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Interdiction de l’alcool à la Chambre: du whisky de Wilfried Martens au jus du Parlement bruxellois, 30 ans d’anecdotes (analyse)

Nathan Scheirlinckx
Nathan Scheirlinckx Journaliste au Vif

Depuis le 15 février dernier, il n’y a plus d’alcool à la buvette du Parlement flamand. Des débats portés par la famille écologiste sont en cours pour faire de même au Parlement fédéral. Pour Le Vif, des journalistes politiques ont fouillé leur mémoire à la recherche d’anecdotes. Trente ans séparent le temps « où les frigos de l’assemblée étaient remplis d’alcool » à celui « où les élus préfèrent le café et les jus de fruit équitables ».  

En France, les débats sur la réforme des retraites ont une conséquence inattendue : les buvettes de l’Assemblée nationale font face à des ruptures de stock. Les séances sont longues et, pour tenir, certains députés n’hésitent apparemment pas à abuser sur la bouteille. De quoi relancer le débat sur la présence d’alcool gratuit dans une telle arène politique. En Belgique, la polémique a pris une nouvel élan ces derniers mois, notamment après une intervention du ministre flamand Ben Weyts (N-VA) au Parlement flamand (voir vidéo ci-dessous). Groen s’est saisi de cette frasque pour proposer l’interdiction de l’alcool à l’intérieur de l’enceinte, mesure désormais approuvée et en vigueur depuis le 15 février au nord du pays.

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Si la vidéo de l’intervention de Ben Weyts a fait le tour des réseaux sociaux, elle est plus une exception qu’un véritable phénomène de société, selon plusieurs observateurs avisés de la vie politique belge. Ce serait avant tout une question de génération, la plus jeune en date ayant pris conscience des effets néfastes de l’alcool pour la santé ainsi que du danger d’être saoul dans l’exercice d’une fonction politique.

« Les frigos du Parlement étaient remplis d’alcool et certains finissaient la journée complètement torchés »

Un journaliste politique expérimenté, passé par la RTBF et officiant aujourd’hui chez RTL-TVI, se souvient de son début de carrière, il y a 35 ans. « Les frigos du Parlement étaient remplis d’alcool. Il y avait tout ce qu’on peut imaginer. Certains finissaient la journée complètement torchés. C’était une autre époque. Lorsque Wilfried Martens allait donner une interview à la RTBF, on lui mettait sa bouteille de whisky au frais ! Et puis certains présentateurs buvaient un verre avant de prendre l’antenne, pour se détendre. Aujourd’hui, c’est impossible d’encore voir ça ».

Durant les années nonante, l’alcool faisait partie de la routine de certains, tant politiques que journalistes. Un autre journaliste politique d’expérience raconte cette anecdote. « Je me souviens d’un voyage dans une ancienne république soviétique avec Jean-Luc Dehaene, où on s’est retrouvé à 15 journalistes dans sa chambre avec une bouteille de vodka qu’on se passait les uns les autres, assis en rond en discutant de tout et de rien. On n’était pas bourrés et ce n’était pas dans le cadre parlementaire, mais ce sont des pratiques d’un autre temps ». À cette époque, les repas de presse mêlant journalistes et personnalités politiques n’étaient pas rares. « Les partis politiques organisaient trois à quatre congrès par an », reprend celui qui travaille toujours pour la RTBF. « Nous avions droit à un véritable festin : entrée-plat-dessert, plus des bouteilles de vin en suffisance ».

Des pratiques d’un autre temps et une époque qui semble révolue

Aujourd’hui, les vapeurs d’alcool se feraient moins odorantes dans les allées des différentes assemblées du paysage politique. « Même s’il vaut mieux rencontrer certains élus comme Pieter De Crem et Patrick Dewael avant 11h », note un politologue. Un journaliste politique complète : « Je ne me souviens pas avoir vu récemment de politiques éméchés lors d’une prise de parole. Sauf peut-être Jean-Claude Marcourt lors de ses dernières interventions à la tribune du Parlement wallon. C’est vrai que ce n’était pas triste (rires) ».

