Les causes derrière l’humiliation d’Ecolo: «Ils n’ont pas réussi à adopter cette position de combat»
Les écologistes pâtissent d’un contexte qui leur est défavorable, mais leur chute est également liée à des difficultés intrinsèques du parti.
La cata’! Difficile de résumer autrement la chute d’Ecolo, qui passe de treize députés à seulement trois élus à la Chambre des représentants, suite à sa débâcle électorale. Le revers est tel que les deux co-présidents, Jean-Marc Nollet et Rajae Maouane, ont immédiatement démissionné. Avant cela, le premier avait réagi en estimant que la chute de son parti était liée à l’absence de l’écologie pendant la campagne, ainsi qu’à «l’offensive conservatrice dirigée spécifiquement contre les Verts dans quasi tous les débats publics, sur les réseaux sociaux, mais aussi dans de nombreux groupes WhatsApp, publics ou plus ou moins souterrains».
Les politologues acquiescent: il y a de ça. Mais les origines des déboires d’Ecolo ne se résument pas à ces attaques.
Les raisons de l’humiliation électorale d’Ecolo: une faible base électorale
Pour comprendre, il faut d’abord regarder comment se compose l’électorat d’Ecolo, suggère Benoît Rihoux, politologue et spécialiste des partis écologistes à l’UCLouvain. «Il existe trois composantes, explique-t-il. La première, ce sont les électeurs stables, vraiment proches du parti, qui comptent pour environ 25% du total. Une autre partie est constituée d’électeurs assez mobiles, sensibles à des causes spécifiques, comme celles environnementales, féministes, liées au tiers-monde, aux droits humains, etc. Ceux-ci peuvent se détacher du parti si ce dernier n’arrive pas à mener une série de politiques de façon assez radicale. Enfin, il y a un troisième groupe, qui perçoit les partis verts comme étant moins traditionnels. Il s’agit de personnes qui peuvent facilement voter PTB ou pour le Mouvement citoyen en Belgique francophone.».
Ce dimanche, Ecolo a vraisemblablement peiné à convaincre au sein de ces deux dernières composantes. Un peu comme s’il se rétractait autour de son noyau, ce qu’une analyse approfondie des résultats devra confirmer (ou pas).
Pierre Vercauteren, professeur de sciences politiques à l’UCLouvain, ajoute que de façon globale, les électeurs ont tendance à devenir de plus en plus volatiles ces dernières années. Pour un parti fragile comme Ecolo, c’est un problème particulièrement inquiétant. Si ses électeurs ne sont pas satisfaits, ils s’en détournent facilement. D’où des effets de yo-yo particulièrement marqués, avec de bonnes années (2007, 2019) et des mauvaises (2014, 2024).
Selon Min Reuchamps, lui aussi professeur de sciences politiques à l’UCLouvain, une partie de ces défections ont pu amener à des transferts de voix vers des partis de gauche, mais aussi vers Les Engagés et le MR. Pierre Vercauteren estime pour sa part que la hausse de l’abstention, qui a atteint un record de 12,5%, représenterait en partie d’anciens électeurs des verts.
Une démocratie interne mais une faible force de frappe
Le deuxième gros problème d’Ecolo, c’est la structure même du parti, enchaîne Benoît Rihoux: «Aujourd’hui, les campagnes électorales deviennent de plus en plus puissantes, avec une forte personnalisation, comme on le voit avec Georges-Louis Bouchez. Mais chez Ecolo, il n’y a pas de personnalité forte, clivante ou marquante sur le plan médiatique. Au lieu d’avoir un leader charismatique, comme peut l’être un Bart De Wever en Flandre ou un Paul Magnette en Wallonie, les écologistes ont plutôt tendance à limiter le pouvoir de leurs co-présidents».
“Les Verts n’ont pas réussi à adopter une position de combat”
Benoît Rihoux, politologue
Cette organisation très spécifique à Ecolo a des conséquences très concrètes sur la manière de faire de la politique, explique le Benoît Rihoux. Beaucoup de négociations et de consultations sont menées en interne pour prendre des décisions. Cela permet de recréer une forme de démocratie à l’échelle du parti. Le revers de la médaille, c’est qu’Ecolo se révèle moins à même de réagir rapidement, car il faut d’abord sonder sa base, puis ses cadres intermédiaires, etc.
Ecolo aurait donc manqué de combativité, une attitude davantage incarnée par le MR, qui s’est profilé comme une «opposition interne» intégrée au sein des gouvernements. Cela a permis aux libéraux de présenter Ecolo et le PS comme les responsables de tous les maux, et les écologistes n’ont pas réussi à se défaire de leur posture défensive. Le MR a également pu imposer plus facilement ses thèmes de prédilection, à savoir les sujets socio-économiques et l’immigration, au contraire d’Ecolo. «Une des hypothèses qui pourrait expliquer le peu de visibilité de l’environnement dans les débats électoraux, c’est que les verts n’ont pas réussi à adopter cette position de combat», fait valoir Benoît Rihoux.
La nécessité d’innover pour mieux rebondir
Dès lors, les écologistes ont semblé acculés par les attaques incessantes à leur égard (que ce soit sur le plan Good Move, les PFAS, les agriculteurs, etc.). Dans le contexte actuel, marqué par des positions politiques de plus en plus agressives, leur stratégie de communication ne fonctionne plus. «Les électeurs ont davantage associé le MR comme pouvant faire la différence et si les enjeux climatiques sont considérés comme importants, ils ont estimé que cela n’était plus la priorité, contrairement à l’inflation», constate Min Reuchamps.
Pour Pierre Vercauteren, le contexte n’a pas non plus aidé. «Manifestement, Ecolo a subi un certain nombre de contrecoups économiques liés à la crise sanitaire et la guerre en Ukraine, ce qui a entraîné effectivement un coup de frein par rapport au programme écologique», comme l’atteste par exemple l’affaiblissement du Green Deal auxquels les verts tiennent tant. Ces mêmes raisons peuvent expliquer l’effondrement de plusieurs partis verts en Europe (comme en France, Allemagne, Autriche, etc.).
Désormais amputé de deux tiers de ses députés, Ecolo va devoir se serrer la ceinture, ses financements publics étant appelés à chuter. Ses effectifs devraient logiquement s’affaiblir, et le parti va devoir entamer une réflexion pour se sortir de cette mauvaise passe. C’est ce qu’il avait fait suite à sa défaite de 2014, puis en parallèle de son renouveau de 2019. Preuve qu’un rebond est toujours possible: plusieurs formations écologistes ont obtenu de bons résultats ce 9 juin dans les pays nordiques. C’est notamment le cas en Suède, où le «Parti de l’Environnement» a réussi à acquérir la troisième place, devant l’extrême-droite. Et cela malgré la polarisation de l’arène politique et les crises.
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