pensions
Les pensions des agents statutaires sont financées par les communes elles-mêmes. Mais le système devient de plus en plus intenable pour les finances locales. © BELGAIMAGE

Les pensions des agents communaux, véritable bombe à retardement

Benjamin Hermann
Benjamin Hermann Journaliste au Vif

Les villes et communes font face à des charges de pension de leurs agents toujours plus lourdes à supporter. Le système devra changer, sous peine d’imploser. Le constat est partagé à Bruxelles, en Flandre et en Wallonie.

Un peu technique, peu enthousiasmant, le financement des pensions des agents communaux n’est pas le sujet qui fait le plus parler de lui à l’approche des élections du 13 octobre. Il est pourtant, assez loin devant les autres, celui qui préoccupe le plus les gestionnaires communaux. Ce constat se vérifie dans les trois Régions du pays, où l’on sait à quel point il représente une bombe à retardement pour des finances locales déjà mises sous pression.

Comme chaque année, Belfius a réalisé une vaste analyse sur l’état des finances locales. Si elle avait livré ses résultats pour la Wallonie et la Flandre à l’entame de l’été, la banque a fait connaître ses conclusions pour les communes bruxelloises le 17 septembre. Elections locales obligent, elle pose un regard sur l’ensemble de la mandature écoulée. L’analyse, exceptionnellement, est assortie d’une enquête menée auprès des principaux concernés: non pas les bourgmestres, mais les échevins des finances et les directeurs financiers des communes.

Les pensions, cette hantise

Dans une liste de propositions, les répondants ont été invités à désigner quels sont les enjeux qui représentent à leurs yeux «des défis financiers majeurs pour les années à venir». Systématiquement, ce sont les charges de pensions qui ont été sélectionnées en premier lieu, davantage que les coûts liés à la sécurité, les besoins sociaux ou la transition énergétique, par exemple.

Précisément, les échevins et receveurs bruxellois sont 94% («certainement» pour 82% et «plutôt oui» pour 12%) à considérer que les charges de pension sont un défi financier majeur. Les tendances sont similaires dans les autres Régions. En Wallonie, quelque 97% pointent cet enjeu comme majeur, tandis qu’ils sont 96% en Flandre. Difficile de partager un constat de façon plus univoque…

Toutes les communes ne sont pas confrontées au problème dans les mêmes proportions, les grandes villes faisant en général face à de plus amples difficultés en la matière que les plus petites entités. Elles se trouvent au pied du mur, pour un problème qui n’est cependant pas neuf et qui n’a sans doute pas été suffisamment anticipé. «Pourtant, pour des pouvoirs publics, rien n’est plus prévisible que la charge des pensions», insiste Arnaud Dessoy, auteur des analyses et responsable des études sur les finances locales chez Belfius.

Quel est le problème, au fond? Il trouve son origine dans une spécificité du système de financement des pensions des agents communaux statutaires. C’est une exception: le niveau de pouvoir communal est tenu de supporter lui-même, dans un système de répartition fermé, les pensions de ses anciens agents statutaires. Ce n’est pas le cas des agents contractuels qui, eux, émargent au régime général des pensions.

«Les grandes villes devront être responsabilisées tout en étant accompagnées par la Région.»

Historiquement, les communes ont financé le système au moyen d’une cotisation dite «de base» prélevée auprès des agents statutaires encore actifs. Au fil des années, un glissement entre statutaires et contractuels s’est produit, si bien que le matelas de cotisants a proportionnellement fondu, tandis que la quantité de statutaires pensionnés n’a, pour sa part, pas diminué. Ainsi, par exemple, dans les communes de la Région bruxelloise, les statutaires ne représentaient que 36,2% des équivalents temps plein en 2023 (37,9% en 2018). En Région wallonne, il ne s’agissait que de 20,1% (27,5% en 2018).

Conséquence: le taux de la cotisation de base a augmenté au fil des années, dans les trois Régions du pays d’ailleurs, passant de 41,5% en 2021 à 45% désormais.

La cotisation a explosé

Mais ce n’est pas tout puisque pour financer ces charges de pensions en vase clos, une deuxième cotisation, dite «de responsabilisation», est venue s’ajouter à la première. C’est le résultat d’une loi imaginée en 2011 par Michel Daerden (PS), alors ministre des Pensions, pour les villes et communes où la cotisation ne suffisait pas à supporter la charge des pensions.

Cette cotisation de responsabilisation était censée, initialement, couvrir la moitié du solde restant entre la cotisation de base et le coût réel des pensions. Mais son taux a également augmenté au fil des années, passant de 50% en 2021 à presque 75% désormais et, selon les prévisions, un taux de l’ordre de 85% à l’horizon 2028.

