La délégation MR, contrairement à celle des Engagés, a été prise à partie lors de la marche du 8 mars à Bruxelles. © JOANNA BARTHES

Marche des femmes contre l’Arizona: pourquoi le MR et les féministes sont en rupture

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Les incidents autour de la délégation du MR à la marche des femmes contre l’Arizona le 8 mars marquent une rupture. Les femmes de droite sont plus minoritaires que jamais parmi les féministes.

Le 8 mars, des membres de la délégation du MR ont été agressés à la déclinaison bruxelloise de la marche mondiale des femmes, focalisée contre le gouvernement Arizona. Il y avait même, dans le petit bloc réformateur, un ministre MR de l’Arizona venu manifester contre l’Arizona, celui de l’Intérieur, Bernard Quintin, et une commissaire européenne MR, Hadja Lahbib. Les panneaux MR leur ont été arrachés, certaines militantes se sont défendues, l’une d’elles a été violemment jetée au sol, et la délégation libérale en faveur de l’Arizona a été invitée à quitter le cortège contre l’Arizona, auquel participaient 10.000 personnes.

Ces incidents, et les bruits médiatique et politique qui les ont accompagnés, ne sont pas surprenants. A l’ère de l’extrême polarisation, les femmes énervent encore plus qu’elles ne s’énervent.

En Belgique francophone mais pas seulement, les débats autour et au sein du féminisme contemporain se fracturent notamment, mais pas uniquement, sur le clivage gauche-droite. Entre femmes, sujet politique, mais aussi au sujet des femmes, objets politiques. Si jadis, de larges plateformes pouvaient rassembler unanimement autour de plusieurs causes collectivement validées par toute la gamme des féminismes, aujourd’hui, une étroite minorité, bien assise à la droite de l’échiquier politique, se dispute souvent avec une majorité. Et cette fracture est un objet de débat public, qui oppose la plus petite frange, qui se proclame universaliste, aux intersectionnelles, que l’on dit «néoféministes», et que la plus petite frange du féminisme ainsi que la fraction dominante du discours public accuse simultanément d’être trop progressistes, par expérience lorsqu’elles luttent pour autoriser les personnes transgenres à pratiquer certains loisirs, et d’être trop conservatrices, par exemple lorsqu’elles combattent pour laisser aux femmes musulmanes la pleine jouissance de leur liberté d’expression.

La dernière réforme statutaire du MR, en 2021, a mené à la dissolution de l’organisation féminine du parti.

Au nom de l’universalisme

Le MR, tout à sa quête d’hégémonie culturelle, a directement emprunté à la droite française, qui l’avait elle-même directement importé des Etats-Unis, ce discours sur le féminisme et sur les femmes qui se confronte directement au féminisme majoritaire. C’est très visible dans les perpétuels débats médiatiques sur la liberté d’expression dont peuvent jouir ou pas les femmes musulmanes, par exemple, ou sur les loisirs que les personnes transgenres sont autorisées à pratiquer, par expérience.

Mais ce discours n’est pas seulement proclamatoire, limité à l’abstraction de l’idéologie et au concret des éléments de langage pour médias complaisants. Il implique également une action politique et institutionnelle, y compris sur le parti lui-même. La dernière réforme statutaire du Mouvement réformateur a mené, à l’automne 2021, à la dissolution de l’organisation féminine du parti, les Femmes réformatrices. Au nom de l’universalisme, la spécificité du combat féministe a alors été délitée dans les nouveaux statuts. Le MR n’aurait plus d’organisation féminine, car celle-ci sectionnait la généralité du mouvement. Le parti a imposé la parité dans toutes ses instances, ce qui rendait somme toute, disaient les promoteurs des nouveaux statuts, inutile la section dans le mouvement. Cet universalisme serait donc aussi un féminisme, fût-il destructeur de ses propres intersections féministes, et ainsi les activités de toutes les réformatrices se fondraient dans l’action de tous les réformateurs.

Aujourd’hui, quelques sections locales des Femmes MR subsistent encore çà et là, au gré d’enthousiasmes aussi personnels que statutairement clandestins. Mais la disparition de l’organisation nationale, cohérente avec la nouvelle doctrine réformatrice sur le féminisme, a eu des conséquences le 8 mars dernier.
Les Femmes MR étaient en effet jadis parties prenantes à la plateforme belge de la marche mondiale des femmes, qui chaque 8 mars organise sa manifestation féministe annuelle, centrée sur un thème choisi, discuté ouvertement avec les associations constitutives du premier et du second cercle, et cette année, donc, les associations constitutives se sont mises d’accord sur l’idée de lutter contre les mesures de l’Arizona. Avec «Le gouvernement Arizona attaque nos droits» comme mot d’ordre, la marche des femmes 2025 était censée rassembler les «femmes précaires», les «mères célibataires», les sans-papiers, les victimes de violences et «tous et toutes: jeunes, retraité.e.s, étudiant.e.s, personnes en situation de handicap  contre le gouvernement De Wever», auquel participe le MR. Un parti qui ne participe plus aux discussions sur le thème annuel du grand rassemblement féministe du 8 mars depuis qu’il a dissous sa section féminine nationale –avouons qu’il n’y participait pas très fort avant ça.

