Les deux présidents ont entamé, le 17 juin, deux semaines de consultations avec plus de 250 acteurs de la société civile. © BELGAIMAGE

“Georges-Louis Bouchez l’a grossièrement interrompue”: le pourquoi du comment des consultations wallonnes Bouchez-Prévot

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Georges-Louis Bouchez et Maxime Prévot se sont lancés dans deux semaines de consultations wallonnes avant l’installation de leurs gouvernements. Pour s’informer, et aussi pour mieux se connaître.

Tous les chroniqueurs mondains vous le diront, le fondement d’un «power couple» repose sur deux critères: l’équilibre, d’abord, et bien se connaître, aussi. Georges-Louis Bouchez et Maxime Prévot, présidents du MR et des Engagés, vainqueurs éclatants des élections du 9 juin, forment le nouveau «power couple» wallon et francophone, peut-être même belge puisque, avant tout le monde, ils ont annoncé qu’ils iraient ensemble, quoi qu’il arrive, au gouvernement fédéral.

Tous deux ont accompli un formidable exploit le 9 juin, chacun dans sa veine. Le premier, Georges-Louis Bouchez, tutoyant les 30% grâce à son imparable recette sarkozienne, AOC directement importée de France. Le second, Maxime Prévot, dépassant les 20% avec son centrisme relevé de formules assassines. Leur puissant hyménée de «power couple» s’entame donc sur un triomphe conjoint, chacun est fou de joie, fier de lui, assis sur son parti, et plus populaire que jamais, et c’est déjà une manière d’équilibre entre eux, un perdant et un gagnant forcés à l’accouplement auraient raté leur initiation de «power couple».

Leur puissant hyménée s’entame sur un triomphe conjoint.

Pourquoi consulter quand on sait déjà?

Mais pour faire de ces deux réussites personnelles un succès commun, il leur fallait également bien connaître, et surtout mieux se connaître. Ainsi ont-ils lancé ces deux semaines de consultations, avec 25 tablées thématiques, formellement des «plateformes thématiques de concertation», et plus de 250 responsables invités. Elles sont censées se terminer le 28 juin, et mener directement à la conclusion d’accords de gouvernement aux niveaux wallon et de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Il s’agit pour le «power couple» de rencontrer les acteurs importants des secteurs, bien sûr. Mais ça, on peut raisonnablement postuler que leur expérience à eux les a déjà édifiés de connaissances substantielles, eux qui sont présidents de parti depuis cinq ans, mandataires à d’autres échelons en même temps, et plein d’autres choses avant. A leur manière, Maxime Prévot et Georges-Louis Bouchez ont forgé chacun leur programme, qu’ils ont porté en campagne, et qui abordait tous ces domaines pour lesquels MR et Engagés se sont dits candidats au pouvoir, et qu’ils ont soigneusement découpés dans ces 25 plateformes thématiques. Avant le 9 juin, ils ont débattu avec les acteurs importants des secteurs pendant des mois, pour leur présenter leurs propres propositions, bien entendu, mais aussi pour recevoir les recommandations des organisations sectorielles, et pour y réagir, évidemment. Maxime Prévot et Georges-Louis Bouchez n’ont pas tout oublié, subitement, au soir de leur victoire, ni tout ce qu’ils avaient appris comme savoirs techniques ni tout ce qu’ils avaient assimilé comme expérience émotionnelle. Mais un cadre formel, une grande table dans une belle salle, avec des conseillers à côté et un beau carnet devant, et eux qui prennent des notes, qui écoutent et qui devisent, ça doit mettre bien en place leurs idées. Même s’ils les ont déjà en tête, puisqu’ils ont un programme et qu’ils veulent l’appliquer le plus vite possible.

Prévot et Bouchez auront passé deux semaines l’un à côté de l’autre, de l’aube au crépuscule.

Et puis, il s’agit de mieux se connaître, surtout, parce qu’entre ces plus de 250 experts, leurs propres conseillers, les belles tables du parlement de Wallonie et du parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, et leurs beaux carnets de notes, Maxime Prévot et Georges-Louis Bouchez auront passé deux semaines à peu près en permanence assis l’un à côté de l’autre, de l’aube au crépuscule, s’éloignant à peine le soir, tard, parce qu’ils ont chacun une vraie vie à vivre à l’extérieur de tout ça, ou se ménageant des journées de pause, pour un bureau de parti ou un conseil communal, une visite chez le roi ou une rencontre, individuelle celle-là aussi, avec l’informateur fédéral Bart De Wever, s’appelant souvent dans tous les cas. Et échangeant sur les points de programme que, déjà, les groupes de travail conjoints, embryons de cabinets composés au sein de leurs propres partis, qui fonctionnent en parallèle de ces consultations très médiatisées, s’accordent à intégrer aux déclarations de politiques régionale et communautaire.

