Les affiches électorales en perte de vitesse: «Cela peut contribuer au désintérêt des électeurs»
Plusieurs partis investissent moins qu’auparavant dans la création d’affiches électorales. Mais il ne s’agit pas d’une généralité et ce moyen de communication politique garde un certain intérêt.
Où sont passées les affiches? A un mois et demi des élections communales et provinciales, l’espace public en est encore épargné. Et pourrait le rester, ces prochaines semaines: plusieurs partis, comme les Engagés ou le PS, en impriment désormais moins qu’avant. «Nous dédions moins de moyens à la communication papier, et il est probable que nos candidats investissent moins dans les affiches au profit des réseaux sociaux», dit-on côté socialiste.
Un déclin lié à plusieurs facteurs
«L’âge d’or de l’affiche électorale est clairement derrière nous», confirme Nicolas Baygert, professeur de communication politique à l’ULB et Sciences Po Paris. Une disgrâce devenue évidente à partir de 2012, note-t-il. «Les réseaux sociaux faisaient véritablement leur apparition et plusieurs observateurs notaient déjà une baisse de la qualité des affiches, voire un désintérêt.»
«Cela se manifeste moins par une chute du nombre d’affiches que par une diminution de leur créativité, les budgets accordés étant moins importants, poursuit-il. On est loin de la richesse picturale de la première moitié du 20e siècle, avec de véritables créations artistiques et l’appel à des sentiments profonds (patriotisme, héroïsme, humour). Cela peut contribuer au désintérêt des électeurs pour ces personnalités qu’ils ne connaissent souvent pas, surtout lors d’élections locales.»
Beaucoup d’affiches ne présentent que la photo de ces candidats peu connus, mais cela représenterait un mauvais choix, attestent des études. En 2017, des chercheurs belges avaient interrogé 534 jeunes de 17-30 ans sur leur ressenti face à des affiches politiques. Les éléments qui captaient le plus l’attention étaient le slogan (79% des réponses), l’image (73%) et le nom du parti (59%). Le politicien y figurant n’était important que pour 7% d’entre eux. Des partis comme le PS et le MR n’ont donc pas forcément besoin de ces affiches, puisque leur notoriété est déjà établie et n’en tireraient que peu de bénéfices, estime Nicolas Baygert. «Au niveau communal, on voit que c’est avant tout l’identité du bourgmestre ou du candidat-bourgmestre qui prime. Le reste des candidats stagne dans une forme d’anonymat.»
Le vandalisme représente un élément supplémentaire. «Face aux affiches arrachées, les militants finissent par se poser la question suivante: faut-il maintenir une visibilité dans l’espace public, ou laisser tomber vu l’argent que cela coûte?». Selon l’universitaire, des partis souvent pris pour cible, comme le Vlaams Belang et la N-VA, ont pu y trouver un incitant supplémentaire pour se concentrer sur la publicité en ligne. Aujourd’hui, les deux partis nationalistes flamands sont les formations belges investissant le plus sur les réseaux sociaux.
La hausse du coût du papier n’a pas non plus aidé. Si l’envolée des prix s’est calmée depuis le pic inflationniste de 2022, le PS explique que cet aspect pèse aussi dans la balance.
Plusieurs formations politiques déclarent également faire attention à leurs pratiques depuis quelques années. Ecolo a moins recours au surcollage et au collage sauvage, ce qui explique en bonne partie la diminution du nombre d’affiches imprimées par le parti. «Nous invitons nos candidats à une forme de modération de leurs commandes dans un objectif environnemental», expliquent également Les Engagés.
Enfin, le contexte belge n’est pas favorable à l’utilisation d’affiches électorales, note Nicolas Baygert. Aux Etats-Unis, démocrates et républicains peuvent déverser des sommes faramineuses pour faire campagne, et ont les moyens de placarder l’image de leurs candidats à travers l’Amérique. En Belgique, les budgets sont limités par la loi et il faut faire des choix pour investir au bon endroit. Puis contrairement à des pays comme la France, le nombre de partis est très élevé et ceux-ci doivent fournir davantage d’efforts pour que leurs nombreux candidats deviennent connus. Il est ainsi courant de les représenter sur une affiche à côté d’une personnalité célèbre, sous la forme d’un duo.
Les affiches n’ont pas dit leur dernier mot
«La digitalisation progresse, c’est clair, mais on voit quand même que ces affiches gardent un certain intérêt», objecte toutefois Nicolas Baygert. Leur principal avantage: elles permettent d’occuper l’espace public, de capter un maximum l’attention et d’inciter à la mobilisation citoyenne, autant en période électorale qu’en dehors. «Depuis quelques années, on assiste à une forme de campagne permanente, constate le professeur de l’ULB. Cela s’est vu avec l’affiche du MR sur les 50 nuances de rouge, créée en décembre dernier, ce qui a contribué à lancer la précampagne.»
Pour certains partis, notamment les plus petits, l’affiche peut également les aider à se faire connaître. C’est probablement ce qu’a tenté de faire le micro parti d’extrême-droite Chez Nous en mettant ses affiches à l’effigie de Marine Le Pen dans plusieurs communes du pays. Ceux qui changent d’identité visuelle, comme Les Engagés après avoir abandonné le nom de cdH, auraient aussi intérêt à utiliser des affiches afin d’imprimer leur nouvelle marque politique, estime Nicolas Baygert. «Leur usage dépend aussi du but poursuivi. Cela peut être utile pour marquer un positionnement politique fort, des symboles puissants. Les partis d’extrême-droite utilisent souvent des slogans chocs, tout comme le PTB.» Le parti d’extrême-gauche n’a d’ailleurs pas déminué son nombre d’affiches électorales.
Reste un point important: tous les électeurs ne sont pas sur les réseaux sociaux, notamment chez les plus âgés. D’autres y sont inscrits, mais peu présents. L’affiche pourrait permettre de les atteindre.
«On pourrait aujourd’hui parler de complémentarité entre les affiches et les réseaux sociaux, résume Nicolas Baygert. Les premières occupent l’espace physique, tandis que les seconds ciblent des segments spécifiques d’électeurs avec des messages adaptés. Cela crée un écosystème plus complet. Puis l’affiche fait partie du folklore électoral. C’est comme cette vieille photo de classe: elle a un côté un peu ringard, mais elle reste utilisée.»
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