C’est une des raisons pour lesquelles la cheffe de groupe MR au parlement Bruxellois, et dernière présidente des Femmes MR avant leur dissolution en 2021, Clémentine Barzin, ne peut que constater que cette édition de la marche des femmes «a tourné à la manifestation anti-Arizona», alors que beaucoup de ses camarades de parti, et elle en tête, défilent ensemble chaque 8 mars. «On est là chaque année», regrette-t-elle.

Les panneaux MR ont été arrachés à leurs militantes, certaines se sont défendues, l’une d’elles a été violemment jetée au sol. © BELGA

Loin de la bousculade, à quelques dizaines de mètres de là, pendant que les majeurs d’une cadre du MR étaient tendus à l’adresse des autres manifestants, Sophie Rohonyi, présidente de DéFi, intervenait sur le podium en tant que présidente démissionnaire du Conseil des femmes francophones de Belgique, une des plus importantes parmi la galaxie d’associations qui ont fait marcher les femmes contre l’Arizona. Sa successeure sera désignée au printemps. Elle s’est exprimée, comme son homologue néerlandophone, comme les porte-parole syndicales, comme les représentantes des femmes afghanes ou des femmes congolaises, comme beaucoup, pour déplorer sur l’estrade les effets des mesures de l’Arizona sur les femmes. Elle a taxé, et elle ne fut pas la seule, le MR d’hypocrisie parce qu’elle avait vu les calicots et entendu les huées. Deux jours plus tard, après une tempête sur les réseaux sociaux, Georges-Louis Bouchez exigeait de la présidente qui a démissionné en novembre du Conseil des femmes francophones qu’elle démissionne du Conseil des femmes francophones, ce que Sophie Rohonyi n’a pas fait puisque le président du MR n’avait aucune autorité pour le lui imposer. Et surtout puisqu’elle l’avait déjà fait.

Les marches mondiales et bruxelloises des femmes, par tradition, reléguaient les politiques en fin de cortège, en quatrième ordre, après le «bloc calme», après les associations féminines, et après les commissions syndicales féministes. Les Femmes Engagées étaient dans ce quatrième rang, comme chaque année aussi, mais sans banderole ni pancarte, parce qu’elles savaient que le mot d’ordre de la marche était ce qu’il était. «On fait partie de cette majorité, donc on n’a pas sorti les drapeaux. On venait cette année moins pour revendiquer que pour soutenir, et pour expliquer, aussi, ce qu’on a obtenu et ce que l’on n’a pas obtenu dans les accords de gouvernement. Notre ministre Yves Coppieters, en charge des Droits des femmes, est venu, pour échanger, sur le village féministe du 8 mars, mais bien avant le départ de la marche», raconte Lyseline Louvigny, présidente des Femmes Engagées et ancienne parlementaire MR.

Elles veulent croire et souhaitent que des convergences sont encore possibles, entre femmes et entre féministes.

Pas le gouvernement de leurs rêves

Comme Clémentine Barzin, elle reconnaît que le programme de l’Arizona n’est pas celui de ses rêves. Mais, comme sa collègue libérale, elle assure qu’elle se battra, en interne, dans les partis et dans les gouvernements, pour faire avancer les causes qui restent communes aux féministes de toutes les chapelles, même aujourd’hui, même au lendemain de la bagarre du 8 mars. Même dans leur(s) parti(s). Les deux parlent de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, évidemment, sur lesquelles plusieurs parlements unanimes ont travaillé. Il y a la question de l’IVG également, bien sûr, pour laquelle leurs formations autorisent les parlementaires, hommes et femmes, à voter sans consigne de parti. Elles se félicitent du renforcement, dans l’accord de l’Arizona, du service des créances alimentaires, qui versera désormais automatiquement les pensions aux parents solo –c’est encore comme cela qu’on dit «femmes», trop souvent.

Elles veulent croire et espèrent que des convergences sont encore possibles, entre femmes et entre féministes. La réalité qu’offrent les enquêtes de sociologie électorale semble indiquer que leur espoir s’éloigne de la réalité, tant le clivage gauche-droite d’hier a tendance, aujourd’hui, à se dupliquer sur un facteur genré. L’enquête sortie des urnes du Cevipol (ULB) a démontré qu’il y avait une différence de huit points entre les électeurs du MR et ses électrices. Le 9 juin, 32,5% des Wallons ont voté réformateur, contre 24,5% des Wallonnes. Cet écart monte à quinze points dans l’électorat le plus jeune: 38% des Wallons de 18 à 23 ans ont voté MR, contre 23% des Wallonnes, tandis que l’inverse est observable pour les partis de gauche, spécialement le PS et Ecolo. Les femmes de droite n’ont donc probablement pas fini d’être minoritaires dans les manifestations de féministes contre la droite.

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