MR-Les Engagés: ces 15 désaccords qui vont pimenter leur coalition
S’ils sont idéologiquement assez proches, Les Engagés et le MR gardent de nombreuses divergences qui vont représenter autant d’obstacles à l’établissement de leur coalition.
Mardi, les libéraux et les humanistes ont fièrement annoncé la formation d’une «union sacrée» afin de prendre le pouvoir ensemble. Le gouvernement wallon leur semble acquis, avec 43 députés sur 75, et celui de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) devrait suivre. Ils partent également avec une bonne base pour négocier avec des formations flamandes, notamment de droite, afin de conquérir le fédéral. Pour ensuite s’accaparer le gouvernement bruxellois?
En résumé, tout semble sourire au nouveau duo gagnant de la politique belge francophone. Cela ferait presque oublier que pendant des mois, ils étaient adversaires sur les plateaux de télévision. Mercredi soir, l’ambiance était plus détendue lors du «débat des gagnants» organisé par Sacha Daout lors de son émission «QR» sur La Une. Mais sur le fond, leurs divergences restent d’actualité et elles ne sont pas anecdotiques. Selon le test électoral conçu par l’UCLouvain et l’UAntwerpen, les deux partis s’opposaient sur 28% des 250 questions qui leur ont été soumises. Il va donc falloir déminer de nombreux dossiers s’ils veulent se positionner sur plusieurs sujets sensibles.
Environnement
Pendant la campagne, Les Engagés ont voulu se donner une image plus verte que celle du MR, d’où de nombreux contentieux entre eux. Globalement, les libéraux veulent moins de contraintes environnementales: pas de taxe sur les courtes distances en avion, pas d’interdiction du glyphosate, pas de sanction pour les pays de l’Union européenne (UE) ne produisant pas une part minimale d’énergie verte, pas d’arrêt des subsides à l’élevage intensif des animaux. Autant de points sur lesquels les Engagés ne sont pas d’accord.
Mais ces questions sont surtout traitées au niveau européen, où une majorité de droite s’est formée suite aux élections de ce 9 juin. En général, ces formations rejoignent les positions du MR, à l’instar du Parti populaire européen (PPE) auquel appartiennent… Les Engagés.
Au niveau régional, ces derniers peuvent néanmoins tenter de faire des percées, par exemple sur la question des consignes sur les canettes, un combat de longue date porté par les humanistes. «Sauf erreur, l’ancien ministre de l’Environnement, Carlo Di Antonio, fera partie des négociateurs, particulièrement pour les aspects environnementaux au niveau wallon, explique Benjamin Biard, chercheur au Centre de recherche et d’information socio-politique (CRISP). Les libéraux n’étant pas de farouches opposants sur ce dossier, cela peut se concrétiser de différentes manières.».
Emploi
Au MR, les chômeurs sont dans le viseur. Après deux ans sans emploi, ils pourraient être contraints d’effectuer des travaux d’intérêt général. Et s’ils refusent un job qui leur est proposé en Flandre, ils auront une sanction. Des mesures inacceptables pour Les Engagés, pour qui il faut inciter à revenir sur le marché du travail, pas punir. «Il faudra aussi s’attendre à une mobilisation syndicale sur ce sujet, prédit Benjamin Biard. Cela dépendra de si le nouveau gouvernement rassemble tous les acteurs ou s’en tient à sa ligne. N’oublions pas que si le MR a des liens distants avec le syndicat libéral, Les Engagés ont des rapports historiques forts avec la CSC, même si cela s’est distendu avec le temps».
Les deux partis s’opposent également lorsqu’il est question de certaines classes de travailleurs. Le MR veut notamment supprimer la limitation du nombre d’heures de travail pour les étudiants jobistes. Les humanistes ne s’opposent pas à une augmentation, mais ils ne veulent pas aller aussi loin.
Par contre, ce que l’ancien cdH voudrait bien, c’est imposer l’obligation de prendre son congé parental. Mais là, c’est au tour des libéraux de refuser. «Le congé de naissance est un droit, pas une obligation», ripostent-ils.
Economie
La question des aides financières à accorder à tel ou tel secteur s’annonce elle aussi explosive. Vis-à-vis des entreprises, Les Engagés en veulent plus pour les PME wallonnes, et moins pour celles qui licencient beaucoup de travailleurs alors qu’elles font des bénéfices. Sur ces deux points, le MR oppose une fin de non-recevoir.
“Les Engagés vont entrer en conflit avec la volonté du MR de maîtriser les dépenses publiques”
Les libéraux proposent pour leur part deux mesures : donner davantage aux petites communes par rapport aux grandes, et ne pas augmenter les dépenses de santé plus vite que la croissance économie. Dans le premier cas, Les Engagés répondent que toutes les communes, petites ou grandes, doivent être aidées. Sur le second, ils estiment cette proposition illogique. Cela va vraisemblablement être un grand sujet de tension pour la coalition à venir. «Les Engagés ont fait de la santé une priorité pendant leur campagne, rappelle Benjamin Biard, et ils vont entrer en conflit avec la volonté du MR de maîtriser les dépenses publiques».
