Mons, Forest, Molenbeek: comment le PTB s’est retrouvé au pouvoir à la surprise générale (analyse)
Le PTB au pouvoir dans au moins trois communes: ce scénario encore improbable il y a quelques mois s’est finalement concrétisé. Un fameux alignement de planètes aura été nécessaire.
«Le but n’est pas d’entrer dans une majorité pour dire que ça ne va pas marcher. On veut prendre nos responsabilités. On a un accord avec nos partenaires. C’est cela aussi, faire des coalitions. On doit être réalistes.» Voilà des paroles, exprimées lors d’une interview matinale en radio, qui ressemblent à celles d’un président de parti. Un président comme tous les autres, serait-on tenté d’écrire. Ce sont pourtant celles de Raoul Hedebouw, à la tête du PTB depuis bientôt trois ans.
Sa formation s’est muée en parti de pouvoir dans au moins trois communes: aux côtés du PS et d’Ecolo à Mons et Forest et, en attendant l’arrivée éventuelle d’un autre partenaire, du PS à Molenbeek. Peu de monde aurait pourtant misé sur cette participation il y a quelques mois encore. Que s’est-il passé pour que le PTB, considéré comme infréquentable ou insupportable par les autres il n’y a pas si longtemps, passe ainsi par le chas de l’aiguille? Le parti n’a pas fondamentalement changé, ni renié sa radicalité. Simplement, les événements lui ont été favorables.
Même si la symbolique de ces accords de majorité est forte, il faut d’emblée préciser que ce n’est pas complètement une première. Des communistes ont intégré le gouvernement belge durant l’après-guerre, donc bien avant la fondation du PTB en 1979. Dans un contexte très particulier et jusqu’en 1947 seulement, certes, mais en coalition avec les trois familles politiques traditionnelles. Bien plus tard, c’est bien le PVDA, appellation néerlandophone du parti, qui a noué des alliances avec les socialistes à l’échelon communal dans deux entités de Flandre: le district anversois de Borgerhout, dès 2012, et la commune de Zelzate, en Flandre-Orientale, à partir de 2018. C’est désormais en Région bruxelloise et en Wallonie que le parti se frottera à l’exercice du pouvoir.
On s’est associé au PTB non parce qu’on en mourait d’envie, mais parce qu’il fallait «prendre ses responsabilités».
Le PTB au pouvoir: il l’a voulu, le PS l’a accepté
Il convenait, pour ce faire, que les partenaires engagés dans l’aventure le veuillent bien. Le PTB, lui, le voulait, explicitement. Cela a été dit et répété durant la campagne électorale, l’objectif consistait à cibler quelques villes et communes stratégiques, avec l’envie d’y intégrer le collège communal et en tablant sur la formation de majorités de gauche. A l’occasion de son congrès de 2021, rappelle le politologue Pascal Delwit (ULB), «le parti avait rejeté la perspective d’une alliance régionale, mais avait bel et bien accepté l’idée de participer au pouvoir à l’échelon communal».
Il fallait inévitablement que le PS accepte cette éventualité. En réalité, précise encore Pascal Delwit, «le PS n’a jamais dit qu’il ne gouvernerait jamais localement avec le PTB. Ce n’était pas sa volonté», mais cela n’a pas formellement été exclu. Sans grand enthousiasme, des premières discussions évoquant cette possibilité ont eu lieu à l’intérieur du PS, avec les chefs de file locaux, même avant les élections de juin.
A la fin de l’hiver, Paul Magnette avait marqué les esprits en qualifiant les gens du PTB de «couillons», donnant cette impression de fermer la porte au parti qui n’a cessé de le pilonner et avec lequel il reste en profond désaccord sur plusieurs points (de géopolitique internationale, notamment). Dans le même temps, le parti de gauche fut un allié de circonstance des socialistes et des écologistes, dans les semaines suivantes, lorsqu’il s’est agi de réformer le décret Paysage à la Fédération Wallonie-Bruxelles. Surtout, les paroles tenues en pleine campagne électorale, lorsque deux partis se disputent ardemment une part de l’électorat, alors que la question d’une alliance ne se pose pas vraiment, méritent d’être replacées dans leur contexte. Une fois le scrutin passé, c’est une nouvelle réalité qui voit le jour.
Précisément, le scrutin de juin aura sans doute été une étape déterminante dans l’accession au pouvoir du PTB. Le MR est devenu le premier parti du côté francophone du pays et Les Engagés ont connu une très nette ascension, pendant que le PTB ne réalisait pas la percée prédite dans les sondages. Il n’a échappé à personne que, peut-être, le PS s’était trompé de cible, en dirigeant l’essentiel de ses offensives vers sa gauche. C’est ainsi qu’on a nettement moins entendu les socialistes s’en prendre au PTB, dès le début de l’été, les nouvelles coalitions de centre-droit figurant désormais en ligne de mire.
«Il s’agissait de montrer au MR qu’on ne comptait pas immuniser partout les sièges du PTB.»
Le PTB le voulait. Le PS ne le souhaitait pas mais ne l’excluait pas non plus, tant et si bien que malgré les frilosités en interne, le parti a octroyé sa bénédiction aux protagonistes impliqués dans des discussions dans les quelques entités concernées.
