Enquête | Bruxelles, Luxembourg: voici où vont les subsides des ministres (infographies)
Les grands centres urbains captent logiquement plus de subsides des ministres wallons et de la Fédération Wallonie-Bruxelles. C’est une question de « centralité ». Mais en terre wallonne, la province de Luxembourg n’est pas en reste.
Les subsides se déploient à travers les territoires de Wallonie et de la Fédération Wallonie-Bruxelles, tombent dans l’escarcelle de bénéficiaires et atterrissent toujours en un lieu, d’une façon ou d’une autre. En effet, les cadastres des deux entités fédérées, pour chaque subvention ou tranche de subvention, comprennent toujours un code postal, en fonction du lieu où se situe le bénéficiaire.
Bien entendu, le domaine d’activité de certains bénéficiaires dépasse largement le cadre communal. C’est le cas d’une fédération sportive, d’une union professionnelle ou d’un organisme disposant d’antennes locales. Ceux-là ont logiquement été écartés, dans leur grande majorité, de l’analyse sur la distribution géographique des subventions. D’autres coïncident de façon plus évidente avec le territoire communal: tel CPAS, telle administration communale ou telle association locale, par exemple. D’autres encore ont été conservés, même si leur rayonnement s’étend plutôt à l’échelle d’une sous-région ou peut être raccroché, dans une certaine mesure, à l’activité locale. C’est le cas des universités, principalement implantées dans leur ville, bien que leur rayon d’influence en dépasse les frontières.
Liège et Bruxelles, aimants à subsides
Après autopsie, quelles sont donc les sous-régions qui ont décroché le pactole, depuis le début de la législature?
En considérant les circonscriptions électorales, pour les subsides octroyés à la Fédération Wallonie-Bruxelles, un constat saute aux yeux. Chacun des cinq ministres du gouvernement communautaire a attribué la plus grande part de son gâteau de subventions en Région de Bruxelles-Capitale. Et pour chacun, à nouveau, c’est à des bénéficiaires situés dans la circonscription de Liège (correspondant à l’arrondissement de Liège) que revient la deuxième plus grande part.
Le Hainaut, avec 1,3 million d’habitants et quelques grandes villes, serait-il lésé? La réalité est un peu plus nuancée. Si les bénéficiaires de la Région de Bruxelles-Capitale captent, selon cette grille d’analyse, un montant de l’ordre de 270 millions d’euros, ceux de l’ensemble de la province de Liège (circonscriptions de Liège, Verviers et Huy-Waremme) en reçoivent 144 millions. Ceux du Hainaut arrivent derrière avec 127 millions, mais se répartissent en quatre circonscriptions (Charleroi-Thuin, Mons, Soignies-La Louvière et Tournai-Ath-Mouscron), ce qui est moindre dans l’absolu, mais aussi le signe d’une répartition plus étalée sur le territoire provincial.
La province de Luxembourg, certes la moins peuplée, est par contre celle qui, dans sa globalité, attire la manne la moins fournie, de l’ordre de 40 millions.
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Ces ministres qui aiment le Luxembourg
La distribution territoriale se dessine de manière moins nette à la Région wallonne, en tenant compte des circonscriptions électorales et des ministres en place depuis 2019 (Christophe Collignon, PS, arrivé en 2020, est inclus).
Quatre ministres ont néanmoins accordé leur plus grosse part aux bénéficiaires situés dans la circonscription de la province de Luxembourg, la plus vaste. On peut éventuellement y voir un peu d’électoralisme, mais aussi trouver une explication dans certaines compétences dont il est question. On peut songer au tourisme et au patrimoine pour Valérie De Bue (MR), à l’environnement, la nature, la forêt et la ruralité pour Céline Tellier (Ecolo). De nombreux projets sont liés à la compétence de l’énergie chez Philippe Henry (Ecolo), tandis que Willy Borsus (MR), dont c’est la circonscription, y octroie pas mal de subsides en relation avec l’agriculture ou l’aménagement du territoire.
Le ministre des Pouvoirs locaux et de la Ville, Christophe Collignon (circonscription de Huy-Waremme), et la ministre de l’Emploi et de l’Action sociale, Christie Morreale (PS, circonscription de Liège), eux, octroient leur plus grande part de subsides – une trentaine de pour cent – à des bénéficiaires de la circonscription de Liège. Le ministre-président, Elio Di Rupo (PS), voit 19% du montant de ses subventions se diriger vers la circonscription de Namur, capitale régionale.
En remontant à l’échelon provincial, il apparaît que c’est Liège qui capte le plus de subventions de ces ministres wallons, pour un montant de l’ordre de 75 millions d’euros, dont 44 millions ne proviennent que des compétences de Christophe Collignon. Les provinces de Hainaut (53 millions) et de Namur (32 millions) complètent le tiercé. Proche de la capitale, la province du Brabant wallon capte la plus petite manne (15 millions).
Les bénéficiaires de la province de Luxembourg reçoivent un montant global avoisinant 27 millions. C’est moins en chiffres absolus, mais c’est supérieur à toutes les autres provinces si on les ramène au nombre d’habitants. A ce petit jeu, ce sont les Hainuyers et les Brabançons wallons qui reçoivent le moins, mais il convient de rester prudent dans les interprétations, dès lors que les différentes sous-régions ont leur réalité propre et attirent des subsides de natures différentes.
