Bart De Wever et son gouvernement nommé Arizona veulent donner une leçon de morale. Leur programme ne fera pas de cadeau. © AFP

Le programme économique de l’Arizona de Bart De Wever ne sera qu’une leçon de morale (analyse)

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Pas de « cadeaux pour les riches », ni même pour les travailleurs, mais des sanctions pour les fonctionnaires et les inactifs : le programme de gouvernement Arizona de Bart De Wever ressemble davantage à une leçon de morale à dimension électorale qu’à un vrai basculement économique.

Ce vendredi 31 janvier, Bart De Wever était censé se rendre chez le roi à 18h. Il ne l’a pas fait avant 22h.

Avant ça, il avait passé la nuit, la journée et la soirée à l’Ecole Royale Militaire, avec ses quatre homologues et leurs principaux seconds, il y en avait une poignée pour chaque parti, qui allaient et venaient selon les thématiques abordées. Son programme de gouvernement est le point d’équilibre de huit mois d’ébauches, de brouillons et d’épreuves de notes et de supernotas, pendant lesquels les cinq négociateurs de l’Arizona se sont tourné autour en se reniflant, en grognant comme il le fallait, parfois en aboyant, et souvent en mordant.

Des cinq formations, trois (le MR, Les Engagés et Vooruit) avaient incontestablement gagné les élections du 9 juin, dont une, le CD&V, reconnaissait les avoir perdues, et une, la plus grande, la N-VA, fit efficacement croire qu’elle les avait triomphalement remportées tout en ayant perdu un siège à la Chambre et quatre au Parlement flamand. Il y en a une de gauche, deux du centre et deux de droite, ce qui explique les difficultés à boucler un accord pourtant annoncé le soir du 9 juin, sans doute.

Mais les cinq ont en commun un message, au fond déjà celui de leur campagne électorale. Les cinq partis de l’Arizona partagent en effet cette volonté proclamée de libérer le pays de ses pesanteurs, sur le socio-économique, et ont été, chacun à sa manière, les porteurs des espoirs d’une certaine classe moyenne en colère, des travailleurs, bien ou mal payés, qui trouvent qu’ils paient trop d’impôts, des entrepreneurs, grands et petits, qui estiment qu’ils sont trop surveillés, des propriétaires, jeunes et moins jeunes, qui considèrent qu’ils paient trop d’impôts et qu’ils sont trop surveillés. Tous au nom sacré d’une réhabilitation, celle de la valeur travail, que la Belgique avait délaissée et qu’il fallait, enfin, gratifier d’offrandes propitiatoires. En ce sens, le registre principal de leur campagne électorale, à tous, MR, Engagés, N-VA, Vooruit, CD&V, était économique.  

L’ Arizona: une leçon de morale à chaque ligne du programme

Mais on ne peut pas dire que le programme de l’Arizona, le premier gouvernement belge de l’histoire dirigé par un indépendantiste flamand, porte de grandes réformes dans ce registre. Ni au chapitre marché du travail, ni au chapitre fiscalité, ni au chapitre pensions, qui étaient les trois domaines cruciaux, ceux sur lesquels la bande des cinq, dans des configurations différentes, s’invectiva, l’accord de gouvernement ne mentionne de révolution socio-économique. Le registre d’action du gouvernement De Wever sera, en fait, surtout moral. Même si la réforme de notre système économique est son drapeau, même si la supernota socioéconomique a été sa bataille, chaque ligne de l’accord de gouvernement Arizona contient une leçon de morale, bien plus qu’elle n’implique des conséquences économiques et sociales, et même bien davantage qu’elle n’aura d’effets budgétaires.
D’abord parce que la situation budgétaire impose de faire payer des gens plutôt que de faire des cadeaux à d’autres gens. « Il faudra faire des efforts », répètent tous les défenseurs de l’Arizona depuis des mois.

C’est la raison pour laquelle le programme économique du nouveau gouvernement Arizona, son message principal donc, ne contient que des apparences d’économies aux dépens de certains, plutôt que des avancées pour certains secteurs économiques. Celles-ci, en conséquence, sont surtout des leçons de morale.

En plus, ces économies ne sont apparentes que parce que le gros de l’effort budgétaire sera en réalité fort mince en réductions de dépenses. Un tiers de la trajectoire est composé d’effets retours dont tout le monde sait qu’ils sont farfelus. Les réformes structurelles auront des effets tout aussi vaseux. Et les économies promises, par exemple par la limitation des allocations de chômage dans le temps, censée rapporter plus de deux milliards, semblent manifestement gonflées.  

En outre, même de cette manière très théorique, les efforts seront mal répartis : 5% sur les épaules les plus larges, le reste sur les carrures ordinaires, déplorent déjà les syndicats à partir des tableaux budgétaires fournis par les équipes de Bart De Wever.       