Pour l’ensemble des communes et des CPAS bruxellois, la seule cotisation de responsabilisation, qui représente aujourd’hui 100 millions d’euros, devrait passer à 176 millions en 2028, prévoit l’étude de Belfius. En ce qui concerne les communes wallonnes, les prévisions fournies par la banque en juin dernier estimaient que le montant total de cette même cotisation passerait de 327 à 570 millions d’euros durant la même période.

Les coûts de personnel, affectés par l’inflation ces dernières années, en plus de l’augmentation des charges de pensions, représentent à eux seuls 42% des dépenses des communes en Région bruxelloise et 41% au sein des communes wallonnes. Auprès des mandataires communaux, des futurs échevins des finances en particulier, on peut s’arracher les cheveux en songeant à l’accroissement des charges de pensions à venir, à l’aune de ce que les dépenses de personnel pèsent dans un budget communal.

Il n’y a aucune raison que les autorités locales constituent l’unique niveau de pouvoir à assumer seul la charge de pension de son personnel.

Vaille que vaille, les communes ont jusqu’ici pu faire face, au moyen d’aides régionales. Les communes flamandes sont les mieux loties, en quelque sorte, puisque le gouvernement régional a décidé de prendre à son compte la moitié des cotisations de responsabilisation. Le montant total se chiffrait à 86 millions d’euros en 2020, il s’élèvera à 249 millions l’an prochain. Elles ont aussi, davantage que les autres, profité d’incitants pour financer un second pilier de pension pour leurs agents contractuels, ce qui leur permet de bénéficier d’une cotisation réduite.

En Wallonie, des aides exceptionnelles ont été accordées aux entités en difficulté, en vertu de ce qui s’est appelé le «plan Oxygène». Le nouveau gouvernement, formé par le MR et Les Engagés, a inscrit dans sa Déclaration de politique régionale (DPR) la volonté d’honorer les tranches de paiement de ce plan. Il promet aussi d’étudier «urgemment» des réponses au problème de financement de la cotisation de responsabilisation pour les pensions des statutaires. «Y compris avec le fédéral», indique l’exécutif régional, tout en insistant sur le fait que «les grandes villes devront être responsabilisées tout en étant accompagnées par la Région».

Et les communes bruxelloises? «Elles ne disposent pas d’aides régionales jusqu’à présent», rappelle-t-on chez Belfius. La capitale étant encore loin d’avoir un gouvernement régional, il n’est pas certain que les édiles locaux voient l’avenir s’éclaircir de sitôt, en ce qui concerne la charge des pensions.

En attente des gouvernements

Les unions des villes et communes, comme les spécialistes des finances locales, l’affirment volontiers: ce système de financement des pensions en circuit fermé est intenable. Pour le formuler autrement: il devra inévitablement faire l’objet de nouvelles aides en provenance d’autres niveaux de pouvoir, qu’il s’agisse des Régions concernées ou du fédéral. A terme, il semble imparable que le régime de pension des agents statutaires locaux, qualifié de «fonds de pension solidarisé», s’éteigne progressivement pour inclure tous les agents communaux, y compris les statutaires, dans le régime général des pensions. Les communes seraient alors logées à la même enseigne que les autres niveaux de pouvoir, ce qui fait partie des revendications régulièrement formulées par l’échelon local.

«En 2014 déjà, la commission des pensions émettait de sérieux doutes sur la viabilité du système.»

«Le gouvernement fédéral doit intervenir dans le financement des pensions comme il le fait dans tous les autres régimes de pension belges et trouver une solution au coût vertigineux des pensions des pouvoirs locaux. Il n’y a aucune raison que les autorités locales constituent l’unique niveau de pouvoir à assumer seul la charge de pension de son personnel», tonnaient de concert les trois unions des villes et communes du pays avant les élections fédérales. La revendication est on ne peut plus claire.

«En 2014 déjà, la commission des pensions émettait de sérieux doutes sur la viabilité du système. Quelques années plus tard, en 2021, une analyse de la Cour des comptes se montrait très critique sur la question de la cotisation de responsabilisation, spécifie Arnaud Dessoy, le spécialiste en finances locales chez Belfius. Un nouvel élément, éventuellement plus significatif, est l’envoi d’un mémorandum, cet été, aux différents formateurs à différents niveaux de pouvoir.» Le document tire la sonnette d’alarme et «a été appuyé par les unions des villes et communes de Wallonie, de Bruxelles et de Flandre, mais aussi les syndicats et les gestionnaires des fonds de pension solidarisés».

C’est peu de chose, mais voilà déjà un mince espoir auquel se raccrocher.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire