Farmers take the streets of the European quarters of Brussels city for a protest action against the EU-Mercosur Trade Agreement organized by various European farmers associations, Wednesday 13 November 2024 in Brussels. The organizations fear an increase of South American imports. BELGA PHOTO NICOLAS MAETERLINCK © BELGA

Mercosur: les agriculteurs inquiets face aux «écrans de fumée» des clauses miroirs

Sylvain Anciaux

Après la manifestation organisée par la Fugea à Bruxelles ce mercredi, les agriculteurs wallons reprséentés par la Fwa rencontreront Adrien Dolimont ce jeudi. L’occasion de lui transmettre leurs inquiétudes quant au traité du Mercosur.

Bientôt du bœuf produit selon les règles argentines dans les assiettes belges? C’est en tout cas ce que vise l’accord du Mercosur qui pourrait arriver sur la table du G20 le 18 novembre prochain. Et que l’Europe aimerait signer. Le Vieux continent se heurte cependant à une opposition plus ou moins farouche de certains de ses membres, dont la Wallonie. Le Ministre-Président Adrien Dolimont (MR) annonçait la semaine dernière que la Wallonie ne signerait pas l’accord en l’état. «Nous acceptons les échanges internationaux, mais nous refusons les pratiques déloyales qui déforcent notre souveraineté alimentaire en approuvant des produits qui ne respectent pas les standards sanitaires, phytosanitaires et environnementaux auxquels sont soumis nos agriculteurs. C’est pour cette raison que le gouvernement wallon exige l’inclusion de clauses miroirs dans cet accord de libre-échange.» Ce qu’il peine à obtenir, et qui pourrait bien ne jamais advenir.

Le Mercosur, c’est cet accord entre l’Europe et certains pays sud-américains (Brésil, Argentine, Paraguay, Uruguay et Bolivie) qui vise à favoriser le libre-échange entre les deux régions. On l’appelle parfois l’échange «viande sud-américaine contre voitures allemandes». Le but est notamment de faire tomber les barrières commerciales (comme des droits de douanes) entre les deux partenaires, selon des bases fixées en 2019. Précisément ce qui inquiétait les agriculteurs réunis ce mercredi matin à l’appel de la Fugea à Bruxelles.

La Fwa (Fédération Wallonne de l’Agriculture) rencontrera par ailleurs Adrien Dolimont jeudi matin, peu avant une réunion du gouvernement wallon suite à laquelle une lettre sera envoyée au Premier ministre Alexander De Croo, lui demandant de s’aligner sur la position régionale. C’est notamment là que les choses se compliquent, puisque le fédéral jouit d’une délégation de pouvoirs pour représenter les régions au Conseil européen.

Des clauses miroirs presqu’impossibles

Deuxième point de blocage, pour Adrien Dolimont: il semble très difficile d’implémenter ces clauses miroirs en l’état. Pour l’heure, la Commission européenne jouit, elle aussi, d’un mandat pour négocier le traité. Et celui-ci ne permet pas de négocier ces fameuses clauses. «Si l’on veut les inclure, on doit retirer le mandat de la Commission et lui en rendre un. Mais le gouvernement wallon ne l’a pas envisagé pour l’instant», regrette la députée wallonne Céline Tellier (Ecolo), estimant qu’il existe «un double discours entre le MR des champs, qui donne le bic au gouvernement fédéral alors que ce dernier (NDLR: dont les libéraux font partie) refuse de mettre des bâtons dans les roues de l’accord.»

«Si on écoute tous les eurodéputés présents ce mercredi sur le rond-point Schuman, tout le monde s’oppose au Mercosur.»

Céline Tellier

A noter également que ces clauses n’assurent pas encore une production équivalente et équitable de part et d’autre de l’Atlantique, puisqu’elles n’induisent pas les droits humains et environnementaux. «C’est pas mal sur le principe, rajoute Benoît Haag, secrétaire général de la Fwa. Mais dans les faits, on ne sait pas comment contrôler que ces clauses soient respectées de l’autre côté de l’Atlantique. C’est un peu un écran de fumée.»

Surpuissant lobby automobile

Alors que les discussions sont en cours depuis près de 25 ans, la signature du Mercosur est encore très loin d’être actée. «Si on écoute tous les eurodéputés présents ce mercredi sur le rond-point Schuman, tout le monde s’oppose au Mercosur», sourit Céline Tellier. Sauf que depuis l’épisode du Ceta où la Wallonie avait déjà bloqué la signature, façon village romain ceinturé par les Gaulois dans Astérix, il est désormais possible de scinder l’accord en deux.

Les très puissants lobbies allemands de l’automobile (VDA) ont donc sauté sur l’occasion, en mai dernier, pour proposer de scinder l’accord du Mercosur et de se préoccuper du volet économique (englobant la compétence agricole) au plus vite. Ainsi, l’unanimité des parlements nationaux pourrait être contournée et ce volet pourrait être voté via une majorité qualifiée. «Mais il suffit que quatre pays européens s’opposent pour faire une majorité de blocage, ajoute Céline Tellier. On doit faire en sorte, au gouvernement wallon, que la Belgique constitue une minorité de blocage.» La France semble, elle aussi, vouloir en faire partie.

Chez Adrien Dolimont, on assure qu’il y a «une nécessité et une plus-value à favoriser dans les échanges internationaux. Mais il faut que nos agriculteurs soient respectés». Le son de cloche va dans le même sens, mais est nuancé du côté de la Fwa, qui se réjouit d’entamer des discussions «constructives» avec le Ministre-Président, mais qui se dit «très inquiète». «Il s’agit d’un grand marchandage politique, dont l’agriculture belge ne peut pas faire les frais.»

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