« On prend les gens pour des idiots »: ce que cache la réforme des pensions
Au terme d’une nuit agitée, la Vivaldi a accouché de la réforme des pensions. « Du bidouillage et du spectacle », critique l’économiste Jean Hindriks (UCLouvain). Analyse des cinq mesures phare du projet nouvellement né.
L’accouchement d’un nouvel enfant vivaldien était prévu après ce weekend de conclave. Mais la majorité a noyé la réforme fiscale dans le liquide amniotique. À la surprise générale, un autre enfant de la famille aux sept partis a vu le jour. La réforme des pensions est née, après 12 mois de gestation. Médecin d’un jour pour Le Vif, l’économiste Jean Hindriks (UCLouvain) s’inquiète, à la vue de ce bébé. « L’efficacité des mesures dépendra de leur durée dans le temps. Pour l’instant, mon analyse est que c’est une réformette. Je ne sais pas qui peut encore avaler ça. Il faut arrêter de prendre les gens pour des idiots ».
Pensions des fonctionnaires : « La seule mesure permettant des économies » dans la réforme des pensions
La Commission européenne avait demandé à la Belgique un effort budgétaire pour limiter le coût de cette réforme des pensions. Moins 0,5% du PIB d’ici 2070. Avec les mesures envisagées, c’est chose faite, se targue la Vivaldi. « Ces mesurettes visent surtout à satisfaire les bureaucrates européens, dénonce Jean Hindriks. Comment peut-on évaluer l’impact d’une réforme en se basant sur des prévisions d’ici 50 ans ? Beaucoup de choses peuvent changer d’ici là. » Critique vis-à-vis du projet de la majorité, Jean Hindriks est tout de même satisfait du plafonnement de la péréquation des fonctionnaires à 0,3%. « C’est la seule mesure permettant de baisser le coût budgétaire des pensions, estime l’économiste. Un pensionné sur six est un fonctionnaire statutaire. Pourtant, leur pension est en moyenne deux fois plus élevée que celle des salariés. En limitant la pension des fonctionnaires, on va vers plus d’harmonisation des régimes de pension ».
Pour rappel, la péréquation est l’adaptation du montant de pension à celle des rémunérations des fonctionnaires actifs. Autrement dit, la pension des fonctionnaires statutaires suit, dans une certaine mesure, l’indexation salariale des fonctionnaires.
Le bonus pension : une mesure « spectaculaire », mais floue
Autre mesure phare de ce projet de réforme : l’instauration d’un bonus pension pour ceux qui travaillent au-delà de leur pension anticipée. Travailler 3 ans en plus permettra à ces personnes de toucher un montant net de 22.645€, sous forme de capital.
La pension anticipée concerne les personnes de :
- 60 ans et 44 années de carrière
- 61 ans et 43 années de carrière
- 62 ans et 43 années de carrière
- 63 ans et 42 années de carrière
Une mesure plus spectaculaire qu’efficace, selon Jean Hindriks. « Le bonus pension doit normalement inciter les gens à rester au travail après l’âge légal de départ à la retraite (qui est de 65 ans, ndlr) ». Celui qui enseigne l’économie à l’UCLouvain pense que le gouvernement devrait plutôt questionner les régimes de fin de carrière. « A 58 ans, des enseignants qui ne travaillent plus touchent encore 80% de leur salaire, alors même qu’ils ne prendront pas leur pension anticipée avant d’avoir 62 ou 63 ans. On est dans une situation où 3 personnes sur 4 ne travaillent déjà plus au moment de prendre leur pension, que ce soit à cause de la retraite anticipée ou des régimes de fin de carrière ».
Si le bonus pension est fixé à 22.645€, et que la ministre des Pensions avait annoncé qu’il resterait le même pour tous les travailleurs, certains pourraient toucher plus. Le cabinet Lalieux confirme que les personnes avec une longue carrière auront droit à un bonus plus élevé.
Réforme des pensions: la hausse « symbolique » de la cotisation Wijninckx
Karine Lalieux et le PS voulaient un système de pension plus juste. Dans cet esprit, le gouvernement a décidé de toucher au 2e pilier, celui des pensions complémentaires. Les personnes qui souscrivent une telle pension verront la cotisation Wijninckx – que doivent payer ceux qui ont une pension complémentaire élevée – augmenter de 3 à 6%. « La mesure est symbolique, cadre d’emblée Jean Hindriks. Il faut savoir que pour tout un chacun, la somme de la pension légale et de la pension complémentaire ne peut dépasser 80% du dernier salaire brut. La cotisation Wijninckx n’est prélevée que sur le montant qui dépasse ce total. Et peu de personnes ont des pensions du 2e pilier très élevées ». D’après la RTBF, qui cite la ministre des Pensions, la mesure concernerait environ 3.000 personnes.
20 ans de carrière effective pour la pension minimum : « Du poil à gratter »
Les conditions d’accès à la pension minimum, qui atteindra 1.500€ net pour une carrière complète en 2024, ont également été précisées. Il faudra 20 ans de carrière effective pour en bénéficier. Dans le plan de juillet 2022, il fallait 30 ans de carrière effective pour la toucher. La mesure a donc été assouplie, en élargissant en parallèle les congés qui rentrent dans la carrière effective (repos de maternité converti, congé de paternité, congé d’adoption, chômage temporaire, etc).
Objectif : éviter de pénaliser les femmes, dont les carrières sont plus souvent interrompues que les hommes. Mais pour Jean Hindriks, les nouvelles conditions pour une carrière effective pourraient bien produire l’effet inverse à celui recherché. « Je crains que les premières victimes soient justement les femmes et les familles monoparentales. Le concept même de carrière effective n’est pas assez bien défini. Le diable se cache dans les détails. Vingt ans de carrière effective, c’est du poil à gratter ».
Maximum 7.813€ bruts par mois : les pensions des anciens parlementaires harmonisées
Enfin, cinquième et dernière mesure de cette réforme des pensions, le plafonnement de la pension des ex- parlementaires, qui ne pourra plus dépasser 7.813€ bruts par mois, toutes assemblées confondues.
Plusieurs questions subsistent après l’accouchement de la Vivaldi. « L’objectif de maitrise du coût des pensions n’est pas atteint, car les dépenses augmentent deux fois plus vite que les recettes », analyse Jean Hindriks. La Commission européenne validera-t-elle cette fois la réforme des pensions belge, dont l’évaluation conditionne l’octroi du Plan de Relance ? Du côté du secrétaire d’Etat à la Relance Thomas Dermine (PS), on se veut rassurant : les demandes de l’exécutif européen ont été prises en compte. Reste à passer l’étape du Conseil des ministres pour le bébé vivaldien, qui sera ausculté à l’automne par le médecin en chef qu’est la Commission.
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