Négociations fédérales, pourquoi ça patine? En coulisses, le duel entre Rousseau et Bouchez (analyse)
Après un nouveau rapport royal, le formateur fédéral Bart De Wever a vu sa mission prolongée de trois jours. Un délai court, durant lequel il devra rassembler deux adversaires à la table des négociations: Conner Rousseau, le président de Vooruit, et Georges-Louis Bouchez, le président du MR.
Les aiguilles de la montre du formateur Bart De Wever tournent. Le président de la N-VA aurait bien aimé pouvoir les arrêter, ce lundi 19 août, lors de son rapport attendu chez le roi Philippe. Mais, faute d’accord avec les quatre autres partis amenés à composer le prochain gouvernement fédéral (cd&v, MR, Vooruit, Les Engagés), l’Anversois s’est vu accorder un délai supplémentaire de trois jours par le souverain. Bart De Wever s’est fixé une deadline pour l’aboutissement du gouvernement fédéral: le 20 septembre prochain. C’est aussi ce jour-là que la Belgique devra transmettre à la Commission européenne son plan budgétaire pour réduire le déficit public. Seconde ligne de mire, le 13 octobre, jour des élections communales et provinciales.
«Le clivage gauche-droite se manifeste au cœur de ces négociations fédérales»
Jean Faniel, le directeur général du Crisp
Réunis ce 18 août jusque tard dans la nuit, les cinq partis autour de la table des négociations fédérales ne sont pas parvenus à trouver un accord. Si Vooruit semblait convaincu par les adaptations du formateur Bart De Wever à sa ‘supernota’ – qui en est à sa quatrième version – c’est le MR qui aurait cette fois ralenti la marche du formateur. Ont été ajoutés à la ‘supernote’ des éléments plus favorables au parti le plus à gauche de ces négociations (Vooruit), comme une taxe de 10% sur les plus-values des actions et obligations. Pour le MR, cette version du texte est «trop à gauche».
«On ne sait pas exactement quelles concessions ont été faites, mais il s’agit probablement d’une contribution plus importante de la part des riches/entreprises et d’une augmentation des revenus du travail pour les actifs. Ces revenus seraient réglementés par des propositions fiscales», précise le politologue Carl Devos (UGent). «Le clivage gauche-droite se manifeste au cœur de ces négociations fédérales, analyse Jean Faniel, le directeur général du Crisp, le Centre de recherche et d’information socio-politique. Mais Vooruit n’est pas isolé pour autant: Les Engagés et le cd&v semblent assez réticents à une série de mesures du formateur, qui sont soutenues par le MR.»
Négociations fédérales: pourquoi Rousseau et Bouchez s’affrontent
Pour l’instant, Bart De Wever est entravé dans sa marche par deux gros cailloux: Vooruit dans sa chaussure gauche, et le MR dans sa chaussure droite. Chacun critiquant tour-à-tour la note en fonction de son orientation politique, trop à droite ou trop à gauche selon les points de vue. En coulisses, un match dans le match entre les présidents Conner Rousseau et Georges-Louis Bouchez semble s’être installé.
«Vooruit et le MR sont les principaux adversaires, non seulement sur le plan idéologique, mais aussi sur le plan personnel»
Carl Devos (UGent)
«Vooruit et le MR sont les principaux adversaires, non seulement sur le plan idéologique, mais aussi sur le plan personnel, estime Carl Devos. Il y a des confrontations personnelles entre le duo Rousseau/Depraetere et Bouchez. Les reproches personnels du duo socialiste à l’égard de Bouchez sont particulièrement persistants. Bouchez semble également vouloir se venger, il s’est déjà fritté avec le PS. Maintenant avec Vooruit? Il veut mettre Vooruit dans la même situation que le MR pendant le règne de la Vivaldi, législature durant laquelle les tensions entre Rousseau et Bouchez ont débuté. La situation doit être résolue dans les semaines à venir, sinon elle troublera le gouvernement tout au long de la législature».
Groen à la rescousse de Bart De Wever?
Alors que les négociations fédérales semblent patiner, difficile à l’heure d’écrire ces lignes de savoir si l’avenir de cette potentielle coalition de centre-droit est menacé. «Vooruit, et dans une moindre mesure Les Engagés et le cd&v, peuvent vouloir faire de la résistance afin de peser sur le processus, continue Jean Faniel. Mais aucun partenaire n’exprime pour le moment de signal alarmant.»
