Après les élections, le retour des négociations: tout sera-t-il vraiment plus facile pour l’Arizona?
Les élections communales et provinciales ont rassuré les partis de la coalition Arizona, qui peuvent repartir en négociations. Parce que le temps presse, pour parvenir à un accord au fédéral. Mais les résultats électoraux leur rendront-ils vraiment la tâche plus aisée?
«C’est une bataille entre le cœur et le cerveau, lâchait Bart De Wever au soir des élections du 13 octobre. Mon cœur me dit de rester à Anvers, la plus belle ville du monde. Mon cerveau me dit de former un gouvernement.» Il va falloir profiter de la dynamique pour agir vite et bien. «Mener une politique migratoire beaucoup plus stricte et mettre de l’ordre dans les comptes de ce pays», poursuivait le bourgmestre anversois, également président de la N-VA. Et, accessoirement, formateur fédéral, le seul niveau de pouvoir, avec la Région bruxelloise, à ne pas encore disposer d’un gouvernement issu des élections de juin dernier.
C’est ainsi que devait se dérouler cette année doublement électorale. Les scrutins communaux et provinciaux n’avaient, d’un point de vue institutionnel, pas de rapport direct avec la formation de coalitions aux autres échelons de pouvoir. Mais dans l’ensemble des formations politiques, chacun savait que les résultats locaux pourraient renforcer ou déforcer les protagonistes, a fortiori octroyer plus ou moins de valeur à leurs exigences politiques au moment de sceller des accords.
Les négociations fédérales, après avoir été quelque peu mises entre parenthèses, reprennent leur cours, dans l’objectif d’aboutir rapidement, c’est-à-dire en novembre. Au nord comme au centre et au sud de la Belgique, les électeurs n’ont pas fondamentalement changé la donne politique apparue avant l’été. Cette configuration est censée faciliter la tâche des négociateurs, mais elle peut aussi faire survenir quelques écueils.
Un constat: la confirmation
«Il faut naturellement y apporter des nuances, mais nous avons globalement assisté à un scrutin de la confirmation», note d’ailleurs Pascal Delwit, professeur de science politique à l’ULB. Aucun parti victorieux en juin n’a subi de déconvenue, de même que les partis déchus alors ne sont pas davantage en mesure de bouleverser les équilibres aujourd’hui. La voie est libre pour la potentielle coalition Arizona, constituée de la N-VA, de Vooruit et du CD&V, côté néerlandophone, du MR et des Engagés, côté francophone. Elle l’est d’autant plus que les gouvernements régionaux, en Flandre comme en Wallonie, se sont formés selon ce canevas.
La N-VA, tout d’abord, reste le premier parti politique de Flandre et y conserve une mainmise sur la droite de l’échiquier. C’est d’autant plus le cas que le Vlaams Belang a connu un tassement et que l’Open VLD du Premier ministre sortant, Alexander De Croo, peine à se sortir du bourbier.
Cette domination des nationalistes s’incarne plus qu’ailleurs dans la ville d’Anvers, où la bataille pour les élections communales se cristallisait autour d’un duel face au PTB-PVDA et son populaire chef de file, Jos D’Haese. Aussi artificielle fut-elle, les communistes n’ayant aucune chance d’accéder véritablement au maïorat, elle aura, dans le récit des enjeux, débouché sur une implacable victoire de Bart De Wever. Il se trouve donc conforté tant dans son rôle de bourgmestre que de président de parti et de futur Premier ministre potentiel. Un choix s’imposera à lui, en temps voulu.
Le président de Vooruit, Conner Rousseau, était au cœur d’un scénario différent. Lui aussi avait contribué à braquer les projecteurs sur sa commune, Saint-Nicolas. Il y convoitait l’écharpe maïorale, à la faveur d’un récit politique et médiatique tout aussi fabriqué. Conséquence: il n’y est pas parvenu, ce qui peut apparaître comme une défaite personnelle et symbolique. Mais Vooruit n’a pas perdu les élections. «Il reste à un étiage limité», résume Pascal Delwit, mais consolide l’ascension enregistrée en juin. Chez les socialistes aussi, les symboles comptent: ils se situent en particulier à Louvain, où la victoire est nette, et à Ostende, reconquise.
Le CD&V, lui, est globalement sorti renforcé des urnes, y compris à l’échelon provincial, en affirmant son côté «parti des communes», singulièrement rurales. Son président Sammy Mahdi peut s’en retourner ragaillardi négocier au fédéral.
