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Avec le remplacement des nominations par des CDI, certains pouvoirs organisateurs ne pourraient-ils pas être tentés de nommer des profs à tour de bras tant qu’il est temps? © Getty Images

Les changements de majorité en Wallonie, une aubaine pour certains? Voici ceux qui peuvent tirer leur épingle du jeu

Benjamin Hermann
Benjamin Hermann Journaliste au Vif

Les changements promis en Wallonie et en Fédération Wallonie-Bruxelles sont susceptibles d’engendrer des opportunités (voire des effets d’aubaine), pour certains acteurs de la société. Profs, producteurs d’énergie, parents, automobilistes: peuvent-ils tirer leur épingle du jeu à l’occasion de ces changements de majorités politiques? Voici un tour d’horizon non exhaustif.

De grands bouleversements politiques sont annoncés, en Wallonie et en Fédération Wallonie-Bruxelles. Plusieurs inflexions sont néanmoins amorcées, en matière de fiscalité, d’enseignement ou d’accès à l’immobilier. Quelques-uns y perdront des plumes, peut-être, tandis que d’autres profiteront de cet environnement nouveau, en fonction de leur agenda, de leur situation, de leurs aspirations.

Lorsqu’une politique change, parfois avec les meilleures intentions, des appels d’air risquent de se créer, dans lesquels on cherchera à s’engouffrer. Vite profiter de telle mesure tant qu’elle existe, ou patienter un peu en attendant l’éclaircie, voire saisir l’effet d’aubaine qui se présente. Dans la réalité, cependant, la capacité des acteurs à tirer leur épingle du jeu doit parfois être nuancée. En voici quelques exemples, parmi tant d’autres.

Les parents

La décision suscitera de vifs débats politiques au moment de sa mise en œuvre, mais le MR et Les Engagés ont bien inscrit dans leur Déclaration de politique communautaire (DPC) la volonté de «prioriser», lors des demandes de places en crèche, les parents qui travaillent. Précisément, il s’agit de donner la priorité aux demandes «des parents qui travaillent, qui postulent un emploi et ceux qui sont en formation». Cela a été confirmé par Valérie Lescrenier (Les Engagés), la ministre régionale et communautaire de la Petite enfance, qui annonce aussi la création de 5.000 places durant la législature.

Prioriser les travailleurs pour les places en crèche? «Plus symbolique que pragmatique».

Avec un brin de cynisme, on pourrait en déduire que les parents qui ne se trouvent pas dans les catégories concernées auront tout intérêt à se dépêcher de trouver une place pour leur bambin, avant de ne plus pouvoir y prétendre de façon prioritaire. L’idée a peut-être effleuré quelques esprits.

La pénurie de places rend toutefois l’idée bien difficile à mettre en œuvre, selon les observations de la Ligue des familles. Prioriser les travailleurs? «La mesure est plus symbolique que pragmatique», commente Madeleine Guyot, directrice générale, tout simplement parce que «dans les faits, la quasi-totalité des parents qui ont un enfant en crèche aujourd’hui sont déjà des parents qui travaillent». A l’inverse, un quart des parents doivent réduire ou interrompre leur activité en raison de la pénurie. Malgré les créations de places au cours de la précédente législature, leur nombre total a diminué de 1.200 unités entre 2019 et 2022, selon les données de l’ONE.

Il apparaît donc, contrairement à une idée qui peut circuler, que pas grand monde n’a le luxe de choisir ou non de s’engouffrer dans une brèche à ce stade. Madeleine Guyot qualifie dès lors «d’excellente nouvelle» la création de 5.000 places, même si elle appelle dès à présent à «identifier les locaux disponibles et dégager un budget exceptionnel pour y ouvrir des places supplémentaires d’urgence».

Les enseignants

«Une course à la nomination? Mais c’est impossible…», réagit Roland Lahaye, secrétaire général de la CSC-Enseignement.

