Contrairement aux travailleurs ordinaires, les députés dont le mandat n’est pas renouvelé n’ont pas droit au chômage. Mais à des indemnités de sortie, dont les montants sont parfois colossaux. © BELGA

Les députés non réélus vont-ils réellement toucher des centaines de milliers d’euros? Voici comment fonctionnent les indemnités de sortie

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

L’essentiel

207 députés belges ont perdu leur siège aux élections du 9 juin et peuvent prétendre à des indemnités de sortie conséquentes.
• Ces indemnités peuvent atteindre plusieurs centaines de milliers d’euros.
• Le PTB estime que le montant total des indemnités s’élèverait à environ 37 millions d’euros à charge du contribuable.
• Le PTB et Ecolo plaident pour l’abrogation de ce régime spécifique.

A la suite des élections du 9 juin, plus de 200 députés ont été forcés de quitter leurs fonctions. Ces ex-parlementaires peuvent prétendre à des indemnités de sortie pour compenser leur départ. Des montants parfois faramineux qui pèsent sur les finances de l’Etat.

Tel le défilé des juilletistes et aoûtiens sur les routes du soleil, les différentes assemblées du pays connaissent un véritable chassé-croisé dans leurs rangs en cette période post-électorale. Alors que de nouveaux visages sont appelés à siéger pour la première fois, d’autres plient bagage, non sans amertume.

Au total, 207 députés (sur les 592 que compte le pays) ont été incapables de récolter les voix nécessaires à leurs réélection, le 9 juin dernier. Rien qu’à la Chambre, ils sont 85 à ne pas voir leur mandat renouvelé. Direction Actiris ou le Forem? Pas vraiment. Contrairement à tout travailleur ordinaire, les parlementaires ne sont pas éligibles aux allocations de chômage. Au terme de leurs fonctions, ils peuvent par contre prétendre à des indemnités de sortie.

Un «système de privilège» auquel s’oppose le PTB, qui a récemment calculé le pactole dont bénéficierait ces élus déchus. Selon les estimations de la formation marxiste, les compensations peuvent atteindre des centaines de milliers d’euros, voire un demi-million pour les mieux lotis. Ainsi, à titre d’exemple, le libéral François Bellot toucherait 262.920 euros; Georges Gilkinet (Ecolo), 251.832 euros; et Rik Daems (Open VLD), 503.664 euros. Le total avoisinerait les 37 millions d’euros, toutes assemblées confondues, à charge du contribuable. «Une somme colossale», fustige le président Raoul Hedebouw, qui assure que les membres de son parti renonceront à ce cadeau.

Une durée limitée à 24 mois

Ces affirmations sont-elles exactes? Oui et non. Sur la méthode de calcul, rien à redire. Comme le rappelle la Chambre des représentants, les indemnités de sortie sont calculées en fonction du nombre d’années au cours desquelles le député a siégé, quel que soit le parlement (régional ou fédéral). Un an passé dans un hémicycle donne droit à deux mois d’indemnités de départ. Ces indemnités équivalent à l’indemnité mensuelle du parlementaire (son «salaire») lorsqu’il était encore en exercice, fixée à 8.814,45 euros bruts par mois depuis le 1er juin 2024, à laquelle il faut ajouter son indemnité forfaitaire pour frais exposés (fixée à 2.597,94 euros par mois au 1er juin 2024). Soit un total de 22.824 euros bruts (11.412 fois deux) par année passée au Parlement. Bref, pour les députés en fonction depuis de longues années, c’est le jackpot assuré.

Sauf qu’il existe un plafond… et un plancher. L’indemnité de sortie est accordée pour une durée minimale de 4 mois et maximale de 24 mois (peu importe son ancienneté), précise la Chambre. Un député en fonction depuis 37 ans ne pourra donc pas prétendre à 74 mois d’indemnités de départ. Une exception existe toutefois pour les parlementaires qui siégeaient déjà avant le 31 mai 2014, lorsque la période maximale était encore fixée à 48 mois.