Impôts
Pour le MR, c’est simple: il faut moins d’impôts en Belgique. Pas question donc de demander aux grosses fortunes et aux grosses entreprises étrangères d’en payer davantage. Il faudrait par ailleurs diminuer l’imposition des personnes vivant seules. Autant de points sur lesquels Les Engagés ne sont pas d’accord. «Les humanistes ont insisté sur la taxation des plus values et l’impôt sur la fortune ciblant les 1 % les plus riches, se souvient Benjamin Biard. Mais il ne sera pas évident de se mettre d’accord avec les libéraux».
Le MR veut aussi que chaque pays de l’UE puisse choisir le niveau d’imposition sur les sociétés. Une mauvaise idée, selon la formation turquoise, qui veut éviter l’effet de dumping fiscal qui en découlerait.
Taxes sur la consommation
Le MR voudrait limiter les hausses de TVA. Problème: Les Engagés voudraient par exemple que les voitures de société soient taxées comme le reste du salaire. D’où des tensions.
À l’inverse, le parti turquoise évoque la suppression de la TVA sur les fruits et légumes, pour inciter les consommateurs à avoir une alimentation saine. Mais pour le coup, le MR s’oppose.
Enfin, sur le tabac, un débat agite la coalition: faut-il que tous les pays de l’UE taxent le tabac de la même façon? Le MR répond oui, afin de lutter contre la concurrence fiscale, mais Les Engagés estiment que ces différences relèvent de la politique de prévention de santé de chaque Etat et que cela doit être préservé.
Jeunesse
Le parti de Maxime Prévot a fait de l’aide aux jeunes un cheval de bataille. Il veut leur donner la gratuité pour les bus et les trains jusqu’à 12 ans et garder des prix très attractifs après (jusqu’à 26 ans pour le train, et en incluant les étudiants pour le bus). Idem pour les protections menstruelles dans les écoles secondaires. Les musées pour les moins de 30 ans: gratuits aussi! Pour les programmes Erasmus, ce n’est pas offert, mais Les Engagés veulent aider davantage les étudiants précarisés. Enfin, ils veulent automatiser les congés lors de leur première année sur le marché du travail. Or côté MR, c’est «niet». «Je pense que l’attachement des Engagés à ces mesures pour les jeunes est lié au maillage associatif assez dense qu’ils se sont constitués, et qui n’est pas tout à fait neutre dans l’équation», explique Benjamin Biard.
“Lors des négociations, le but est de laisser une marge de manœuvre à son partenaire”
Un possible désaccord pourrait également survenir sur le changement de sexe avant 18 ans. Les Engagés refusent cette possibilité. Le MR se montre un peu plus ouvert, surtout à partir de 16 ans, même s’il ne donne pas de consigne de vote à ses parlementaires. Une réserve qui n’augure pas de grands changements.
Vraisemblablement, pour que chacun s’y retrouve, il va y avoir des marchandages. «C’est comme ça que se passent les négociations, constate Benjamin Biard. Le but est de laisser une marge de manœuvre à son partenaire pour en avoir davantage sur d’autres dossiers. C’est toujours plus facile quand il y a moins de partenaires autour de la table, deux en l’occurrence ici.».
Immigration
Concernant les immigrés, les deux partis sont d’accord pour mieux encadrer leur arrivée. La question, c’est comment? Le MR espère mettre fin à l’immigration en aidant davantage les pays de départ ou de transit. Les Engagés proposent plutôt de ne pas reléguer les demandes d’asile aux pays situés à la frontière de l’UE, d’encourager l’immigration pour les métiers en pénurie, et de préserver le revenu d’intégration tel qu’il est.
«Il s’agit principalement ici de questions fédérales, note Benjamin Biard. Et cela dépendra par conséquent des autres partenaires à l’échelle nationale. Mais il est clair que le MR pourrait être plus strict en matière migratoire que Les Engagés».
Sur le voile, le MR veut le bannir de tous les services publics, au nom d’un «devoir de neutralité». Pour Les Engagés, tant que la personne n’a pas de fonction exécutive ou en contact direct avec le public, il n’y a pas de problème.
Logement
Lorsqu’il est question de logements sociaux, les partenaires de l’«union sacrée» se déchirent. Les Engagés veulent de la solidarité en instaurant des quotas dans chaque commune. Puisque le MR n’aime pas les quotas, cela pourrait bloquer.