Plus d’un enseignant s’est pourtant dit, au vu des remous suscités par l’annonce, qu’il gagnerait à obtenir sa nomination avant que le statut soit envoyé aux oubliettes. Le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles entend en effet remplacer la «nomination à vie» par un système de CDI. Un des objectifs consiste à s’attaquer à la pénurie en rendant le métier plus attractif pour les jeunes. Beaucoup d’encre a déjà coulé sur la mesure, qui comporte ses avantages et ses défauts, et dont les détails pratiques n’existent de toute façon pas encore.

«Une course à la nomination des enseignants? Mais c’est impossible…»

Pour les syndicats, il est évident qu’il faut stabiliser l’emploi des jeunes profs, mais sans toucher à ce statut spécifique qui, indique Roland Lahaye, protège les enseignants de l’arbitraire autrefois d’usage, sans pour autant constituer une immunité absolue et à vie.

Dans ce contexte, certains pouvoirs organisateurs ne pourraient-ils pas être tentés de nommer à tour de bras, tant qu’il est temps? C’est difficilement concevable, «simplement parce que le statut prévoit deux conditions principales: l’ancienneté et le fait que l’emploi concerné soit vacant». Les PO proposent, les enseignants postulent, mais les marges de manœuvre demeurent très faibles, assure Roland Lahaye.

Les producteurs d’électricité

Là, l’effet d’aubaine est explicitement mentionné dans la Déclaration de politique régionale (DPR) wallonne. Il s’agit d’y mettre fin, en programmant pour 2028 au plus tard l’extinction des certificats verts pour les producteurs d’énergie renouvelable, du moins la fin de nouveaux entrants dans le système. En attendant, ceux qui ont prévu de profiter de cette aide continueront à le faire, même s’ils n’en ont pas fondamentalement besoin pour leur viabilité.

Différentes filières bénéficient des certificats verts: les grosses installations photovoltaïques, l’éolien, le biogaz, la biomasse, etc. Mais ce mécanisme d’aide publique ne se justifie plus dans certains cas, selon la majorité wallonne, puisque «les énergies renouvelables ont atteint un niveau de maturité qui les rendent rentables par elles-mêmes». Une analyse des différentes filières aura lieu à l’avenir, avec l’instauration de nouveaux mécanismes de soutien adaptés, promettent le MR et Les Engagés.

Cette mesure politique correspond d’ailleurs au souhait de l’asbl BeProsumer, qui défend les intérêts des propriétaires de panneaux photovoltaïques, et qui appelle à plus de stabilité financière et de transparence dans les aides aux projets énergétiques.

«En réalité, inscrire la fin du système pour 2028 dans la Déclaration de politique régionale ne change rien. La Commission européenne déteste le système, qui ressemble à des aides indirectes aux entreprises, alors que ces filières sont rentables. Pour le gros éolien ou le photovoltaïque industriel, vous pouvez vous lancer dans la production sans subsides. Il faut arrêter de sursubsidier», lance Damien Ernst (ULiège), spécialisé en réseaux électriques. Pour lui, l’affaire est claire: il faudrait mettre fin au système «dès 2025, immédiatement. Attendre plusieurs années est une erreur.»

Les gros acteurs du renouvelable se sucreront-ils au passage? Peut-être, mais de manière contenue, tempère Régis François, de l’asbl BeProsumer. Aucun risque de bulle ici, puisque «si ces subsides qui se répercutent sur la facture du citoyen ne sont plus justifiés, ils fonctionnent sur base d’une enveloppe annuelle, avec un système de réservation». Certaines aides sont peut-être injustifiées, mais connues à l’avance.

Les futurs propriétaires

C’est une des mesures phares du nouveau gouvernement wallon, sur laquelle il compte d’ailleurs avancer prestement, pour qu’elle entre en vigueur dès 2025. Le MR et Les Engagés ont entrepris de baisser à 3% (12,5% actuellement) le taux des droits d’enregistrement lors de l’achat d’une habitation propre et unique. L’accès à la propriété, pour la majorité régionale, «est un levier essentiel de politique publique pour permettre aux citoyens de concrétiser leur projet de vie et d’accroître leur pouvoir d’achat».

