On a suivi David Leisterh (MR), le jour des élections: «Laaouej a appelé. Très fair-play. Et impressionné par mon score»

Thierry Fiorilli
Thierry Fiorilli Journaliste

Il avait, et s’était, déçu en 2019. Mais c’est lui qui pilotait cinq ans plus tard le MR dans sa reconquête du pouvoir à Bruxelles. Même lui en doutait, au fond. Pourtant, il l’a fait. Passant d’une ombre persistante à une lumière éclatante. En une soirée.

Sur le pas de sa mignonne maisonnette d’angle, dans ce quartier de Watermael-Boitsfort tout paisible, on dirait un étudiant avant un très grand oral. Costume et cravate bleu sombre, chemise bleu pâle d’où dépasse à droite un fin bracelet rouge, chaussures cirées noires et anxiété masquée vaille que vaille. Il est 17 heures, ce 9 juin 2024, et David Leisterh, 40 ans mais allure de grand (1m90) gamin dégingandé, a beau sourire, comme sur l’affiche plantée dans le jardinet côté rue, il tire souvent sur ses manches et consulte sans arrêt son smartphone. Signes qu’il est dans le contrôle. Parce qu’une équipe de la télé BX1 est là, pour le suivre jusqu’au soir. Et surtout, parce qu’il est nerveux.

Le stress d’avant 17 heures

D’ailleurs, après avoir voté, ce matin, à 10 heures, puis brunché «pour la première fois depuis des mois» avec Julie, sa compagne, chez Popotes, à Ixelles, il a dû trouver quelqu’un pour un massage du cou. «J’avais trop mal. La fatigue. Le stress.» Dans le van Mercedes noir qui les a embarqués à 17h35, pour filer au siège du MR, à Saint-Gilles, il se sent «comme avant la proclamation à l’unif. J’ai tout donné, mais c’est ce soir seulement que je saurai si j’ai réussi.» A décrocher le poste de ministre-président de la Région de Bruxelles-Capitale. Pour ça, deux conditions: le Mouvement réformateur doit sortir premier des urnes à Bruxelles et celui qui y est sa tête de liste pour ce scrutin doit récolter plus de voix que celle qui a été placée juste derrière, Hadja Lahbib.

Pendant que Samir, le chauffeur, roule avec la radio branchée sur l’émission électorale en continu de La Première, David Leisterh, même s’il parle avec calme, mais beaucoup moins que face caméra, s’avoue «inquiet: pour mon score, celui du parti et pour les négociations qui auront lieu après les résultats».

Son score, parce qu’il y a cinq ans, il n’avait recueilli que 1.900 suffrages. «Ça avait été une déception, énorme. Et les journalistes n’ont jamais cessé de me le rappeler.» Cette fois, il dit espérer «approcher de ce qu’avaient fait Rudi Vervoort et Françoise Schepmans en 2019», alors les deux meilleurs en voix de préférence bruxelloises: 16.889 pour le socialiste, 16.856 pour la libérale. Il faut insister, fort, pour comprendre qu’avec plus de 15.000 suffrages personnels, ce serait le premier bingo. «Mais il faut voir ce que fera Hadja. C’est génial de l’avoir parachutée à Bruxelles, on s’entend très bien, mais c’est une pression pour moi. En plus de celle de tirer la liste pour un combat capital.»

«J’ai une boule, là. Parce qu’il y a tout ce boulot, tous ces gens derrière moi, les enjeux.»

L’angoisse d’après 18 heures

Julie, en bleu elle aussi, du combipantalon jusqu’aux ongles, est plus zen. «C’est notre quatrième élection, sourit-elle, et la première avec toute une équipe autour. Les autres, c’était ma famille et moi qui pliions les affiches, collions les enveloppes, tout ça. Et puis, David a très bien mené sa campagne.» Sept ans qu’ils se sont rencontrés. Elle, néerlandophone au français parfait, était collaboratrice d’Alexia Bertrand, alors au cabinet de Didier Reynders. Où travaillait David Leisterh. Aujourd’hui aux ressources humaines chez Axa, elle est, glisse-t-il en lui pressant la main, «mon cerveau». Ça lui donne un petit coup d’espoir: «On est allés partout, dans tous les quartiers, de toutes les communes, ce qu’on n’avait pas fait il y a cinq ans. Tous les sondages sont bons, tous les retours aussi.» On entend presque qu’il se persuade, in petto, que ça le fera, allez, ça va le faire.

Samir ouvre les portes latérales du van à 17h32, devant «le parti», avenue de la Toison d’Or. Ascenseur jusqu’au 8e étage, celui de la cellule communication. Douze collaborateurs autour d’une table, nez sur leur ordi. Pour les premiers résultats, partiels, les premières estimations, les premières projections. Interview avec RTL-TVi, sur place. Coucou à l’un, bisou à l’autre. Et retour au van, qui démarre à 17h49, direction la RTBF. Pas grand-chose encore à dire mais «ça va m’occuper, ça prendra la place du stress de l’attente». Le cou va mieux, depuis le massage, mais quand même, «j’ai une boule, là. Je suis angoissé, parce qu’il y a tout ce boulot, les équipes, tous ces gens derrière moi, les enjeux. Je porte quand même la responsabilité de ce qui se passer. Mais les premières tendances ont l’air favorables.»