Institutions
Pour faire simple, le MR veut une grosse simplification administrative. Les compétences de la FWB se résumeraient à l’enseignement et à la culture et les zones de police bruxelloises seraient fusionnées. Chez Les Engagés, ça ne passe pas, même si Maxime Prévot a approuvé l’idée de ministres à double casquette, avec des fonctions à la fois aux gouvernements wallon et communautaire. «C’est le type de compromis que l’on pourrait voir surgir, suggère Benjamin Biard. Surtout qu’avec seulement deux formations politiques, cela devrait être plus facile de distribuer les postes».
Pour le reste, s’il faut faire des économies administratives, c’est en diminuant les salaires des parlementaires, répond l’ancien cdH. Mais là, les libéraux s’y opposent.
Les humanistes proposent toutefois eux aussi une grosse réforme administrative: la suppression du statut de fonctionnaire en Wallonie (sauf pour les fonctions régaliennes), pour avoir plus de flexibilité. Si les libéraux veulent dépolitiser et ergonomiser cette fonction, cela ne doit pas passer par sa disparition.
Aménagement du territoire
Lors des inondations de 2021, l’artificialisation de sols et la présence de logements dans des zones inondables avaient été pointés du doigt. Pour y remédier, les humanistes veulent plafonner la bétonisation en Wallonie et interdire les constructions dans des quartiers pouvant finir sous eaux. Le MR n’est pas d’accord et veut simplement poursuivre les réformes du Code de développement territorial, tout en «responsabilisant» les habitants dans les zones à risque.
Affaires étrangères
Sur la scène internationale, un point provoque des tensions: le conflit israélo-palestinien. Le MR ne veut pas que l’UE s’implique, au contraire des Engagés. Dans le détail, les libéraux acceptent toutefois une «contribution diplomatique à la reprise du processus de paix» et se rapprochent ainsi de leur partenaire.
Mais tout cela se jouera souvent au niveau fédéral et européen, où les négociations impliqueront beaucoup de partenaires. «Il est difficile d’anticiper ce qu’il en sera in fine et des imprévus peuvent surgir, analyse Benjamin Biard. Mais il est clair que le conflit israélo-palestinien sera un sujet important, avec la guerre en Ukraine d’ailleurs».
Justice
Sur le plan judiciaire, il existe deux pierres d’achoppement. La première, c’est la drogue. Les Engagés estiment que les toxicomanes doivent être davantage considérés comme des patients et non comme des délinquants, afin qu’ils sortent de ce milieu. La consommation de cannabis devrait même être légalisée. Tout le contraire du MR, qui veut des sanctions plus dures et se concentrer sur la prévention.
Puis il y a le problème de la fraude fiscale. Cette fois-ci, ce sont Les Engagés qui veulent des sanctions plus fermes, mais le MR se montre réticent.
Consommation
En résumé, Les Engagés veulent beaucoup plus de contrôles sur le plan de la consommation. Il faudrait interdire la cigarette sur les terrasses des cafés, bannir la publicité pour les jeux de hasards, contraindre les banques à augmenter les taux d’intérêt sur l’épargne, interdire les vapes aromatisées, ou encore bloquer l’indexation des loyers des logements mal isolés. Non, non et non, répond le MR. À l’inverse, les libéraux veulent supprimer le compteur à budget. Si une personne ne peut plus payer l’électricité, il ne faudrait plus ce système de prépaiement mais une procédure en justice. Un non-sens, selon la formation de Maxime Prévot.
“Il faudra faire des choix, pointer des priorités”
«Les propositions des partis sur la consommation sont nombreuses et il sera très difficile pour chacun de pouvoir tout mettre en œuvre, affirme Benjamin Biard. Il faudra donc faire des choix à un moment donné, pointer des priorités.».
Santé
Deux problèmes sanitaires provoquent des dissensions entre les deux nouveaux alliés. Tout d’abord, il y a les accouchements. Les Engagés veulent que seuls des hôpitaux spécialisés puissent s’en occuper. Le MR refuse, et il n’est pas le seul. Aucun autre parti ne rejoint les humanistes. Ce qui ne veut pas dire que ces derniers ne pourraient pas arriver à imposer leurs idées, pointe Benjamin Biard: «Cela dépendra de la teneur des négociations, comme on a pu le voir avec le MR qui a réussi à imposer l’idée de prolonger les réacteurs nucléaires au cours de la dernière législature».
L’autre débat, c’est de savoir s’il faut diminuer le montant des pensions des fonctionnaires les plus élevées. Oui, côté turquoise, non, côté bleu.
Médias
S’ils arrivent à la tête de la FWB, la coalition bleue-turquoise va devoir régler un gros contentieux: l’avenir de la RTBF. Les Engagés veulent garantir la diversité du personnel de la télévision publique avec des quotas, que ce soit pour engager un minimum de personnes handicapées ou pour avoir assez de présentateurs d’origine étrangère. Problème: le MR déteste les quotas! De leur côté, les libéraux veulent aider la sphère médiatique privée en taillant dans les subsides accordés à la RTBF. Les Engagés sont contre.
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