La centralité des grandes villes
La capacité des centres urbains à attirer les subsides se fonde grandement sur leur dimension de centralité, explique-t-on au sein de plusieurs cabinets. C’est d’autant plus vrai à la Fédération Wallonie-Bruxelles, où les compétences relèvent de la culture, de l’enseignement ou des matières personnalisables que sont la santé et l’aide aux personnes. Ces secteurs s’attachent de manière moins évidente à un territoire circonscrit. Un raisonnement similaire pourrait être tenu, par exemple, pour les matières régionales de l’action sociale, du climat ou de la sécurité routière.
Ainsi, de nombreux organismes sont historiquement installés en ville – Bruxelles, Liège et Namur constituant des pôles – mais leur champ d’activité rayonne au-delà du territoire municipal. C’est le «biais du siège social» qu’il convient d’éviter. Liège abrite le Collectif contre les violences familiales et l’exclusion, et La Louvière, un refuge pour femmes victimes de violences. Ils font partie du tissu local, tout en agissant à une échelle plus large. En culture, les compagnies de théâtre subventionnées sont massivement implantées dans les centres urbains, mais déploient leurs activités dans un périmètre difficilement identifiable.
«Les centres urbains, disposant d’une structure administrative forte, concentrent un grand nombre d’activités dans différents domaines, ce qui rend les opérateurs qui y sont situés éligibles à un grand nombre de compétences et mène forcément à une plus grande ouverture aux subsides», souligne le cabinet de Frédéric Daerden (PS), à la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Petites entités, gros subsides, grand impact
Du point de vue gouvernemental, le raisonnement peut même être inversé. «Les ministres sont tributaires des demandes de subventions facultatives qui leur sont adressées. Ce sont donc les demandes reçues et leur qualité qui déterminent leur répartition», précise le cabinet de la ministre wallonne Christie Morreale. Les capitales que sont Namur et Bruxelles, si on ne prend pas la peine de réaliser un filtrage des subventions, apparaissent comme les localisations les plus demanderesses, du fait qu’elles abritent le siège de nombreuses structures.
La centralité des pôles urbains implique aussi que la population y est plus importante et qu’ils concernent un public large, l’impact des montants demandant dès lors à être pondéré. A l’inverse, une subvention conséquente accordée à un bénéficiaire implanté dans une commune moins peuplée aura un impact plus élevé, si on raisonne en montant par habitant.
Parmi les subsides accordés par la ministre communautaire de la Culture, Bénédicte Linard (Ecolo), Saint-Gilles «obtient» près de 400 euros par habitant, étant donné le nombre d’opérateurs culturels qui y sont implantés. Mais Viroinval, en province de Namur, arrive en deuxième position avec 200 euros par habitant, en grande partie en raison de subventions accordées au Centre d’études et de documentation archéologique qui s’y trouve.
Plusieurs communes de la province de Luxembourg reçoivent d’importantes subventions liées aux compétences de Christie Morreale, les plaçant de facto en tête de classement. Elles sont obtenues dans le cadre d’appels à projets pour des initiatives locales d’intégration et modules d’apprentissage du français, dont le public cible se trouve en grande partie dans les onze centres pour demandeurs d’asile de la province.
Et lorsque le séminaire de Floreffe, «grosse entité de l’enseignement libre peuplée de près de 1 400 élèves», obtient un million d’euros pour d’importants travaux, cela représente une aide conséquente en provenance de Frédéric Daerden. Mais aussi, ramené un peu artificiellement aux huit mille Floreffois, à un montant important par habitant.
Certains projets appellent de grandes subventions, mais sont ponctuels. D’autres ont été servis auparavant, d’autres encore recevront plus tard. A Liège, par exemple, «les chiffres sont quelque peu gonflés par une subvention extraordinaire à la Mosa Ballet School, d’environ 3,6 millions d’euros», fait remarquer le cabinet de Pierre-Yves Jeholet (MR), ministre-président de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Des tranches de 1,2 million d’euros sont délivrées en trois ans, mais l’ensemble est inscrit au budget 2022. «C’est une décision du gouvernement dans son ensemble visant à soutenir cette école dont l’ambition est de devenir une des meilleures écoles de danse du monde et qui devrait rayonner en Fédération Wallonie-Bruxelles mais aussi à l’international.»
Interrogé au sujet de l’octroi de subventions, pas un ministre n’affirmera avoir cherché à favoriser tels bénéficiaires, singulièrement ceux installés dans sa circonscription électorale. Le clientélisme, c’est pour les autres.
Toujours est-il que, bien que qualifiées de «facultatives», les subventions décrites ici ne sont en grande partie pas attribuées à la discrétion du ministre. Il ne leur revient pas d’arroser des bénéficiaires dans des communes ou des circonscriptions comme bon leur semble. Un exemple cité du côté du ministre-président Pierre-Yves Jeholet, en charge des relations internationales: l’administratrice générale de l’agence Wallonie-Bruxelles International dispose d’une délégation de signature pour toutes les subventions qu’elle octroie et qui sont inférieures à 35 000 euros. Ces montants sont donc délivrés de façon autonome, sans intervention ministérielle.
Par ailleurs, les montants et critères d’éligibilité sont coulés dans des décrets et les sélections s’opèrent, en fonction des matières concernées, selon des critères qui se veulent objectivables et transparents, insistent différents cabinets. La marge d’appréciation du ministre à titre personnel, à vrai dire, est souvent très limitée. Nombre de ces subventions assurent la viabilité de bénéficiaires qui, à défaut de ces aides, seraient tout bonnement menacés dans leur existence, indépendamment du fait d’être installés quelque part.
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