Parce qu’ils n’avaient pas les moyens de faire de l’économie en avantageant les entreprises, les propriétaires, les indépendants et les travailleurs, parce qu’ils n’ont pas pu faire beaucoup d’économies en réduisant trop de dépenses non plus, ils ont choisi de faire de la morale en désavantageant les fonctionnaires, les salariés et les inactifs. Ce seront des mesures à l’impact symbolique inversement proportionnel à leur ampleur matérielle. L’Arizona ne pouvant pas gratifier ses soutiens sociologiques, il ne s’agit pas tellement de compromettre les intérêts matériels de ses adversaires ou des segments de la population qui ne voteraient pas pour un des cinq partis, mais, surtout, de montrer à ses soutiens que l’on veille bien à vexer ses adversaires.
L’analyse des trois chapitres principaux, les plus importants aux dires même du nouveau Premier, marché du travail, pensions, fiscalité, le démontre. Le monde du travail déjà s’est épanché sur ce paradoxe politique qui a fait élire les partis de l’Arizona pour revaloriser le travail, et qui les voit gouverner en limitant les salaires. La vie concrète des travailleurs ne sera améliorée, en réalité, par à peu près aucune des mesures avancées comme une offrande biblique à la valeur travail. Mais, faute de récompenser ceux qui travaillent bien, l’Arizona punira donc religieusement ceux qui ne se comportent pas assez bien. C’est tout le principe d’un programme de redressement moral camouflé en batterie de réformes économiques.

Fiscalité

Le fait est bien connu, « on paie trop vite trop d’impôts en Belgique« . La pression fiscale y est de 23% sur les revenu des 1% les plus riches, mais elle est de 43% pour ceux du Belge moyen, et l’Arizona n’y changera presque rien. La petite réforme fiscale prévue, par l’augmentation de la quotité exemptée, promet un gain mensuel de 70 euros pour tous les travailleurs et tous les indépendants d’ici à 2027. Autant dire un jour peut-être, et pour donc pas grand-chose. Mais ce pas grand-chose, les inactifs en seront privés, puisque l’exonération ne portera pas sur les revenus de remplacement. Les salaires net ne vont pratiquement pas augmenter, mais les allocataires n’auront pas de réduction d’impôt, et c’est par ce soulagement moral que la réhabilitation du travail par la fiscalité devra s’effectuer. La future révision du régime des droits d’auteurs s’intègre pleinement à cette mécanique consistant à punir les autres pour satisfaire les nôtres, puisque les développeurs informatiques y seront de nouveau éligibles, mais que le taux passera de 15 à 20%. Autrement dit, les artistes verront leurs impôts augmenter pour que l’Arizona puisse baisser ceux des codeurs.

Marché du travail

Les impôts sur le travail ne vont donc pas vraiment baisser, mais les salaires brut ne devraient pas fort augmenter non plus sous le régime De Wever, qui souhaite préserver la compétitivité de la Belgique et limiter les coûts du travail dans l’absolu. Des mesures de flexibilisation réclamées, et obtenues, par les fédérations patronales, telles que la hausse du plafond pour les heures de travail étudiant, le retour des six mois de période d’essai, l’élargissement des flexijobs et on en passe, n’amélioreront la situation matérielle d’aucun travailleur salarié à temps plein –les syndicats, bien sûr, disent même qu’elles les mettront encore plus sous pression. La limitation des allocations de chômage à deux ans, plébiscitée électoralement, ne remettra sans doute pas les demandeurs d’emploi concernés au travail. Pas plus que la non-indexation de toute une série d’allocations. Mais au moins les inactifs seront-ils sanctionnés, comme l’impose le principe apparemment économique mais substantiellement moral de l’Arizona. Et c’est là sans doute le principal.

Pensions

De la même manière, la réforme annoncée des pensions n’augmentera probablement pas, ou très peu, la pension de retraite de ceux qui auront travaillé, y compris quand ils ont travaillé beaucoup. En revanche, le malus introduit le confirme, elle punira ceux qui n’ont pas travaillé assez. Elle devrait aussi, sans améliorer la situation des travailleurs salariés du secteur privé et des indépendants, dégrader celle des fonctionnaires. Cette convergence des régimes par le bas consistera donc à punir des catégories de la population proverbialement les plus défavorables aux partis de droite et de centre-droit: les travailleurs du secteur public.

La gauche aura beau crier « aux cadeaux pour les riches« , ceux-ci ne profiteront pas de si nombreuses libéralités que ne le crient les syndicats. Mais l’accord de gouvernement Arizona sonne comme une revanche, qui fait peser la défaite sur les vaincus du 9 juin sans vraiment gratifier ses vainqueurs.

Le gouvernement De Wever est donc le premier exécutif belge de l’histoire à être dirigé par un indépendantiste flamand. Mais, il n’est sans doute pas le plus à droite du vingt-et-unième siècle. Ou en tout cas pas le plus libéral économiquement. La précédente participation fédérale de la N-VA (2014-2019), sous Charles Michel, avait vu des réformes matériellement très favorables aux secteurs qui avaient porté les relatifs succès électoraux de la N-VA: la suppression des cotisations sur les cinq premiers emplois créés, les milliards de baisses des cotisations du tax-shift, la baisse du taux d’impôt sur les sociétés, etc. ont eu un impact direct sur l’existence de ceux qui ont pu en bénéficier, à défaut de produire des effets retours moins importants que ceux promis dans cette législature. Mais le gouvernement Michel s’était, de l’autre côté de la barricade, engagé à hausser les allocations sociales à la hauteur du taux de pauvreté. Ici, la dynamique est inverse. L’Arizona ne fera pas de cadeaux aux siens, mais elle donnera des punitions aux autres, ses cinq partis ont gagné les élections en s’insurgeant contre l’écologie punitive, le programme du gouvernement qu’ils ont installé aujourd’hui sera celle d’un libéralisme sanctionnateur.

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