Les artistes, les cabinettards, les étudiants, les cyclistes…: voici les «pas contents» du virage à droite de la Belgique
Les nouvelles cartes électorales promettent une alternance à droite en Wallonie et au gouvernement fédéral. Ce bouleversement politique n’ira pas sans mécontenter certains acteurs. Mais il constitue une aubaine historique pour de nombreux autres. En voici quelques exemples.
Au fédéral, Bart De Wever mène doucement sa mission d’information fédérale, qu’il cumule avec un mandat flamand. Mandat flamand et mission fédérale doivent aboutir à l’installation d’une majorité flamande N-VA-CD&V-Vooruit et de la même coalition associée aux Engagés et au MR au gouvernement fédéral. En attendant le bourgmestre d’Anvers, Maxime Prévot et Georges-Louis Bouchez, eux, n’ont pas traîné pour avancer côté francophone. Triomphateurs des urnes wallonnes et (un peu moins) bruxelloises, ils peuvent se permettre d’aller vite. Ils ont lancé une vaste opération de consultations de tous les secteurs, qui les verra, d’ici au 28 juin, recevoir plusieurs dizaines d’acteurs de la société civile.
Dans les vestiaires et les loges, on accueille le renforcement de ce flanc droit avec des vivats.
Ces organisations, Georges-Louis Bouchez et Maxime Prévot les connaissent déjà. Le Montois et le Namurois n’ignorent pas quels intérêts elles défendent et quelles valeurs elles promeuvent. Parfois, ils les partagent, parfois pas. D’ailleurs, leur rencontre inaugurale avec les organisations patronales, le 18 juin, a duré plus de temps que prévu, et celle, qui suivait, avec les organisations syndicales, moins. C’est la CGSLB qui a parlé en premier, avant les deux autres syndicats wallons. On sait déjà que chacun se pliera au résultat des élections, mais que les syndicats sont mécontents et que les patrons ne le sont pas. On sait aussi que les chômeurs de longue durée vivent probablement leurs derniers mois d’allocations. Dans plusieurs autres domaines, des acteurs font une moue inquiète, et d’autres ont le sourire qui claque, c’est la saine dynamique de l’alternance en démocratie. Voici qui sont les «pas contents» de ce fort temps.
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Les grandes villes
Pas contentes
Une tempête va souffler sur l’Escaut, la Haine et la Trouille, la Sambre et la Meuse, mais peut-être pas au confluent de ces deux dernières. Dirigées, sauf Namur, par des bourgmestres socialistes, les grandes villes wallonnes (Tournai, Mons, Charleroi, Liège) s’attendent, sauf Namur donc, à ce qu’une charge politique s’ajoute aux charges financières sous lesquelles elles ploient déjà. Ces métropoles affichent en effet des déficits vertigineux, dus à des décisions régionales et surtout fédérales (sur les CPAS, la police, les zones de secours, les pensions des fonctionnaires, etc.). L’exclusion annoncée des chômeurs de longue durée (lire par ailleurs) devrait en envoyer une partie vers les CPAS, donc sur le maigre trésor municipal de ces plus grandes villes. Et puis un plan oxygène, renouvelé annuellement, leur permettait, par des prêts avantageux garantis ou en partie déboursés directement par la Région et son bras financier, le Crac, d’équilibrer leurs finances en perdition. Parce que les banques, d’abord Belfius qui a renoncé, puis ING qui était de plus en plus réticente, refusaient elles-mêmes d’engager des montants toujours plus importants vers des institutions toujours plus déséquilibrées. C’est désormais le Montois Georges-Louis Bouchez, futur probable ministre-président wallon, qui exercera la tutelle, juridique et financière, sur ces communes dont les bourgmestres, en particulier Nicolas Martin à Mons et Paul Magnette à Charleroi, sont ses pires adversaires, sauf à Namur. On en reparlera à coup sûr avant les communales d’octobre. Sauf à Namur.
Les femmes qui voudraient avorter
Pas contentes
Le blocage prévu par les sondages aurait débloqué la situation, le déblocage proposé par les électeurs bloquera la revendication. Les affaires courantes fédérales auraient pu être longues, et elles auraient alors ouvert une fenêtre pour élargir les conditions de l’interruption volontaire de grossesse. En particulier pour hausser la période pendant laquelle elle est autorisée, des douze semaines actuelles à 18, comme le recommandent les experts, médecins et éthiciens, y compris parmi les plus conservateurs. Mais la coalition qui se dessine au fédéral, et qui est en condition de s’installer rapidement, rassemblera les partis démocratiques les moins favorables à cette libéralisation. La N-VA et le CD&V sont contre. Ils avaient tout fait pour l’empêcher lors des précédentes affaires courantes. Le MR et Les Engagés ne sont ni pour ni contre, mais laisseraient à leurs députés la liberté de se prononcer sur le sujet. Ensemble, entre opposants et indifférents, ils se mettront rapidement d’accord pour ne plus en parler, et des centaines de femmes belges s’en iront encore avorter aux Pays-Bas ces prochaines années.
Les fonctionnaires et leurs pensions
Pas contents
Presque tout le monde le dit et presque personne ne l’a fait parce que ça concerne tout le monde. Les pensions constituent le plus gros poste de dépenses publiques. Les partis promis à diriger le gouvernement fédéral se sont engagés à le réduire. Ils devront éviter l’erreur de la précédente tentative, sous Charles Michel, où une décision générale prise très tôt, la hausse de l’âge légal de la retraite à 67 ans, avait concerné, donc énervé, tout le monde. Il est fort probable qu’éclairés par cette expérience, les prochains gouvernants concentrent leurs volontés d’économies sur le segment de la population active qui cumule plusieurs avantages, celui de bénéficier des meilleures pensions d’abord, celui de ne pas être le segment le plus populaire du moment, ensuite, et celui de ne pas voter pour les partis annoncés au fédéral, enfin. On pariera donc plutôt sur des efforts demandés qui énerveront peu de monde hormis les concernés, via le régime de pension des fonctionnaires.
L’UMons
Pas contente
Historiquement couvée par le PS et à l’origine d’une grave crise au gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles autour de son master en médecine, l’UMons, dont Georges-Louis Bouchez est administrateur, s’attend à une forme de retour de bâton. Le président du MR, entré au CA de l’UMons l’an dernier, a déjà plusieurs fois souhaité qu’elle se spécialise plutôt qu’elle ne se massifie, et le compromis noué (au sein de la majorité PS-MR-Ecolo, mais avec la menace d’une majorité alternative avec Les Engagés, qui y étaient favorables) au printemps 2023 pour l’habiliter à ouvrir un master en médecine prévoyait une évaluation après trois ans, en 2026. Les évaluateurs ne seront plus les mêmes. L’évaluation sera stricte. On verra si l’Umons s’en sort avec assez de crédits pour rester finançable.
Les artistes
Pas contents
«On va gérer le pays comme des ingénieurs, pas comme des poètes.» La petite phrase a été lâchée par Georges-Louis Bouchez dans une interview à La Libre. Les réactions ne se sont pas fait attendre dans le monde de la culture, où on voit bien ce qu’il a voulu dire, mais on apprécie peu la façon de le dire. A force d’entendre les tenants de la future coalition à la Fédération Wallonie-Bruxelles expliquer qu’il faudra se serrer la ceinture, plus d’un protagoniste redoute de devoir réduire la voilure. «Nous verrons et nous connaissons la situation financière. Mais les ambitions culturelles n’en demeurent pas moins essentielles, surtout par les temps qui courent. La montée des extrémismes, des radicalismes, du racisme impose qu’on accorde à la culture la place qu’elle mérite», commente Pierre Dherte, ancien président de l’Union des artistes du spectacle. Très concrètement, une crainte s’exprime aussi auprès de certains artistes, quant au sort qui sera réservé à leur statut, enfin réformé au cours de la précédente législature. On est dans le registre du fédéral, où les partis de la Vivaldi ont approuvé l’accord. «Ne détricotons pas ce qui vient à peine d’être mis en place, il faut au minimum avoir quelques années de recul pour éprouver le nouveau statut», prévient Pierre Dherte. MR et Engagés entendent améliorer le statut, ce qui n’est pas forcément mal perçu. En revanche, la crainte existe que le revenu des artistes soit extrait du giron de la sécurité sociale, avec une potentielle précarisation à la clé.
La crainte existe que le revenu des artistes soit extrait du giron de la sécurité sociale
Les sans-papiers
Pas contents
Il a été assez peu question, durant la campagne, du sort à réserver aux 100.000 à 150.000 personnes qui vivent en situation irrégulière en Belgique. Doivent-elles s’attendre à un durcissement des critères de régularisation? En réalité, hormis durant quelques périodes temporaires, un certain flou règne depuis des décennies en Belgique autour des critères de régularisation. Les personnes en attente de droits, en quelque sorte, ne peuvent craindre un durcissement des critères qui n’existent pas vraiment. Un manque de clarté et un caractère discrétionnaire dans le traitement des dossiers est dénoncé de longue date. Et la coalition sortante, la Vivaldi, n’a pas particulièrement dissipé le flou. Du côté de la Ligue des droits humains, la présidente Sibylle Gioe se garde bien de commenter une déclaration gouvernementale qui n’a pas encore été rédigée. Il s’agit surtout de rappeler «les revendications principales, qui se fondent sur les droits humains: l’instauration de critères clairs et permanents, de même qu’une procédure transparente», qui font défaut à ce stade. A y regarder de plus près dans les intentions des partis en discussion, seuls Les Engagés réclament explicitement ces clarifications, les partis plus à droite sur l’échiquier n’étant a priori pas très enclins à favoriser des régularisations plus nombreuses. Il reste à voir quelle sensibilité dominera le rapport de force.
Les médias de service public
Pas contents
Fini de rire, à la RTBF? La question est volontairement caricaturale, mais les médias de service public dans leur ensemble, y compris donc ceux de proximité, peuvent s’attendre à devoir se serrer la ceinture. Telle est du moins la volonté du MR, dont le président a répété à quelques reprises qu’il faudrait revoir à la baisse la dotation de la RTBF, qui se chiffre aujourd’hui à 350 millions d’euros. C’est davantage qu’en Flandre et dans de nombreux pays voisins, a-t-il fait remarquer. L’idée, en résumé, consiste notamment à recentrer la RTBF sur ses missions de service public (sous-entendu: doit-elle continuer à diffuser The Voice, par exemple?). Les marges dégagées permettraient d’accroître le soutien à la presse écrite, qui sera contente, pour sa part. Le MR souhaite aussi voir des médias de proximité se regrouper, approfondir les synergies entre eux et avec la RTBF, éventuellement s’ouvrir aux capitaux privés. Bref, il conviendra de rationaliser. A moins que Les Engagés ne l’entendent pas de cette oreille, eux qui comptent augmenter le financement du média de service public.
350 millions
d’euros de dotation à la RTBF, c’est davantage qu’en Flandre et dans de nombreux pays. Pour combien de temps encore?
Les cabinettards
Pas contents
Le MR et Les Engagés se suffisent à eux-mêmes à la Région wallonne et à la Fédération Wallonie-Bruxelles. Ils souhaitent favoriser le principe de la «double casquette». Rien de péjoratif ici, puisqu’il s’agit de faire des économies d’échelle en personnel politique. Les mêmes personnes occuperaient des portefeuilles ministériels à Région et à la Communauté. En corollaire, il n’est pas inconcevable que le nombre de cabinettards soit lui aussi réduit. Si les cabinettards socialistes et écologistes apprécient peu la séquence, les cabinettards «dans l’absolu» devraient être moins nombreux demain qu’hier. Cela tombe à point nommé: une récente étude de l’UCLouvain objectivait cette abondance de l’appareil politique en Belgique. Concernant les cabinets, ils comptent en moyenne une cinquantaine de membres en Wallonie, pour une trentaine au fédéral et en Flandre.
50
cabinettards en moyenne en Wallonie contre une trentaine en Flandre. Ils devraient être moins nombreux demain qu’hier.
Les étudiants du supérieur
Pas contents
Certains étudiants du supérieur sont contents, d’autres le sont moins, en fonction de leur vote. Parmi tous ceux-là, sans doute, ceux qui se réclament de la FEF (Fédération des étudiants francophones) font partie des moins contents. Celle-ci avait tiré la sonnette d’alarme en mars, considérant que quelques dizaines de milliers d’étudiants risquaient d’être déclarés non finançables si la Fédération Wallonie-Bruxelles n’amendait pas le décret Paysage. Ils ont grosso modo été suivis par le PS et Ecolo, avec l’appui du PTB. Le MR, membre du gouvernement de la FWB, et Les Engagés, dans l’opposition, avaient tous deux fustigé leur attitude, ce qui avait conduit à une profonde crise politique. Les deux seront demain au gouvernement, avec une volonté très probable de revenir à moyen terme sur cette réforme de la réforme adoptée aux forceps en pleine campagne.
Les cyclistes
Pas contents
Précisons d’emblée: il n’y a pas un parti francophone qui ne promeuve le développement de la mobilité douce. Il n’empêche que le débat s’est beaucoup cristallisé autour de la mobilité, en Région bruxelloise. Le MR exige de remettre en question le polémique plan Good Move, censé réduire la place accordée à la voiture en ville. Le projet était porté par une ministre Groen, mais initié, quelques années plus tôt, sous la houlette du CDH. Les Engagés se montrent par conséquent moins assertifs à ce sujet, souhaitant néanmoins revoir la méthode. Les libéraux, en toute logique, privilégient la liberté de choix du véhicule, ce qui inclut la liberté de se déplacer en voiture, naturellement.
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