Les grilles de la télévision publique sont franchies à 18h03. Celui qui est un très grand ami de Georges-Louis Bouchez –ils se sont connus il y a 20 ans, aux Jeunes MR–, au point d’être le parrain de son fils, file au maquillage. A 18h23, il est sur le plateau. Propos prudents mais très assurés, avec notamment une référence à feu «Jacques Simonet, le dernier ministre-président bruxellois libéral, il y a 20 ans» et, au vu des premiers scores, l’analyse qu’ils «sont le reflet de notre travail sur le terrain depuis des mois et de la volonté des Bruxelloises et Bruxellois d’un changement radical» à la gouvernance de la Région.

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Le soulagement d’après 19 heures

A 19h07, sortie du studio, où va bientôt entrer Hadja Lahbib. A 19h26, Samir remet le cap vers la Toison d’Or. David Leisterh garde les yeux sur son smartphone et on peut observer qu’il se relâche, progressivement. C’est que «les cantons où d’habitude on perd beaucoup, c’est pas le cas aujourd’hui». On en est à 65% de dépouillement et le premier des trois gros défis est relevé: «Pour le parti, ce n’est clairement pas une défaite. Mais il n’y a pas encore de résultats personnels.» Un ange passe dans l’habitacle: «Si je ne fais pas un bon score, si elle fait trois fois plus de voix que moi, je suis prêt à lui laisser la place.» De ministre-président, au cas où elle échoit au MR.

En attendant, il est 19h40 et c’est le moment de passer un coup de fil à Louis Michel, qui a déjà essayé quatre fois de le joindre. Rires, vouvoiement, remerciements. Et une question: «Vous pensez que je dois l’appeler maintenant ou j’attends encore? D’accord.» Au revoir et appel à François De Smet, président de DéFi et «ami de longue date», pour qui les choses ne s’annoncent pas folichonnes. «Comment tu te sens? Je suis là, hein.»

«Les 1.900 voix de 2019, ça avait été une déception, énorme. Les journalistes n’ont jamais cessé de me le rappeler.»

Le triomphe d’après 20 heures

Revoilà le siège du parti. Il est 19h46. Au 8e étage, il y a maintenant, dans une petite pièce, «qui était le QG de notre campagne», les cinq collaborateurs les plus proches –«sur une team de 100 personnes, au total»– du Boitsfortois. Transmission de résultats, de répartition actuelle des sièges. Mines plus qu’optimistes. D’où qu’elles viennent, les nouvelles sentent bon. Un petit chocolat en forme de ballon de foot, Willy Borsus qui déboule en ne disant «pas non à un petit café», et go au 9e: celui de la présidence, où Georges-Louis Bouchez, en bras de chemise, analyse les chiffres et prépare son discours avec sa garde rapprochée, dont Valentine Delwart, la secrétaire générale du MR. Le succès se précise. Puis vire au triomphe. «Je suis heureux», souffle David Leisterh, rassuré et picorant quelques amuse-bouche. A 20h34, La Libre lui demande par WhatsApp une réaction. Cinq minutes pour trouver la bonne, avec deux de ses chargés de com, «parce qu’il faut qu’elle soit marquante». On réfléchit, on suggère «après 20 ans d’opposition», on avance «prendre la main», en tout cas «c’est un plébiscite» doit y figurer. David Leisterh s’interroge. Ça donne: «Les Bruxellois ont donné un mandat clair au MR pour prendre la main. C’est un plébiscite. Bruxelles va sourire à nouveau.» In extenso sur le site du quotidien, dans les cinq minutes.

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La liesse d’après 21 heures

Entre les coups, réponses aux questions de Bx1, toujours là, et par téléphone à celles du Soir, de Sudinfo et de La DH. A 21h07, Bouchez dit que le discours sera pour 21h30, 21h45, «parce qu’il y a d’abord Magnette, dans 20 minutes, puis Les Engagés puis nous, on a le dernier slot parce qu’on a gagné». Une victoire à la joie encore très maîtrisée. On cherche la musique sur laquelle entrer au Coco-Bar, un peu plus haut, où les militants ont commencé la fête. RTL-TVi souhaite que Leisterh vienne vers 22h15. «Pas avant 23 heures», il répond. Parce que «le discours présidentiel, hors de question de le louper. La photo sera historique. Et puis, ma maman y est.» A 21h18, interview à l’équipe de La Une dépêchée sur place. «C’est un pari réussi, pour moi et pour Georges-Louis Bouchez. Notre positionnement a été très clair, sur la mobilité, la sécurité, l’emploi. On va entamer les contacts avec les autres pour un programme précis et chiffré, parce que c’est urgent pour Bruxelles.»

