Maxime Prévot: comment être enfant de parents divorcés a influencé son engagement politique
Chaque mois, «Le sens de sa vue» revient et cinq étapes (le Savoir, la Scène, le Son, le Soi et la Suite) sur les oeuvres et moments qui ont construit la vision du monde d’une personnalité politique. Maxime Prévot, le président des Engagés et bourgmestre de Namur, s’est livré à l’exercice.
Il a le sens de la formule et le flair du maïeur wallon, Maxime Prévot. Et puis, il a cette plasticité centriste qui, au nom du «pragmatisme» et du combat contre les «étiquettes», les «clivages» et même les idéologies, lui permet, aussi président de parti que les autres pourtant, de ramener son programme (donc son étiquette, donc ses clivages, donc même son idéologie) à des facettes de son existence. Celle plus personnelle rattache cet enfant de divorcés, neveu d’un oncle handicapé, à une préoccupation permanente et bien de son parti (donc de son étiquette, donc de ses clivages, etc.) pour les multiples formes des vies familiales d’aujourd’hui et pour les questions liées au handicap. Ces dernières n’ont pas attendu la découverte, par un documentaire de 2011, des difficultés de la satisfaction de besoins intimes, pour l’éveiller à la problématique. Et les premières n’ont pas non plus tardé jusqu’à la recomposition de son propre foyer pour émerger.
Parce qu’il a, somme toute, toujours baigné dedans.
Ces inclinations, ça tombe bien, sont très révélatrices de la théorie de l’habitus de Bourdieu, découverte au cours de ses études de sciences politiques à l’UCL. «Ou comment les niveaux socioéconomiques prédéterminent certaines de nos habitudes, goûts ou modes de vie», précise-t-il, avant de reconnaître que certaines des dites inclinations sont éloignées des conclusions scientifiques et des ambitions politiques du grand sociologue français. Il est vrai que se revendiquer de Bourdieu quand son parti prône en matière scolaire une autonomie très forte pour chaque direction d’école et la fin des droits de succession en matière économique, peut paraître dépasser toutes les limites de la plasticité politique. «Mais on est toujours sans doute un peu prisonnier de son habitus», concède-t-il en riant.
Avant d’écouter le podcast Le Sens de sa Vue en entier, voyons comment Maxime Prévot l’oriente en cinq étapes.
Le Savoir: Pierre Bourdieu (1930-2002)
On s’étonne que le Maxime Prévot qui s’oppose aux droits de succession et défend tant l’enseignement libre qu’il voudrait que l’Etat n’organise plus d’écoles ait trouvé Bourdieu inspirant. «Je n’ai pas choisi Bourdieu pour son pedigree politique», arrête-t-il. Simplement, il «remarque qu’on a souvent un biais de perception. Les amis qui nous sont les plus proches sont soit nos amis d’enfance, soit ceux avec qui on a fait nos études. On a alors l’impression que tout le monde pense et agit comme nous, et partage nos passions et nos goûts, alors que, par exemple, à peine un quart de la population a fait des études supérieures.» Il partage donc la doctrine bourdieusienne de l’habitus. Partage-t-il sa vision d’une société fracturée par des dominations aussi multiples que puissantes? «Je crois que la société est fragmentée», répond-il, déplorant l’explosion des inégalités avant que le centrisme ne le rattrape: «De là à dire que les personnes sont soumises à cette élite économique, je n’irais pas jusque-là…», ajoute celui qui refuse que «ce ne soit pas le capital dont on dispose sous toutes ses formes, y compris le capital social, qui détermine les parcours». Et là, on ne lui avait pas encore parlé de la reproduction par le système scolaire…
La scène: Scarlet Road (2011), de Catherine Scott
Maxime Prévot était déjà échevin à Namur lorsque, assistant à l’Extraordinary Film Festival, qui met les personnes handicapées en valeur, il découvre en 2011 ce documentaire australien «qui retrace la vie et l’expérience d’une femme qui, de manière volontaire et consciente, a décidé d’être assistante sexuelle pour les personnes handicapées». «Je connais le handicap dans ma famille, mais je ne m’étais jusque-là jamais interrogé pour savoir si mon oncle avait une sexualité, et même s’il y avait droit. On a l’impression que ce sont des personnes asexuées. Ce n’est pas le cas!», assène-t-il. Il devient ministre wallon de la Santé trois ans plus tard, et fait mettre cette question, «restée encore très tabou en Wallonie», à l’agenda. Puis au Manifeste des Engagés, qui proclame ce droit à une assistance sexuelle. «C’est une cause que j’ai voulu faire évoluer et que j’ai fait mettre au Manifeste, même si en interne, ça n’a pas été facile. Ce sont des phénomènes qui existent, mais dont personne ne veut parler. C’est notre responsabilité politique et sociétale de porter ces enjeux», ajoute-t-il.
Le son: Les trois Ténors
«J’avais reçu le CD et j’avais été subjugué par leur voix et l’émotion qui s’en dégageait», pose Maxime Prévot, qui se ramène ici à Bourdieu, presque sans le vouloir: l’opéra, pour l’auteur de La Distinction, est un de ces goûts dont se prévalent les classes dominantes. «Oui, mais j’ai été arbitre de foot aussi», conteste cet excellent siffleur. Et puis, j’adore entendre de l’opéra, quatre ou cinq fois par an». Ce sont Les Trois Ténors qui l’y ont amené. «J’aime justement ça, cette dimension populaire offerte par leurs spectacles.»
Le soi: Le défi des familles monoparentales et recomposées
«On est tous le fruit de notre vécu et les combats qu’on porte sont façonnés par ce qu’on a vécu. Je suis enfant de divorcés», commence-t-il, se rappelant ses voyages en train, seul avec son petit frère, de Namur vers le Luxembourg où vivait son papa, «avant l’affaire Dutroux». «Ma mère s’est retrouvée maman solo et, depuis que je fais de la politique, j’y suis particulièrement sensible» ajoute celui qui, ministre wallon de l’Action sociale, «avait commandité une étude pour identifier toutes les incongruités» du modèle classique.
La suite: Jean-Luc Crucke, vice-président des Engagés
C’est la prise de guerre de nouvel engagé du bourgmestre de Namur. Jean-Luc Crucke a rejoint le parti de Maxime Prévot il y a quelques mois. Le libéral, ancien ministre MR, s’est donc, lui, vraiment libéré d’une partie de son habitus politique. «C’est l’un de mes vice-présidents, il a eu une trajectoire politique au MR, mais avec des yeux qui ont osé s’ouvrir aux réalités d’aujourd’hui. Avec une sensibilité forte de libéral social, préoccupé par les questions de dignité, par la question climatique, face au déni de son ancien parti. Quand on discute avec lui, on voit une évolution lucide sur le monde et sur la manière dont le politique doit faire de la politique. Après le premier bureau politique auquel il a participé chez nous, je lui ai demandé quelle différence il y avait avec les bureaux du MR et il m’a répondu: «Vous faites de la politique, nous, on faisait de la stratégie.»
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