Néonazis, antifascistes, écolos… Quand les vêtements deviennent politiques
Le choix de ses habits peut en dire long sur ses préférences politiques, que ce soit délibéré ou non. Certaines marques, elles, ont été associées à des causes bien malgré elles.
Dis-moi ce que tu portes, je te dirai pour qui tu votes. Attention, formulée de la sorte, une telle assertion laisse la porte ouverte à tous les clichés. Il n’est pas certain, même s’ils existent, que tous les spécimens porteurs de montres Rolex, mocassins à glands et pull posé sur les épaules soient de droite. Il n’est pas indispensable non plus que chaque individu affublé d’un sarouel, d’une blouse en lin et de Birkenstock vote à gauche, ou écolo, ou les deux. De telles considérations seraient réductrices. Les vêtements, les chaussures, les accessoires, les marques portés peuvent cependant dénoter l’appartenance à une catégorie sociale, certes, mais aussi l’expression de valeurs, de convictions, voire d’orientations politiques. Ce n’est pas qu’une vague intuition, ni qu’une accumulation de clichés. Cela fait l’objet d’études marketing les plus sérieuses, portant sur «les marques comme vecteur d’expression de soi», comme l’indique Gordy Pleyers, professeur de marketing à la Louvain School of Management (UCLouvain).
«Le fait de s’afficher avec certaines marques peut être, pour certaines personnes, une façon d’exprimer implicitement à d’autres individus des choses sur elles-mêmes: leur personnalité, leurs valeurs, leurs aboutissements. C’est lié au fait que nous avons tendance à faire des déductions sur d’autres que soi en fonction notamment de leurs possessions», résume-t-il.
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On pense spontanément aux signes extérieurs de réussite. Porter une Rolex au poignet «n’est pas motivé simplement par le fait d’être toujours à l’heure, mais plutôt par le désir de montrer qu’on peut se permettre une telle montre, illustre Gordy Pleyers. Certaines marques peuvent être des instruments d’expression d’un certain statut. C’est intéressant car dans les sociétés anciennes, chaque personne avait dans la hiérarchie sociale un statut bien établi, obtenu par la naissance ou par la richesse. Dans nos sociétés modernes, les personnes qui souhaitent exprimer un certain statut ont notamment la possibilité de le faire au travers de possessions matérielles et de marques bien visibles.»
Il ne s’agit pas uniquement d’afficher une certaine opulence. Les études sur le sujet démontrent à quel point les marques peuvent aussi incarner, pour ceux qui les portent, l’expression de leur personnalité. Ces labels-là sont dotés de ce qu’on appelle une «personnalité de marque», peu ou prou élaborée au moyen d’outils du marketing. «Il a été démontré que les gens ont tendance à vouloir des marques qu’ils estiment cohérentes avec leur identité, leurs valeurs ou leur style de vie, notamment car ces marques permettent d’exprimer aux autres ces éléments sur soi. Ainsi, les utilisateurs d’Apple peuvent aimer en afficher le logo (sur leur voiture, par exemple) pour exprimer le fait qu’ils sont sensibles à la créativité, à l’innovation, à l’élégance», illustre encore Gordy Pleyers.
Dans un registre vestimentaire, précisément, «un autre exemple intéressant concerne la marque Patagonia, connue pour ses pratiques éthiques et ses initiatives écologiques, ce qui explique que ses vêtements puissent être achetés et portés pour exprimer que la cause environnementale nous tient à cœur». Un raisonnement similaire vaut certainement pour Veja, fabricant français de chaussures défendant les principes du commerce équitable et du respect de l’environnement. Quiconque porte des Veja affiche très probablement son propre intérêt pour ces enjeux et pose des actes d’achat en conséquence.
«Les gens ont tendance à vouloir des marques qu’ils estiment cohérentes avec leur propre identité.»
D’autres vêtements sont plus explicites, simplement parce qu’ils reprennent un slogan à caractère politique ou le visage d’une personnalité. Des tee-shirts parés de celui du Che, malgré leur côté gadget, se nichent dans bien des garde-robes. Les campagnes présidentielles menées par Barack Obama, aux Etats-Unis, ont donné lieu à une panoplie de créations à son effigie, lui qui a pratiquement été élevé au rang d’icône. Les tee-shirts affichant son visage ou barrés de son nom ont fleuri –la marque Zadig & Voltaire en a par exemple mis une version sur le marché. Des créateurs tels que Diane von Fürstenberg ou Derek Lam avaient eux aussi cédé à ce qu’il convenait d’appeler «l’Obamania».
Certaines marques délivrent un message politique un peu plus subtilement. En tant que label californien évoquant le grand air et la montagne, Patagonia, encore elle, avait en 2020 doté une de ses collections d’étiquettes affichant le message «vote the assholes out», recommandations invitant les Etats-Uniens à se rendre aux urnes pour «virer les connards». En ligne de mire, Donald Trump. «Cela s’adresse à tous les politiciens, quel que soit leur parti, qui nient ou minimisent la crise climatique et ignorent la science [… ] parce qu’ils ont les poches pleines de l’argent du pétrole et du gaz», contextualisait la marque à l’époque.
Dans un tout autre registre, quelques noms font florès auprès des cercles d’extrême droite ou néofascistes. L’accoutrement un peu caricatural –crâne rasé, bomber et combat boots– a laissé place à des tenues de gendre idéal, normalisation oblige, en privilégiant quelques marques. En Italie, Pivert, créée il y a une petite dizaine d’années par un entrepreneur romain (et fasciste), est délibérément devenue un signe d’appartenance.
Mais l’association à une cause politique n’est pas toujours intentionnelle. Certaines ont même fort à faire pour se débarrasser d’une image embarrassante. Un exemple éloquent: Lonsdale. La marque londonienne a abondamment été portée dans les groupes d’extrême droite. La succession des lettres «NSDA» dans son logo, rappelant le «NSDAP» du parti nazi, a quelque fois été avancée comme explication. Au cours du dernier quart de siècle, Lonsdale a de nombreuses fois cherché à se départir de cette appropriation, au moyen de slogans prônant la tolérance ou en s’associant à des causes ou clubs sportifs très peu susceptibles d’être sympathiques au yeux de cette clientèle.
Les baskets New Balance, elles, ont été au cœur d’un bad buzz en 2016, lorsqu’elles ont fait l’objet d’une appropriation par les supporters de Trump, désignées «chaussure officielle des blancs» selon un site populaire d’extrême droite, et faisant par conséquent l’objet d’un rejet au sein de l’autre bord politique. Sale histoire.
Les marques Ben Sherman ou encore Fred Perry ont connu des associations similaires, malgré elles. Cette dernière constitue d’ailleurs un cas intéressant d’appropriation à la fois par des milieux d’extrême droite et des mouvements antifascistes. Faisant partie de l’attirail de la culture skinhead, les polos britanniques ont vu leur destinée liée à l’évolution d’une culture qui, à ses origines, dans les années 1960, n’était pas particulièrement politisée. Puis les skins ont vrillé tantôt vers la gauche radicale, tantôt vers l’extrême droite, tout en conservant leur look. En fondant sa ligne durant l’après-guerre, le tennisman Fred Perry n’imaginait sans doute pas donner naissance à des objets devenus identitaires.
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