En cas d’échec des cinq partenaires, qui pourrait éventuellement faire l’appoint? Ce lundi matin, la coprésidente des écologistes flamands de Groen a entrouvert une porte sur les ondes de la radio publique flamande. Nadia Naji a assuré qu’ils «prendront leurs responsabilités si nécessaire», tout en affirmant «ne pas émettre de veto à l’avance, mais que cela dépendra du contenu de l’accord». Prudente, la coprésidente de Groen a tout de même précisé que le texte ne satisfaisait pas sa formation pour le moment.
«Les écologistes flamands cherchent peut-être à mettre de l’huile sur le feu de ces négociations, pour autant qu’il y en ait»
Jean Faniel, le directeur général du Crisp
«Les écologistes flamands cherchent peut-être à mettre de l’huile sur le feu de ces négociations, pour autant qu’il y en ait, hypothétise Jean Faniel. Cette sortie me surprend en tout cas, au vu des relations compliquées entretenues avec la N-VA aux niveaux flamand et fédéral.» Selon une source qui souhaite rester anonyme, Groen tenterait stratégiquement de mettre la pression sur Vooruit, qui ralentit depuis plusieurs semaines la formation gouvernementale.
De son côté, le politologue Carl Devos ne croit pas du tout à un gouvernement fédéral incluant Groen. «En cas d’échec des cinq partenaires, il n’y a aucun scénario dans lequel les Verts pourraient jouer un quelconque rôle. Ils veulent se montrer responsables, car chacun des partis a déjà les yeux tournés vers les élections communales du 13 octobre.» Le seul cas qui aurait pu voir émerger les écologistes flamands dans une majorité est celui d’une reconduction de la Vivaldi. Sauf que cette piste est loin d’être à l’ordre du jour: l’Open Vld du Premier ministre sortant Alexander De Croo n’en veut pas, tout comme la N-VA de Bart De Wever, sorti premier parti des dernières élections fédérales.
Ou l’Open Vld?
Et si l’Open Vld se joignait à une autre coalition? Là aussi, cette possibilité est très mince, voire inexistante dans le cadre des négociations fédérales. En effet, les deux candidats à la présidence des libéraux flamands – Eva De Bleeker et Vincent Verbeke – ont déjà écarté une éventuelle participation au pouvoir de leur formation. Jean Faniel évoque la situation inconfortable dans laquelle se trouve l’Open Vld: «Numériquement, ils ne sont pas nécessaires à la majorité fédérale. Et leur participation ferait pencher la coalition encore plus à droite, ce qui risque de ne pas plaire à Vooruit.» Mais en restant dans l’opposition, les libéraux flamands devraient quand même perdre des plumes. «Le risque pour eux est de voir leur programme réalisé par le gouvernement, mais sans eux, poursuit le directeur général du Crisp. Ils vont avoir du mal à tirer leur épingle du jeu politique, car cette issue montrerait aux électeurs que leur parti n’a plus de raison d’être.»
“Théoriquement, la participation de l’Open Vld au gouvernement n’est pas exclue”
Carl Devos (UGent)
Il y a quand même un scénario dans lequel Carl Devos imagine l’Open Vld au pouvoir: «Si aucun gouvernement n’a été formé avant le scrutin du 13 octobre, et que les libéraux y obtiennent de bons résultats. Encore faut-il que la confiance au sein même du parti soit rétablie, et que celui-ci soit nécessaire pour la formation d’un gouvernement. Théoriquement, ce n’est pas exclu. Mais cela me semble très improbable».
Négociations fédérales: qu’attendre des prochains jours ?
«D’autres éléments essentiels restent encore à régler, rappelle Jean Faniel. En plus du volet socio-économique, il y a le volet institutionnel si cher à la N-VA, qui n’est pas prête à lâcher le morceau.» «On ne sait pas comment vont se traduire ces velléités communautaires dans la réalité, concède Carl Devos. Cela restera-t-il une simple déclaration d’intention dans l’accord de coalition? De Wever avait pourtant juré de ne plus jamais le faire. Quoi qu’il en soit, il peut compenser l’absence de confédéralisme en proposant de nombreuses autres réformes».
Selon nos confrères de la VRT, le président de la N-VA lui-même voudrait mettre la pression sur les partenaires, avec un délai désormais très court pour négocier le prochain gouvernement. Un point de vue partagé par le politologue flamand: «Pour garder la formation fédérale à l’écart des élections communales et provinciales, le formateur a tout intérêt à accélérer le tempo.»
Rendez-vous ce jeudi 22 août en soirée, à l’occasion d’une nouvelle audience royale pour Bart De Wever, qui a trois fois vingt-quatre heures devant lui pour que les aiguilles de sa montre s’arrêtent, le temps que s’évapore la fumée blanche du futur gouvernement fédéral.
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