Particratie, complexité institutionnelle… Pourquoi les indemnités parlementaires ne sont pas près de baisser
Particratie, complexité institutionnelle, sorties médiatiques… Pourquoi le statut des élus et leurs indemnités parlementaires sont si difficiles à modifier.
L’exaspération est sincère, elle se généralise, elle s’alimente de scandales toujours moins massifs mais toujours plus explosifs – comparez un peu Agusta-Dassault et le prix des chaises du parlement de Wallonie, pour voir – et elle s’épice de grands engagements à changer les choses: il faut limiter le train de vie des politiques.
Le plus vite possible.
En attendant qu’ils y parviennent, chacun doit faire croire qu’il tente d’y parvenir, parfois sans vraiment le vouloir, très souvent sans aucunement le pouvoir.
Entre le vouloir et le pouvoir, les écologistes francophones ont fait, en partie, leur rentrée politique sur ce thème, réputé leur être avantageux, de la moralisation de la vie politique. A côté de la résurrection de la réforme fiscale fédérale en effet, le coprésident vert Jean-Marc Nollet s’inquiétait de la frilosité de ses partenaires de coalition. Il visait principalement une disposition du statut des parlementaires, l’indemnité défiscalisée pour frais, qui vient s’ajouter à la rémunération, sans devoir être justifiée, et donc nette d’impôts. Elle s’élève à 2 500 euros par mois, et les verts veulent la supprimer. «Nous craignons un peu que les partis traditionnels nous disent “oui, nous sommes prêts à en discuter”…, on sait qu’il y a une pression citoyenne aussi pour ça, mais qu’en fait la décision soit prise et qu’elle ne soit en vigueur qu’à partir de 2029. Nous voulons une décision avant les élections», a annoncé le Carolorégien à la rentrée politique de son parti, au domaine de Massembre, le 27 août.
Ce forfait est issu, paraît-il, d’un vieux compromis avec l’administration des finances.
Plusieurs initiatives sont menées, dans plusieurs parlements, plusieurs partis, plusieurs communautés linguistiques, y compris sur cette question spécifique et exemplaire de l’indemnité pour frais. Mais si tout le monde est prêt à en parler, les façons de parler, à la fois parallèles et contradictoires, toutes différentes, mènent à la même impasse.
Les 25 mesures de DéFI
Un ballon d’essai partisan a été lancé, en avril dernier, par DéFI et son président. François De Smet a publiquement appelé ses confrères présidents à signer sa «charte de bonne gouvernance et de transparence». Parmi les 25 mesures proposées, «supprimer le régime fiscal privilégié des parlementaires, en intégrant totalement le forfait pour frais, actuellement défiscalisé, dans la rémunération imposable». Cette emblématique proposition et les 24 autres n’ont rien recueilli d’autre qu’un succès d’estime, surtout médiatique.
Les confrères présidents ont réagi avec une distance allant du silence le plus absolu de Paul Magnette, Maxime Prévot et Raoul Hedebouw à la rencontre polie, mais pour aussi parler d’autre chose, avec Georges-Louis Bouchez. Rajae Maouane et Jean-Marc Nollet, eux, ont envoyé une lettre, pour expliquer qu’ils étaient d’accord et que DéFI n’avait qu’à se joindre à leurs propres propositions, lancées avant celle de François De Smet, y compris la suppression totale de la fameuse indemnité défiscalisée pour frais.
La charte du président amarante, dès lors qu’elle était rendue publique, était vouée à ne pas être adoptée par des adversaires nécessairement hostiles à faire ce cadeau à un concurrent.
Pendant ce temps, en Flandre, entre les quatre partis de la Vivaldi (Open VLD, CD&V, Vooruit et Groen), des discussions s’enclenchaient. C’était le président libéral Egbert Lachaert qui était à la manœuvre, et ses confrères avaient accepté l’invitation, parce qu’elle était discrète. L’idée, là, était de réfléchir ensemble à un vaste panel de mesures, dont l’indemnité défiscalisée pour frais, bien sûr, alors que l’opinion flamande était, notamment, traumatisée par les pensions d’exception perçues par les anciens présidents de la Chambre, Siegfried Bracke (N-VA) et Herman De Croo (Open VLD).
On s’entendrait d’abord entre Flamands du gouvernement fédéral, puis on élargirait la plateforme aux francophones du gouvernement fédéral (PS, MR et Ecolo), et bien sûr aux Flamands du gouvernement flamand (N-VA). Egbert Lachaert était bien lancé, et même ses collègues francophones de la Vivaldi étaient tenus régulièrement au courant. Mais Egbert Lachaert a démissionné fin juin, et son successeur intérimaire, Tom Ongena, qui prépare l’élection présidentielle de septembre, a sans doute d’autres priorités que de réunir ses confrères.
Mais ce n’est rien.
Les réunions des trois secrétaires
Parce que pendant ce temps, en Wallonie, entre les trois partis de la coalition (PS, MR et Ecolo), des discussions se sont enclenchées. Ce ne sont pas les présidents qui sont à la manœuvre, donc leurs confrères ont accepté l’invitation, parce qu’elle est discrète.
