politique, il y a quelque chose à présenter, à annoncer médiatiquement», constate le politologue. Le raisonnement peut être similaire avec l’accord sur le nucléaire conclu avec Engie, l’autre dossier pour lequel le Premier ministre avait fixé le 21 juillet comme date butoir. Autour de la réforme fiscale, il n’y a rien, sauf un aveu d’échec, des responsables à désigner et ses yeux pour pleurer. Peut-être un peu d’espoir, cependant, d’obtenir quelque chose durant les mois à venir.
A la région, c’est compliqué aussi pour le CD&V
Dans une Belgique à plusieurs niveaux de pouvoir, un parti en mauvaise posture au fédéral pourrait éventuellement miser sur l’échelon régional ou communautaire pour se refaire une santé. Mais le contexte est à ce point défavorable pour le CD&V que là aussi, les difficultés s’accumulent. En escadrille, comme le disait Chirac.
Au gouvernement flamand, les chrétiens-démocrates, en coalition avec la N-VA et l’Open VLD, ont déjà dû faire face à une défection l’an dernier: la démission de Wouter Beke du poste de ministre de la Santé et de la Famille. Le tout dans le contexte très sensible du décès d’un bébé dans une crèche gantoise, lors duquel sa gestion du dossier a été fortement critiquée.
C’est à présent sur le fameux dossier de l’azote que le gouvernement Jambon se déchire, de vives tensions apparaissant entre le CD&V et les autres, en particulier la ministre de l’Environnement Zuhal Demir (N-VA). Il s’agit de cette volonté de la ministre nationaliste de limiter les émissions d’azote, qui courrouce le monde agricole flamand. Le ministre-président, Jan Jambon (N-VA), espère obtenir un décret avant les élections, mais les derniers jours ont encore vu de très fortes divergences se manifester entre la ministre de l’Environnement et le ministre de l’Agriculture, Jo Brouns (CD&V).
En difficulté, le CD&V joue soit le rôle du trouble-fête au gouvernement régional, soit celui du parti en phase avec son électorat historique, plus rural, périphérique, proche du monde agricole. «Dans ce dossier, le N-VA apparaît comme le parti des villes, alors que le CD&V est celui de la périphérie. C’est une posture qui peut éventuellement lui venir en aide, considère Pascal Delwit. De même, éventuellement, que le travail de Hilde Crevits», qui a remplacé Wouter Beke dans ses fonctions suite à sa démission l’an dernier. Une difficulté toutefois, s’il en fallait encore une: «Le Vlaams Belang s’est progressivement positionné comme un parti de périphérie», observe encore le politologue, et pourrait aussi concurrencer le CD&V sur ce terrain électoral.
Le CD&V ne pourra pas arborer, aux élections de juin 2024, ce «trophée» que portait son ministre des Finances, Vincent Van Peteghem.
Parce que ce sont bien les élections de 2024 qui sont en ligne de mire. Joachim Coens a fait les frais d’intentions de vote catastrophiques et son successeur, Sammy Mahdi, a pour mission, sinon de redresser la barre, au moins de sauver les meubles. «C’est une hypothèse, puisque cela dépendra des résultats électoraux. Mais si les mauvais sondages se confirment pour le CD&V, il se peut aussi que la séquence de l’année prochaine ne lui soit pas vraiment favorable», envisage encore Pascal Delwit.
Les élections fédérales et régionales de 2019 avaient été précédées d’élections communales, en 2018. Or, c’est sur le terrain local que le parti compte encore un solide ancrage, avec environ 120 bourgmestres. En 2024, la chronologie sera inversée: des élections régionales, fédérales et européennes en juin, suivies des élections communales et provinciales en octobre. Un piètre résultat aux premières pourrait alimenter une mauvaise dynamique aux secondes. Et constituer un clou de plus dans le cercueil du CD&V, même si, évidemment, les résultats des élections locales ne sont pas uniquement conditionnés par les vicissitudes des échelons de pouvoir supérieurs.
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