Ensemble, Georges-Louis Bouchez et Maxime Prévot auront rassemblé les moments, réuni les souvenirs communs et accumulé de ces anecdotes qui construisent une relation, bref, ils auront installé l’équilibre d’un «power couple» qui se connaît, par conséquent, de mieux en mieux. Ces deux semaines de consultations, collés à leur belle chaise pendant qu’autour d’eux tournent et retournent des centaines d’interlocuteurs, parfois d’anciens adversaires, mais souvent des alliés aussi, consolideront leur relation beaucoup plus que celles qu’ils entretiennent avec les invités qu’ils reçoivent. Ils siègent toujours à côté de leur principal conseiller, Axel Miller, ancien de Dexia, administrateur de Spadel et de Duvel Moortgat, chef du cabinet présidentiel de Georges-Louis Bouchez, et Stéphane Nicolas, ex-directeur de cabinet de la Bruxelloise Céline Fremault, aujourd’hui patron du service d’études du parti, pour Maxime Prévot. Ces deux-là, plus tout jeunes mine de rien, qui contribuent à accoucher de cette Wallonie nouvelle, doivent eux aussi mettre leurs deux semaines à profit pour mieux connaître et mieux se connaître. Ils étaient déjà là quand leurs présidents n’avaient pas encore gagné, ils joueront encore, demain, pour au moins cinq ans sans doute, un rôle fondateur dans l’économie du «power couple» vainqueur.

Mais mieux se connaître, c’est aussi constituer des équipes et, autour de ce duo de duos, en cercles plus ou moins resserrés, il y a, d’abord, d’autres très proches de Georges-Louis Bouchez et Maxime Prévot qui tournicotent. Par exemple Jolan Vereecke pour Bouchez, Laurent de Briey pour Prévot, puis leurs communicants, puis l’un ou l’autre, on ne va pas tous les citer et tant pis pour les jalouseries courtisanes, car oui, elles ne disparaîtront pas, celles-là, dans la Wallonie nouvelle. Et puis, il y en a des plus lointains (le «spitant» octogénaire Jean-Louis Vanherweghem, ancien président du CA de l’ULB, néphrologue de haut vol, était de l’équipe réformatrice à la tablée santé), des plus ponctuels (Alda Greoli, infatigable flanc gauche du président des Engagés, était aussi là pour recevoir, notamment, les mutuelles, pour une rencontre programmée pour 1h30 mais qui dura deux fois plus), des plus adéquats (Adrien Dolimont, indispensable ministre en affaires courantes, inévitable pierre d’angle des prochains exécutifs, ne pouvait pas manquer la matinée thématique sur l’état des finances publiques).

Maxime Prévot et Georges-Louis Bouchez doivent aussi apprendre à mieux se connaître. © BELGAIMAGE

«Good cop» et «good cop»

Pour un «power couple», passer du temps ensemble, c’est donc mieux se connaître. Et mieux se connaître, c’est aussi s’accorder sur une heureuse distribution des rôles. Beaucoup, parmi les interlocuteurs et parmi les observateurs, avaient cru, à cet égard, que ces plateformes thématiques seraient parsemées de poings montois sur la table et d’apaisements namurois, parce que Georges-Louis Bouchez propage une conception très verticale du pouvoir, tandis que Maxime Prévot professe volontiers sur les vertus des corps intermédiaires. Or, la première semaine des rencontres fut globalement très courtoise. Maxime Prévot et Georges-Louis Bouchez ont parfois laissé s’exprimer plus que des nuances, comme attendu, sur le financement des grandes villes, ou les soins de santé. Mais on ne vit que rarement le «bad cop» annoncé en Georges-Louis Bouchez flanquer le «good cop» confirmé en Maxime Prévot. D’abord parce qu’il n’y a pas, dans la société civile francophone, que des interlocuteurs situés à gauche et qui redouteraient l’alternance à droite. Certains partagent une histoire commune avec le MR, comme la CGSLB, qui d’ailleurs fut le premier syndicat invité à s’exprimer, avant les deux autres, le 17 juin, ou comme Jeunes et libres, la fédération libérale des mouvements de jeunesse, établie au siège du parti. D’autres affichent un compagnonnage, au moins idéologique et sur certains aspects, avec le MR, sur le banc patronal –la directrice de Comeos Wallonie présidait jadis les Jeunes MR–, chez les agriculteurs –la présidente de la FWA est une élue locale réformatrice–, ou parmi les acteurs du secteur de l’énergie –le président de l’asbl Beprosumer s’est réjoui d’avoir été écouté comme jamais. Tous ont contribué à la bonne ambiance.

Mieux se connaître, c’est aussi s’accorder sur une heureuse distribution des rôles.

Ensuite parce que Georges-Louis Bouchez, qui semble vouloir s’installer à la ministre-présidence, n’a aucun intérêt à rudoyer des acteurs, même hostiles, dont il aura besoin pour gouverner, dans l’administration, les mutuelles et même au sein des syndicats. A ceux-là, qui se sont eux aussi montrés coopératifs, il laisse l’occasion de tirer les premiers. Il leur attribuera ainsi la responsabilité d’éventuels blocages.

Et enfin parce que Maxime Prévot l’a laissé exprimer le «bad cop» en lui à certains moments, précautionneusement sélectionnés. Comme lors de la plateforme associative qui, le 18 juin, réunissait pas mal des adversaires historiques de Georges-Louis Bouchez, du MOC au CNCD, en passant par le Ciré, adversaires souvent de gauche, dont il n’aura que peu besoin, et que plusieurs fois il contredit brutalement. Et adversaires, dont une, Sarah de Liamchine, codirectrice de Présence et action culturelles, la branche de l’Action commune socialiste active dans l’éducation permanente, en sortit un communiqué de presse évoquant une «altercation» et se disant «grossièrement interrompue». Elle et d’autres, qui n’ont pas voulu médiatiser l’incident, sont déjà les premières victimes expiatoires du nouveau «power couple» francophone.

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