Depuis une petite année, au moins une fois par mois, les trois secrétaires généraux du PS, du MR et d’Ecolo se réunissent, chacun avec un collègue pour l’accompagner. Ça dure deux ou trois heures. Il y a le Carolo Laurent Pham pour le PS, l’Uccloise Valentine Delwart pour le MR et le Ronquiérois Julien Hordies pour Ecolo, et ils s’entendent plutôt bien, parce qu’ils sont tous très polis, et surtout parce que leurs réunions sont très discrètes. Ils sont six, ils ne pensent pas la même chose mais ils réfléchissent à un large panel de mesures, dont l’indemnité défiscalisée pour frais, sur lesquelles s’entendre, avant d’élargir la plateforme aux Flamands du gouvernement fédéral (Open VLD, CD&V, Vooruit et Groen), et bien sûr aux francophones du gouvernement bruxellois (DéFI).
Si tout le monde est prêt à en parler, les façons de parler, toutes différentes, mènent à la même impasse.
La chaîne d’e-mails qui structure leurs rencontres mensuelles comprend le poids des cabinets, le nombre et le statut des parlementaires, leurs missions à l’étranger, les fonctions spéciales, les pensions bien sûr. Et puis, évidemment, les 2 500 euros mensuels de forfait pour frais. Mais leur mandat est large et le timing incertain. Ce qui énerve Jean-Marc Nollet qui énerve ses partenaires de coalition.
La délégation verte doit convaincre ses mandants, les députés et leur coprésidence qu’ils ont intérêt à éviter les sorties médiatiques moralisatrices s’ils veulent que les discussions progressent vraiment. La délégation bleue et la délégation rouge doivent convaincre leurs mandants, les députés et leur présidence, que tous ont intérêt à ce que les discussions progressent vraiment s’ils veulent éviter les sorties médiatiques moralisatrices.
Sur la spécifique indemnité dont Jean-Marc Nollet, peut-être pour mettre la pression, sans doute aussi pour pouvoir dire que c’est la faute des autres si ça échoue, réclame la suppression immédiate, les positions restent éloignées. Ce forfait est issu, paraît-il, d’un vieux compromis avec l’administration des finances. Celui-ci dispense les élus de justifier de frais réels qui seraient, disent des parlementaires socialistes comme réformateurs, de toute manière supérieurs à ce montant, entre les frais de déplacement, les restaurants et les mondanités, les locaux et, éventuellement, le logement de ceux qui habitent loin de Bruxelles.
Qu’on supprime ce forfait et le travail des contrôleurs fiscaux serait alourdi de vérifications de frais déductibles qui coûteraient ultimement encore plus d’argent au trésor public.
C’est un argument pour ne pas directement miner le pouvoir d’achat des élus de la Nation. Un autre, probablement plus efficace, est de reprocher aux verts leurs sorties médiatiques moralisatrices, qui énervent les confrères, un peu, et ceux que les confrères secrétaires généraux doivent convaincre en interne, beaucoup.
Mais le plus ravageur de tous consiste à aspirer à un accord global sur l’ensemble de ces thématiques afin que les conditions se valent partout, pour éviter par exemple que des parlementaires soient mieux lotis que d’autres, comme lorsque sous le gouvernement Di Rupo seuls les élus fédéraux réduisirent leurs émoluments de 5%.
D’ailleurs, un chef de groupe nous dit que les partis doivent s’en emparer afin de mener une réforme homogène, qui concerne l’ensemble des parlementaires du pays, notamment sur l’indemnité défiscalisée de chaque député.
Or, le secrétaire d’un parti nous affirme que les bureaux de chaque parlement devraient aussi pouvoir avancer, par exemple sur l’indemnité défiscalisée de chaque député.
En outre, un autre chef de groupe nous garantit qu’il n’y a rien qui soit vraiment à l’agenda de son parlement sur ces questions, spécialement de l’indemnité défiscalisée de chaque député.
Mais le secrétaire d’un autre parti nous assure que c’est parce que les bureaux des parlements n’ont pas avancé sur ces questions qu’il faut que les secrétaires de parti avancent sur ces questions, et particulièrement sur l’indemnité défiscalisée de chaque député. Et aucun n’est flamand, alors que c’est au moins aussi compliqué là-bas. Les collaborateurs y sont moins nombreux mais mieux payés, semble-t-il. De plus, les parlementaires les plus gâtés de Belgique sont flamands, ceux qui disposent d’une représentation garantie et des moyens afférents à un groupe politique à partir d’un seul député, au parlement bruxellois.
Pour que leur situation soit alignée, à la baisse, sur celle, également à la baisse, de leurs collègues des autres assemblées, ce n’est pas un accord en bureau de parlement, ni une déclaration conjointe des secrétaires généraux de trois, de sept ou de dix partis qu’il faut, mais une réforme de l’Etat.
Bonne chance, hein.
Même pour n’entrer en vigueur qu’en 2029.
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