Quant aux écologistes, embarqués dans les majorités à Mons et à Forest, c’est peu dire qu’ils n’étaient pour la plupart pas particulièrement enthousiastes à l’idée de s’allier à la gauche radicale. Comme pour les socialistes, le PTB n’est pas devenu du jour au lendemain un partenaire privilégié pour Ecolo qui, rappelons-le, a noué davantage d’alliances avec le MR, par exemple.
L’idée ne plaît pas forcément à tout le monde à l’intérieur du PS et d’Ecolo, qui voient toujours dans le PTB ce parti aux accents populistes et qui a participé à l’atomisation des votes à gauche. D’ailleurs, s’il affirme sa vocation à exercer un pouvoir municipal, le PTB fait lui aussi face à quelques questionnements internes, puisqu’il s’agit incontestablement de s’associer çà et là à des partis institutionnalisés, moyennant des concessions politiques. C’est pourquoi tous insistent sur l’importance des dynamiques locales, dans la constitution de ces coalitions.
Des dynamiques locales
Dans les communes, chacun joue plus ou moins sa partition. Et c’est d’autant plus évident lorsque la présidence du parti a quelque peu perdu de son pouvoir d’influence, en raison de résultats électoraux mitigés. C’est comme cela qu’on se retrouve avec des postures divergentes selon l’endroit où l’on négocie: des alliances avec le PTB dans trois communes, mais une étrange «clause anti-PTB» en province de Liège, où aucune alliance de ce type n’a vu le jour, malgré quelques évocations à Herstal et à Seraing.
A Mons, Forest et Molenbeek, comme peut-être à Schaerbeek demain, la configuration issue des élections communales du 13 octobre est à chaque fois particulière. On s’y est associé au PTB non pas parce qu’on en mourait d’envie, mais parce qu’il fallait «prendre ses responsabilités», comme le veut l’expression consacrée. Ce sont les résultats des urnes qui, tout bonnement, ont rendu l’histoire envisageable.
A chaque fois, les relations interpersonnelles ont également pesé dans la balance. A la ville de Mons, comme l’a fait remarquer le bourgmestre socialiste Nicolas Martin, la cheffe de file locale du PTB, Céline De Bruyn, s’est révélée plutôt conciliante, chacun a pu mettre de l’eau dans son vin. Pareil du côté de Forest, où la tête de liste Simon de Beer est apparue comme un interlocuteur acceptable. A Molenbeek, de surcroît, l’arithmétique électorale et les relations entre les formations politiques rendaient de toute façon le PTB difficilement contournable.
Le parti fait désormais partie des cibles à abattre depuis les bancs de l’opposition.
Les urnes ont parlé
Le chef-lieu du Hainaut, quatrième ville wallonne en nombre d’habitants, illustre bien cette importance des dynamiques locales spécifiques. Là, la campagne s’est à ce point cristallisée sur l’opposition hostile entre Nicolas Martin (PS – Liste du Bourgmestre) et Georges-Louis Bouchez (MR – Mons en Mieux) qu’une association des deux était devenue inconcevable, du point de vue du socialiste du moins. Les Engagés ont opté pour l’opposition. Si les écologistes, en majorité avec le PS durant la mandature écoulée, n’avaient pas perdu deux de leurs quatre sièges, la coalition aurait probablement été reconduite telle quelle. Mais les deux partenaires ne détenant plus de majorité au conseil communal, le PTB est devenu, par la force des choses et en vertu d’un alignement de planètes électoral, un partenaire envisageable.
Il se fait que Nicolas Martin ne représente pas particulièrement l’aile la plus à gauche du PS. Le fait que ce soit lui qui annonce la première des coalitions avec le PTB aura quelque peu atténué les contestations à l’intérieur de son parti. Pour la coprésidence d’Ecolo, ce n’était assurément pas l’option numéro un, mais l’assemblée locale a approuvé le choix. Et on ne transige pas avec la voix de la base chez les verts. Le PTB, lui, axera sa politique locale sur quelques axes forts, dont celui du logement, aussi chacun devrait trouver son compte dans cette tripartite inattendue.
A Forest, on ajoutera que, vraiment, la gauche en général et le PTB-PVDA en particulier ont progressé. «Il y a certes des dynamiques de coalitions spécifiques, en particulier en Région bruxelloise où, par exemple, le MR n’a pas obtenu les maïorats d’Ixelles et Anderlecht, alors qu’il aurait pu les décrocher. Dans le même temps, le PTB a connu une forte ascension, recadre Pascal Delwit. Deux éléments sont intervenus dans le chef du PS. Premièrement, il s’agissait de montrer au MR qu’on ne comptait pas immuniser partout les sièges du PTB. Deuxièmement, il y a eu une volonté de montrer à l’électorat de gauche qu’on tenait compte du message.»
Mons et Forest ont fait parler d’elles, suscitant logiquement l’indignation du centre et de la droite. «Mais je pense que durant la mandature à venir, la focale sera surtout placée sur Molenbeek, parce que c’est une commune que tout le monde regarde», ajoute le politologue. Là, une majorité PS-PTB serait très courte, si bien que la bourgmestre Catherine Moureaux s’est mise en quête d’un troisième partenaire, qui pourrait être la Team Fouad Ahidar, tout à fait demandeuse.
Ainsi en est-il de ces alliances déroutantes, que le suffrage universel a fait entrer dans le champ des possibles. Elles restent marginales, mais hautement clivantes. Personne ne les attendait, sauf peut-être au sein du PTB, qui fait désormais partie des cibles à abattre depuis les bancs de l’opposition. Qui l’eût cru.
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