Le formateur Bart De Wever est-il au bord de l’échec? Les négociations fédérales font du surplace. © BELGA

«Les négociations les plus complexes du 21e siècle»: pourquoi la mission du formateur Bart De Wever semble de plus en plus compromise

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

Le retrait temporaire de Conner Rousseau des négociations fédérales, couplé à l’échec d’une majorité communale Vooruit-N-VA à Gand, plombent la mission du formateur Bart De Wever. Les espoirs d’un accord de gouvernement pour la fin de l’automne s’amenuisent.

Il avait été promis avant la fête nationale. Puis avant le scrutin communal du 13 octobre. C’est désormais l’échéance de Saint-Nicolas qui est évoquée pour un accord de gouvernement. De retards en reports, la mission du formateur Bart De Wever (N-VA) est jalonnée de volte-face et de défections en tout genre. La dernière en date s’appelle Conner Rousseau. Jeudi soir, le président de Vooruit a (temporairement) claqué la porte des négociations, faute de note socio-économique «équilibrée». Sans tableau budgétaire cohérent, le jeune président de parti ne se remettra pas autour de la table, a-t-il averti.

Ce blocage socialiste signe-t-il le coup d’arrêt de l’Arizona? Il complique en tout cas sérieusement sa mise sur pied. «L’heure est au pessimisme, confirme Carl Devos, politologue à l’UGent. L’enthousiasme qui a suivi les élections locales, avec la victoire de tous les partis constituant la future coalition, a laissé place à la méfiance.» En témoignent les bruits de couloir qui entourent la décision de Conner Rousseau: pour certaines mauvaises langues, son retrait temporaire tiendrait plutôt à une escapade programmée à Ibiza qu’à un profond désaccord politique. «A partir du moment où de telles rumeurs sont lancées, c’est le signe que le climat de travail est délétère, regrette Nicolas Bouteca, également politologue à l’UGent. La sérénité a disparu. Et les fuites à répétition dans la presse ne sont pas de nature à restaurer la confiance.»

Une «bromance» menacée

Au-delà des spéculations, le repli de Conner Rousseau traduit surtout une crainte de céder à un texte aux saveurs trop libérales, qui l’engagerait sur la voie d’une austérité budgétaire dont il ne veut pas. Isolé à gauche dans l’attelage «arizonien», Vooruit veut également se positionner comme l’unique défenseur de mesures progressistes et sociales. «Alors que le CD&V et Les Engagés partagent également certaines de ces valeurs, Conner Rousseau en revendique la propriété exclusive», analyse Nicolas Bouteca. Quant à savoir si ses menaces de quitter définitivement la table des négociations peuvent être mises à éxécution, le doute subsiste. «Est-ce une sorte de pantomime, pour montrer qu’il met la barre très haut et qu’il ne pliera pas? s’interroge Bart Maddens, politologue à la KULeuven. Ou est-ce que cela traduit un véritable malaise et une volonté de tendre vers une coaliation alternative? C’est très difficile à interpréter.»

La manoeuvre de Conner Rousseau risque en tout cas d’affaiblir le lien privilégié qu’il entretient avec Bart De Wever. Qualifiée de «bromance» (contraction de brother et romance) par les médias flamands, la relation entre les deux hommes pourrait également pâtir de l’échec de l’alliance Vooruit-N-VA sur la scène communale, dans la ville emblématique de Gand. Pourtant globalement satisfaits du texte présenté par les nationalistes, les socialistes flamands l’ont finalement rejeté dimanche soir, par volonté historique de ne pas s’allier avec le parti conservateur. «Cette aversion presque irrationnelle envers la N-VA risque de compliquer les négociations à l’échelon fédéral, prédit Bart Maddens. Conner Rousseau avait pourtant publiquement soutenu l’accord de coalition, mais il n’a pas su imposer son autorité auprès des élus locaux. C’est une très mauvaise nouvelle pour les relations entre les deux partis.»

«Du jamais-vu»

Un obstacle supplémentaire sur la route de l’Arizona, dont le chemin est déjà miné par d’innombrables embûches. «Les négociations actuelles sont les plus complexes du 21e siècle, tranche Carl Devos. Au-delà des divergences entre les différents partis, avec lesquelles Bart De Wever doit composer en véritable équilibriste, les enjeux du futur exécutif sont titanesques. La situation budgétaire du pays incombe au futur gouvernement d’entreprendre de profondes réformes sur le plan du travail, des pensions, de la fiscalité. Et ce, dans un timing serré, car les institutions européennes mettent la pression. C’est du jamais-vu dans notre histoire récente. Or, la génération d’hommes et de femmes politiques actuels n’ont pas l’expérience de formations si compliquées.»

La mission de Bart De Wever, qui doit faire rapport au Roi le 4 novembre, est-elle vouée à l’échec? Le calendrier semble de plus en plus difficile à respecter. «L’idéal serait d’obtenir un accord fin novembre, pour ensuite former les cabinets ministériels et voter un budget avant la fin de l’année, précise Carl Devos. Cela reste envisageable, à condition d’un climat de travail favorable et d’un rythme extrêmement soutenu.» Sans quoi Bart De Wever risque de perdre patience et de jeter l’éponge. Le président des Engagés Maxime Prévot (ou du CD&V Sammy Mahdi) pourrait alors prendre le relais. «Mais les divergences ne s’évaporeront pas avec sa démission», nuance Nicolas Bouteca.

«Au-delà des divergences entre les différents partis, avec lesquelles Bart De Wever doit composer en véritable équilibriste, les enjeux du futur exécutif sont titanesques.»

Carl Devos

Politologue à l’UGent

Une coalition alternative pourrait-elle alors s’imposer? Pour l’heure, les options sont limitées. Un attelage de centre-droit, sans Vooruit mais avec l’Open VLD, ne garantirait pas une majorité suffisament confortable (un seul siège). Une tripartite, composé des familles libérales (MR-Open VLD), centristes (CD&V-Engagés) et socialistes (PS-Vooruit) ne semble pas plus envisageable, en raison de la cure d’opposition souhaitée par le PS. «Il est encore trop tôt pour envisager de telles alternatives, concède Bart Maddens. Mais en politique, ce qui est vrai aujourd’hui ne le sera plus forcément dans six mois. En cas de blocage prolongé, les positions des uns et des autres pourraient être amenées à évoluer. On en reparlera début 2025.»

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