Le sort du président du MR, Georges-Louis Bouchez, peut être comparé, dans une certaine mesure, à celui de Conner Rousseau. Il avait lui-même fait de sa ville de Mons le centre de toutes les attentions, le combat des chefs face à Nicolas Martin et, avec lui, l’ensemble du PS. Malgré une réelle progression de la liste Mons en mieux, l’objectif est manqué, ce qui a pu apparaître, ne lui en déplaise, comme une défaite personnelle dans le récit global de ces élections. Cependant, il n’est pas moins vrai que le MR progresse à peu près partout et assied durablement son statut de premier parti francophone. Si le PS s’est maintenu en tête dans la plupart des grandes villes, wallonnes surtout, le MR a conquis le maïorat dans quelques autres entités qui comptent, comme Verviers et Tournai. Il intègre aussi les majorités à Ixelles et Bruxelles, notamment, au moyen de nouvelles coalitions.
Les Engagés n’ont pas confirmé leur belle «remontada» de juin. Ils l’ont poursuivie et accentuée.
Mais du côté francophone, le grand gagnant de ces élections n’est-il pas Maxime Prévot? Les Engagés n’ont pas confirmé leur belle «remontada» de juin, pour reprendre un terme cher à leur président. Ils l’ont poursuivie et accentuée. Au regard des résultats des élections provinciales, Les Engagés deviennent le deuxième parti de Wallonie. Ils intègrent la majorité à la Ville de Bruxelles et à Ixelles, tandis que leur cartel avec le MR à Woluwe-Saint-Pierre a la majorité absolue. En Wallonie, le parti turquoise a entrepris d’éjecter le MR dans l’opposition à Nivelles et à Wavre, bastion libéral s’il en est. A Namur, capitale wallonne, Maxime Prévot est passé à deux doigts de la majorité absolue.
Prévot, la pluie et le beau temps
Voilà donc que Maxime Prévot se retrouve dans la position de faiseur de rois. Il concurrence le MR dans quelques-unes de ses places fortes, progresse de 15% en Brabant wallon et pratiquement autant en province de Namur. Le bourgmestre de la capitale wallonne avait déjà pris du galon au fédéral lorsqu’il fut nommé médiateur royal, le 23 août dernier. Les négociations s’étaient interrompues sur fond de vives divergences de vue sur la question fiscale, entre le MR et Vooruit principalement. Maxime Prévot aura pu arrondir les angles et ramener les cinq formations à la table des négociations, dans une relative sérénité, avant que ne s’ouvre la séquence des élections locales.
L’ancien CDH avait pâti de son image de formation trop accolée au PS, comme Maxime Prévot le sait. Aussi, il n’a cessé de répéter durant la campagne que malgré l’axe «azur» formé avec les libéraux, il n’était aucunement «scotché au MR», pour reprendre une autre de ses formules récurrentes. Tantôt avec les libéraux, tantôt avec les socialistes, tantôt avec d’autres figures politiques locales, Les Engagés sont souvent en position de faire pencher la balance des coalitions dans un sens ou dans l’autre. Dans les provinces wallonnes, que la bipartite régionale a entrepris de réformer en profondeur, une coalition Azur est envisageable partout, même dans le Hainaut. Mais Maxime Prévot ne compte pas fermer la porte au PS, a-t-il lui-même indiqué. Les socialistes pourraient être indispensables pour faire le nombre au moment d’approuver les transformations des institutions provinciales.
Avant les élections communales, c’était un secret de Polichinelle que Maxime Prévot s’interrogeait sur son propre avenir à la tête de la Ville de Namur, lui qui est pressenti pour intégrer le futur gouvernement fédéral. Bart De Wever, du moins, a émis l’envie que les présidents de parti se mouillent. Le Namurois, dans cette perspective, pourrait endosser la fonction de ministre de l’Intérieur. Mais «je suis encore capitaine de mon choix», a fait savoir le président des Engagés au moment de présenter sa coalition avec le MR à Namur.
Ce n’est pas Bart De Wever qui lui dictera la marche à suivre. «Je prendrai ma décision tout seul comme un grand, a-t-il ajouté. Je suis conscient qu’aujourd’hui, j’exerce des responsabilités nationales qui m’obligent à consacrer beaucoup de mon énergie à essayer de doter la Belgique d’un gouvernement fédéral. Mais je ne suis ni sourd ni aveugle et j’ai été très lucide, touché et ému par le message fort qui m’a été envoyé par les Namurois.» Telle est la situation de luxe dans laquelle on se trouve lorsqu’on fait figure de grand vainqueur des élections, à deux reprises de surcroît.
Des négociations facilitées?
Les cinq partis de la coalition Arizona sortent donc rassurés des urnes, personne n’est contraint de courber l’échine. L’histoire semble désormais se confirmer: les francophones sont plus enclins à voter au centre-droit ou à droite et les partis néerlandophones impliqués s’en accommodent fort bien. Il n’y a plus, dans le jeu de quilles, un PS pressé sur sa gauche par le PTB, pendant que la N-VA est quelque peu apaisée par rapport aux assauts du Vlaams Belang. Forts de cette légitimité, les présidents et leurs lieutenants reprennent dès à présent le travail de formation, avec une tâche complexe, certes, mais qui peut s’en trouver facilitée.