« Je ne me souviens pas d’un collègue qui soit resté à la buvette toute l’après-midi complètement saoul. Il m’arrive de prendre un verre de vin à la buvette, mais c’est rare », confesse Jacqueline Galant (MR), députée wallonne et ancienne députée fédérale. Pour elle, l’interdiction de l’alcool, ce serait aller trop loin. « Partager un verre avec un collègue n’est pas un problème, tant que ça ne se transforme pas en grosse beuverie. De toute façon, continue celle qui est aussi bourgmestre de Jurbise, nous n’avons en général pas le temps de prendre un verre en journée. Les réunions et commissions font qu’on n’a pas vraiment de temps libre, et donc de temps à consacrer pour boire un verre ».

Pour Jacqueline Galant, il en va de la responsabilité individuelle des élus de faire la distinction entre le travail et le loisir. « Je ne bois pas ou très peu au parlement car je dois remplir mon mandat et avancer sur les dossiers. Dans ma commune, je participe à un maximum de festivités de la vie associative ».

La nouvelle donne des réseaux sociaux

L’entrée dans le deuxième millénaire a laissé derrière elle les mauvaises habitudes liées à l’alcool des Dehaene, Martens et autre Daerden. Les années 2000 ont aussi vu l’avènement des réseaux sociaux, qui changent assurément la donne. Avec Facebook, Twitter et consorts, tout se sait beaucoup plus vite. « Pour un politique, se faire filmer en train de tituber sur le trottoir peut désormais avoir des conséquences directes pour la suite de sa carrière », explique un autre cador politique de la télévision publique.

« Les élus font aussi plus attention à leur consommation au sein des assemblées, car ils sont filmés pendant les séances de la Chambre dans le cadre de certaines émissions comme Villa Politica (émission de la VRT) ». Ce genre d’émissions a également bien évolué. « A l’aube des années 2000, des émissions comme De Zevende Dag en Flandre mêlaient autour de la table journalistes, politiques et spectateurs. Ils avaient des discussions de bistro, et on y servait des bières spéciales ! ».

Une nouvelle génération d’élus moins portée sur la bouteille

Le rajeunissement des assemblées depuis les élections de 2019 a amené une vague d’élus moins portés sur la bouteille. « Au parlement bruxellois, constate Rachid Madrane (PS), ils préfèrent les jus de fruits ou le café aux boissons alcoolisées, qui sont de toute façon interdites pendant les travaux ». Le président de l’assemblée ne constate pas d’abus liés à l’alcool. « Le seul moment où les députés prennent un petit verre, c’est le vendredi soir en fin de séance ».

Si la nouvelle génération est moins intéressée par l’alcool, faut-il alors se prononcer en faveur de son interdiction au sud du pays, en suivant l’exemple de la Flandre ? Selon Rachid Madrane, non. « La buvette est un lieu convivial, où les élus de tous les bords politiques peuvent échanger leur vision des choses à l’abri des caméras. Autour d’un jus issu du commerce équitable ou d’une bière locale, la buvette permet de rassembler le monde politique ».

Vers une interdiction de l’alcool à la Chambre ?

Pour autant, le groupe des écologistes à la Chambre des représentants compte bien pousser pour l’interdiction de l’alcool au sein de l’assemblée. « Nous avons introduit une demande en ce sens auprès du comité de la gouvernance », explique Gilles Vandenburre, chef de groupe Ecolo à la Chambre. « On ne peut plus accepter que de l’alcool soit disponible gratuitement au Parlement, qui est un lieu de travail. Si certains veulent aller boire un coup, il y a plein de cafés sympas dans le centre de Bruxelles qui sont dédiés à cela ». Interdire l’alcool dans les assemblées n’empêcherait cependant pas complètement la consommation d’alcool dans le monde politique. « Pour le reste, note l’écologiste, on ne peut pas empêcher les politiques d’aller boire des coups en-dehors du Parlement. C’est un choix qui est de la responsabilité individuelle de tout un chacun ».

Le comité de gouvernance devra trancher la question de l’alcool au Parlement. Tout comme celle des pensions illégales de certains anciens mandataires comme Herman De Croo et Sigfried Bracke. Quant à l’issue du processus, Gilles Vandenburre est confiant. « Neuf fois sur dix, la décision du comité de gouvernance est suivie par le Parlement ». D’ici quelques semaines (mois), les députés fédéraux pourraient donc bien trinquer à la fin de l’alcool au sein de l’assemblée. Gezondheid. Santé.  

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