Un parachute doré? Pas vraiment

Si la méthode de calcul est correcte, la manière dont le PTB présente ces chiffres est toutefois à nuancer, estime Jean Faniel, directeur général du Centre de recherches et d’informations socio-politiques (Crisp). Ces indemnités de sortie ne sont en effet pas automatiquement versées au député sortant. Celui-ci doit en faire la demande explicite par écrit dans les trois mois suivant la cessation de son mandat (NDLR:jusqu’au 9 septembre 2024 dans le cas présent), l’absence de réaction étant assimilée à un refus. La somme est ensuite versée par tranches mensuelles et prend cours le premier du mois qui suit la cessation du mandat parlementaire. «Ce n’est donc pas un chèque en blanc qui atterrit sur le compte de l’ex-parlementaire en un claquement de doigt», résume le politologue.

«Ce n’est pas un chèque en blanc qui atterrit sur le compte de l’ex-parlementaire en un claquement de doigt.»

Jean Faniel

Directeur général du Crisp

D’autant que les montants présentés par le PTB sont des sommes brutes. Or, contrairement aux indemnités parlementaires classiques, les indemnités de sortie sont intégralement soumises à l’impôt. «Durant son mandat, le député bénéficie d’un régime fiscal avantageux sur son indemnité forfaitaire de frais exposés, rappelle Jean Faniel. Celle-ci est exonérée d’impôts. Mais une fois hors de l’hémicycle, ce statut fiscal spécifique prend fin.» Taxée à environ 45%, l’indemnité de sortie mensuelle brute de 11.412 euros passerait à quelque 6.000 euros nets.

Des montants cumulables

Un système qui reste malgré tout très confortable. «Comparé au montant des allocations de chômage ou à la durée d’un préavis dans le privé, par exemple, l’avantage est indéniable», note Jean Faniel. Surtout que ces indemnités sont cumulables avec un salaire ou un traitement dans la fonction publique. «Si le député retrouve un travail trois mois après la fin de son mandat, il peut continuer à toucher ses compensations, explique le président du Crisp. Sauf s’il les refuse, évidemment, ou s’il obtient un poste d’ambassadeur, de juge à la Cour constitutionnelle ou de conseiller d’Etat, qui dérogent au cumul.» A noter qu’en cas de démission volontaire en cours de législature, l’indemnité de départ n’est pas accordée au parlementaire sortant, sauf cas de force majeure à apprécier par le Bureau, précise la Chambre.

Ces indemnités ont logiquement un coût pour les finances publiques. A titre d’exemple, le Parlement bruxellois a prévu de débourser 4,2 millions d’euros pour ces compensations rien qu’en 2024. Sur les quatre prochaines années (2024-2027), le coût total avoisinera les 10,6 millions d’euros pour l’hémicycle bruxellois (9,4 millions sans les députés PTB). De son côté, la Chambre des représentants avait prévu une enveloppe de 4,6 millions d’euros pour ces indemnités dans son budget 2024. Contacté, le Parlement wallon n’était pas en mesure de fournir ces chiffres.

En raison de ce poids financier et de son «injustice», le PTB appelle donc à abroger ce régime spécifique. «Quand le mandat d’un député prend fin, il doit avoir droit au chômage comme n’importe quel autre travailleur», estime Raoul Hedebouw. Un constat partagé par Ecolo qui, dans son programme électoral 2024, plaidait pour soumettre les élus au droit classique de la sécurité sociale, «que ce soit pour le chômage et la fin de mandat, les pensions, les congés de maladie ou encore la taxation sur la rémunération.»

Si les 15 députés non réélus du PTB ont déjà annoncé qu’ils refuseraient leurs indemnités de sortie, d’autres mandataires pourraient suivre. L’identité des réfractaires n’est à ce stade pas encore rendue publique par les différentes assemblées, la période pour solliciter les indemnités courant toujours jusque début septembre. La Chambre a toutefois déjà indiqué qu’elle ne communiquerait pas sur les dossiers personnels de ses membres.

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