Le calendrier électoral, une fois encore, pourrait leur être favorable. «Cela pourrait faciliter les choses, notamment pour prendre des mesures difficiles», potentiellement impopulaires, comme le relève Dave Sinardet, professeur de science politique à la VUB. En effet, sauf crise majeure ou événements inattendus, les prochaines élections régionales et fédérales se tiendront en 2029 et les élections locales, l’année suivante. Il se dit souvent qu’en politique, la campagne est permanente, mais cette double mandature qui va commencer offre tout de même une large fenêtre de tir.
A contrario, le temps qui presse peut aussi constituer un facilitateur, dès lors que les formations de gouvernements fédéraux se matérialisent souvent sur fond d’échéances impérieuses. Concernant la Vivaldi, la situation sanitaire imposait d’aboutir. Cette fois, la volonté partagée de doter la Belgique d’une cure d’assainissement budgétaire pourrait constituer un adjuvant. Le pays a été placé en procédure de déficits publics excessifs par l’Union européenne et dispose encore de quelques semaines pour tracer une trajectoire d’assainissement, sous peine de se la voir imposer par l’Europe.
Un aboutissement en novembre est un objectif partagé par les interlocuteurs, y compris par le formateur Bart De Wever, qui y voit une «échéance naturelle», comme il l’a exprimé à plusieurs reprises. Son objectif consiste donc à pouvoir faire approuver une série de mesures budgétaires et fiscales avant la fin de l’année, afin qu’elles entrent en vigueur dès 2025.
Laissez les choses traîner jusqu’à Noël ou jusqu’au début de l’année prochaine et c’est tout un exercice qui sera perdu, s’il s’agit de remettre la Belgique sur les bons rails, dans l’esprit de Bart De Wever. «Il faut remettre les comptes en ordre. Et vite!» Même si ça fait mal.
Des écueils à surmonter
Paradoxalement, ce supplément de légitimité acquis dans les urnes pourrait aussi représenter une petite difficulté, en fonction des attitudes autour de la table. Lorsque tout le monde sort à peu près renforcé des élections, chacun peut se sentir indispensable. Faire valoir ses électeurs, son résultat, son caractère incontournable et ses exigences. Et comme le temps presse, ça risque de coincer.
On peut voir dans les succès électoraux un tableau général, dans lequel une coalition de centre-droit s’impose d’elle-même. Mais ces mêmes résultats marquent dans le même temps deux tendances: une inclination pour des partis de droite, le MR et surtout la N-VA en Flandre, mais aussi un renforcement du centre, incarné par le CD&V et Les Engagés de part et d’autre de la frontière linguistique.
Vue de cette manière, la coalition Arizona peut aussi donner lieu à de vives divergences de vue. Si les négociations se sont fracassées sur des questions fiscales durant l’été, il n’est pas impossible qu’elles butent encore, que ce soit sur cette thématique ou sur les pensions, l’emploi, les soins de santé. Entre francophones et néerlandophones, les velléités institutionnelles ne s’accorderont pas nécessairement. Entre le centre et la droite, ce sont les coupes budgétaires et les mesures fiscales qui risquent de devenir des pierres d’achoppement.
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Les Engagés, par exemple, ont grandement fait campagne au printemps sur le renforcement des soins de santé. Maxime Prévot avait dit tout le «bien» qu’il pensait des trois milliards d’économies envisagés par le formateur dans sa toute première note. Il a obtenu quelques apaisements entre-temps, mais il est possible que ce sujet, comme tant d’autres sur le plan socioéconomique, provoque quelques crispations entre les ailes centristes et droitières de la coalition en construction.
Au-delà du contenu des négociations, les personnalités concernées demeurent les mêmes que celles qui n’avaient pas pu accoucher d’un accord avant les élections. Les esprits retors relèveront même que, malgré leurs ambitions, le président de Vooruit, Conner Rousseau, et celui du MR, Georges-Louis Bouchez, ne sont pas devenus bourgmestres, respectivement de Saint-Nicolas et de Mons. Ils ont, peut-être, les mains un peu plus libres que les autres.
C’est dans une certaine discrétion, ces dernières semaines, que les discussions se sont poursuivies entre groupes de travail. L’échéance électorale étant passée, la focale peut à nouveau être placée sur le fédéral. Ce n’est pas toujours un gage de sérénité. Mais ils le savent tous les cinq: ils sont tenus de conclure. Vite et bien.
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