Fort bien, mais il n’est guère difficile d’envisager les quelques opportunités qui en découlent, au-delà de la bouffée d’oxygène destinée aux candidats acquéreurs.

Le premier risque est un grand classique des effets d’aubaine: les marges qui se dégagent par l’allègement fiscal risquent de profiter aux vendeurs, qui ne se priveront pas d’augmenter les prix en conséquence. Mais la stagnation actuelle du marché devrait en fait assez peu inciter à jouer à ce petit jeu, répondent plusieurs acteurs immobiliers et du monde notarial. La mesure pourrait en réalité dynamiser le marché, d’autant plus qu’elle devrait entrer en vigueur rapidement, donc ne pas provoquer de phénomène massif de gel des ventes.

En matière de propriété, les avantagés d’hier ne seront pas forcément les gagnants de demain.

Les multipropriétaires, en outre, continueront de s’acquitter du taux de 12,5%. Là, l’effet d’aubaine n’aura pas lieu. En revanche, quelques effets collatéraux pourraient apparaître avec la suppression, concomitante à la baisse des droits d’enregistrement, d’autres faveurs, abattements et système de «chèque habitat». De ce fait, les avantagés d’hier ne seront pas forcément les gagnants de demain. Un exemple: vivre à la campagne pouvait s’avérer avantageux en raison de revenus cadastraux modestes, mais si les avantages associés disparaissent, l’attrait pour la ville pourrait être renforcé.

Dans un autre ordre d’idées, l’abaissement généralisé à 3% implique aussi que plus l’habitation est coûteuse, plus l’avantage est conséquent. Sauf si elle est neuve, a priori, puisque les nouvelles constructions sont soumises à la TVA et non aux droits d’enregistrement, ce qui implique qu’un écart de prix risque de se creuser entre le neuf et l’existant. Chacun pourra effectuer ses calculs, en fonction de ses intérêts.

Un autre effet possible est loin d’être anodin, pour la Région bruxelloise: la Wallonie s’alignant sur le taux de la Flandre, la capitale sera beaucoup moins attractive fiscalement que ses deux voisines, même si un abattement y a lieu pour les 200.000 premiers euros déboursés (à certaines conditions). Pour le dire autrement: l’attractivité des biens en périphérie bruxelloise pourrait s’en trouver renforcée, au détriment de l’immobilier bruxellois. L’Echo a récemment effectué des calculs et déterminé qu’il deviendra, à l’aune des droits d’enregistrement, plus intéressant d’acheter hors de la Région bruxelloise à partir de 263.000 euros.

Les automobilistes

Parmi les annonces retentissantes du gouvernement wallon figurait aussi une petite révolution de la fiscalité automobile. On en a beaucoup parlé: l’idée d’instaurer un droit d’usage (une vignette, donc) refait surface, avec l’objectif que la mesure soit neutre pour les automobilistes belges, a fortiori wallons. Pour les cinq millions d’automobilistes étrangers traversant la Wallonie annuellement (c’est le chiffre avancé par Les Engagés), l’aubaine est d’actualité puisqu’ils ne déboursent pas un kopeck. Demain, l’intérêt consistera éventuellement à contourner le territoire régional, qui n’est pas tellement grand.

La nouvelle majorité s’engage aussi à revoir la taxe de mise en circulation adoptée lors de la précédente législature, sous la houlette de l’écologiste Philippe Henry, censée entrer en vigueur le 1er juillet 2025. Il s’agira, entre autres, «d’alléger la fiscalité sur les voitures électriques, pénalisées par leur lourdeur», promet le nouveau gouvernement. Clairement, la mouture du gouvernement Di Rupo faisait exploser la taxe pour des véhicules du type de certaines Tesla par exemple, fabricant qui, avec ses futurs clients wallons, se réjouira donc des nouvelles ambitions régionales.

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