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Nouveau gouvernement français: «Bayrou peut envoyer tous ses ministre en vacances jusqu’en 2027»

Sylvain Anciaux

François Bayrou a nommé, lundi soir, un nouveau gouvernement français. Pour François Gemenne, celui-ci ressemble «à l’inverse du renouveau» promis par Emmanuel Macron lors de son ascension. Le président scelle son destin au bon vouloir de l’extrême droite.

«Le Premier ministre m’a informé ce matin, contrairement à ce qu’il m’avait proposé hier, qu’il n’était plus en mesure de me confier la responsabilité du Ministère de la Justice en raison de l’opposition du Rassemblement National. En dépit de ses nouvelles propositions, je refuse de participer à un gouvernement de la France formé avec l’aval de Marine Le Pen.» Le ton était donné, une heure avant l’annonce du casting gouvernemental, par Xavier Bertrand, président de la Région des Hauts-de-France. Pas réputé comme un intransigeant antifasciste, la tempête de questions sur ce que préparaient François Bayrou et Emmanuel Macron s’emballait alors.

Réponse: une brochette de noms biens connus, dont certains que les Français pensaient ne plus revoir de si tôt au premier rang. Elisabeth Borne (Education Nationale), Gérald Darmanin (Justice), Aurore Bergé (Egalité hommes-femmes), notamment. «On ne peut pas dire que cela déclenche l’enthousiasme, commente le politologue François Gemenne. Cela donne un peu l’impression que l’on a rappelé les vieux de la vieille. Le symbole le plus fort de tout cela, c’est Manuel Valls (NDLR: chargé des Outres-Mer)

L’avenir de Macron lié à la justice

Mais le gouvernement Bayrou est aussi un gouvernement vacillant, et ce dès le premier jour. Beaucoup lui vouent un destin aussi court que celui formé, dans la douleur, par Michel Barnier. Dès ce lundi soir, les Insoumis annonçaient une motion de censure une fois la déclaration de politique générale déposée. Il faudra, pour cela, obtenir les votes du Rassemblement National. Comme ce fut le cas pour faire tomber l’équipe Barnier. Mais selon François Gemenne, les choses ne sont pas spécialement amenées à se répéter.

La clé de l’avenir politique français ne se trouve ni à l’Elysée, ni au Palais bourbon (qui abrite l’Assemblée Nationale), ni à Matignon (d’où travaille le Premier ministre). Elle se trouve peut-être au Palais de Justice de Paris et sera délivrée le 31 mars, à l’issue du procès des assistants parlementaires du RN. Pour rappel, la présidente du parti d’extrême droite, Marine Le Pen, y a passé un automne compliqué, avec 24 autres prévenus, dans le cadre de l’affaire des détournements de fonds européens au profit de sa campagne présidentielle de 2017. Le parquet a requis une peine d’inégibilité, assortie de cinq ans de prison dont deux ferme aménageables et de 300.000 euros d’amende. «Suite à cela, on peut s’attendre à des recours dans tous les sens, ponctue François Gemenne. Tout dépend si ces recours suspendent inéligibilité ou non. Justement, Gérald Darmanin, qui vient d’être réintégré au gouvernement comme ministre de la Justice comme par hasard, estime que ces recours ne sont pas suspensifs.» Dans un tel contexte, le Rassemblement National aurait tout à y gagner à se laisser respirer jusque 2027. «D’autant plus que les Français aspirent à la stabilité. Ils sont fatigués, et les électeurs du RN ont vu leur parti comme un créateur de désordre, ces derniers mois.»

Un rendez-vous (volontairement) manqué à gauche

Emmanuel Macron aurait pu s’économiser un tel casse-tête s’il avait soumis son sort (puisqu’il fallait bien le soumettre, faute de majorité à l’Assemblée) à celui de la gauche. «Mais son ambition est détruire la gauche, assure François Gemenne. Le président ne veut donc pas lui faire le moindre cadeau, car il a peur qu’elle solde le macronisme.»

Pour donner des airs conciliants au nouveau gouvernement, deux anciens socialistes y sont flanqués, Manuel Valls et François Rebsamen (fondateur de la Fédération Progressiste, suite à une scission du PS). Sans succès, visiblement. «Il y a un véritable arrivisme dans la gauche réformiste française, alors que ce pays vote historiquement à droite, continue François Gemenne. Si vous êtes de gauche et que vous voulez faire carrière dans les institutions politiques, vous êtes en quelque sorte condamné à trahir votre mouvement.»

D’autant plus qu’à l’extrême droite, Emmanuel Macron peut compter sur de très proches soutiens pour se maintenir à flot. «Brigitte Macron serait considérée comme plus à droite que Georges-Louis Bouchez, en Belgique, note le chercheur belge. Le Président repose sur le Rassemblement National grâce à son amitié avec Philippe De Villiers (NDLR: un influent milliardaire conservateur), Bruno Retailleau ou encore Patrick Stefanini.»

Le gouvernement Bayrou ne tombera peut-être pas aussi vite que le gouvernement Barnier, donc. «Mais l’opposition a plutôt intérêt à le laisser couler tout seul. Et le Premier ministre n’a pas intérêt à faire la moindre réforme, ponctue François Gemenne. Une fois qu’il a réussi à faire passer un budget, il peut envoyer tous ses ministre en vacances jusqu’en 2027.» Ce serait la stratégie de la stabilité, mais depuis la dissolution prononcée le 9 juin dernier, ce mot semble presqu’interdit dans l’Hexagone.

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