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A 21h32, Hadja Lahbib arrive. Accolades. Huit minutes plus tard, tout le monde descend jusqu’au rez, la trentaine de collaborateurs par l’escalier, le président et ses deux ténors bruxellois par l’ascenseur. Remontée de la Toison d’Or, à pied. GLB et son épouse, Hadja Lahbib et sa fille, David Leisterh et Julie. Main dans la main. Caméras papillonnant autour. A 21h45, arrivée au Coco et son rooftop. Plein à craquer – «Y a au moins 500 personnes et on peut en mettre que 250-300», se lamente le gars de la sécurité. Ovations. Cohue. Champagne. Sono à fond. Discours à 21h52. «Historique… Merci… Premier à Bruxelles… Premier en Wallonie…» Le grand gamin un peu raide est maintenant radieux, sur l’estrade, derrière son patron-pote (et sa concurrente interne), à battre des mains, à côté de Valérie De Bue, Sophie Wilmès et David Clarinval. Devant une foule qui hurle, lance des papiers dorés et exulte.

Le rugissement d’après 22 heures

David Leisterh étreint longtemps sa maman. On lui tape dans le dos. Il décolle du sol Valérie Glatigny, abandonne en douce la flûte de bulles qu’on lui a refilée et se fraie un chemin vers la sortie, entre embrassades, selfies et vivats. A 22h32, le revoilà dans le van. Toujours avec Julie mais avec sa team en plus. Direction RTL. Les scores perso sont presque tous là. On additionne. «Les miens et ceux d’Hadja, please.» Il manque Ganshoren, Anderlecht et Molenbeek, mais on est «à près de 20.000»! Elle, très loin derrière. Rugissement. «We did it!»

A 22h44, entrée à la télé privée. Maquillage rapide, verre d’eau et studio. A 22h55, le plus que probable prochain ministre-président bruxellois, «si la démocratie est respectée», déclare qu’il faut «former un gouvernement le plus rapidement possible», avec Les Engagés, puisqu’«il y a de nombreux points sur lesquels on peut se retrouver assez facilement, socioéconomiques mais pas seulement», qu’«il serait maladroit de ne pas discuter avec DéFi» mais que cette coalition «ne suffit pas arithmétiquement», donc «je n’exclus rien». Autrement dit: on prendra le pouls du PS d’Ahmed Laaouej puisqu’on n’a pas de majorité sans lui.

A 22h59, c’est déjà fini. Impossible décidément, pour Samir, de profiter tranquille de Game of Thrones, tiens, tiens, qu’il visionne entre les trajets: on repart pour le Coco. En route, interview à L’Echo puis confidence: «Laaouej a appelé. Très fair-play. Et impressionné par mon score.» A 23h16, replongée dans la fête. Rangs éclaircis mais ferveur pas émoussée. David Leisterh s’entend donner du «Monsieur le ministre-président», du «boss», du «t’es le meilleur» et reprend une fournée de câlins et une tournée de selfies. Il répond inlassablement «merci et bravo pour tout le travail». A 23h59, Yacine, son responsable com, lui annonce qu’«on est à plus de 20.000 voix, c’est certain!». Les deux se font un high five, comme au basket après un panier décisif. Seul le chef de file des socialistes bruxellois fait mieux.

«On est à près de 20.000! Elle, très loin derrière.» Rugissement. «We did it !»

La métamorphose d’après minuit

Dix minutes plus tard, il file à l’anglaise –«J’ai besoin de sommeil, normalement sept heures mais je suis attendu demain à 6h45 sur La Première, puis LN24, Vivacité et Bx1.» Samir a éteint la radio. Julie vérifie le fil info. Lui, ses messages. «Plus de 1.000, entre SMS, WhatsApp, Insta, LinkedIn et Messenger.» Il dit ressentir «beaucoup de joie», même si ça ne se voit guère. Qu’«un moment comme ça, on ne le vit qu’une fois dans une carrière politique». Et surtout que ça lui fait songer à ses études. «J’arrivais à Bruxelles de mon petit village du Namurois, Coutisse, pour faire traducteur-interprète, à l’Isti. Anglais-néerlandais. Je ne parlais ni l’un ni l’autre. A la proclamation des résultats, on commençait par les meilleurs. Les deux premières années, j’étais tout à la fin, avec deuxième session. La troisième, j’étais au milieu. La dernière, c’est mon nom qu’on a d’abord appelé. Grande distinction, en prime.» Mais «ce soir, pour la première fois, je me dis que je peux vraiment avoir confiance en moi».

Il est 00h35. Dans ce paisible quartier de Watermael-Boitsfort, tout est endormi. David Leisterh rentre dans sa maisonnette. Et il n’est plus le même homme que lorsqu’il l’a quittée, sept heures plus tôt.

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