Entre le MR et Les Engagés, la mayonnaise a pris: pourquoi ça va secouer (analyse)
Le MR et Les Engagés ont accouché d’une double déclaration politique, régionale et communautaire, en un mois à peine. Ils n’étaient pas nécessairement faits pour s’entendre, mais semblent désormais sur une même longueur d’ondes. Avec une promesse: ça va secouer.
Il convient de se replacer, pour quelques instants, dans le contexte préélectoral pour mesurer le bond effectué par les partenaires de la coalition Azur, le MR et Les Engagés, en un mois et deux jours. Ce n’est pas un record, mais c’est rapide. Ils auront donc été en mesure, forts de leurs majorités respectives en Wallonie et en Fédération Wallonie-Bruxelles, d’accoucher d’une déclaration de politique régionale (DPR) et d’une déclaration de politique communautaire (DPC).
Les symboles importent, parfois. Ce 11 juillet coïncidait avec la fête de la Communauté flamande. Les deux présidents de partis, Maxime Prévot et Georges-Louis Bouchez, n’ont pas manqué lors de leur conférence de presse de jeudi d’indiquer la célérité avec laquelle ils avaient agi, leur permettant d’être presque les premiers – n’oublions pas les germanophones – à aboutir. A plusieurs reprises, ils ont cité la Flandre en exemple, lorsqu’il s’est agi de présenter quelques mesures phares. «A l’image de ce qui se fait en Flandre, nous procéderons comme ceci.» On veut faire vite et bien, voire mieux qu’en Flandre, où on nous observe sans doute. La rupture est annoncée, dans l’espace francophone.
Autres symboles: le coq hardi wallon et le logo de la Fédération Wallonie-Bruxelles, recolorés selon la coalition azur, bleu et turquoise, sur les documents présentés. C’est bien une nouvelle ère qui débute, promettent-ils.
Les deux partis, singulièrement leurs présidents, n’étaient pourtant pas nécessairement fait pour s’entendre à ce point, a priori. Au lendemain des élections, le virage au centre-droit, le fameux «signal de l’électeur», a maintes fois été constaté. Et avec lui, les convergences programmatiques envisageables entre les deux formations.
Pourtant, l’un et l’autre incarnaient quelque chose de différent lors de la législature précédente et au moment de la campagne. Du côté du MR, un président assumant le clivage, la ligne claire, la position tranchée, la confrontation parfois abrupte des idées. Du côté des Engagés, une posture insistant en permanence sur la nuance, la mesure, le bon sens. Maxime Prévot a maintes fois taclé Georges-Louis Bouchez et ses méthodes par le passé. Georges-Louis Bouchez n’a pas toujours compris l’orientation prise par Les Engagés.
Les voilà désormais partenaires, «au sein d’une équipe soudée», comme le dit Georges-Louis Bouchez. Ils ont constaté l’alignement de planète et s’y sont engouffrés avec la volonté d’initier «une nouvelle ère», celle des réformes «qu’on n’a pas osées faire au cours des 50 dernières années», des réformes basculantes, du changement, quelques ruptures.
Un enjeu budgétaire colossal
Est-ce que ça va saigner? «C’est manifestement l’austérité qui arrive», exprimait Ecolo ce jeudi. «Ce que les gens ont demandé, c’est un changement qui améliore leur vie quotidienne, pas un changement qui l’aggrave», scandait-on au PTB, en craignant aussi l’austérité. «Ils annoncent 1,5 milliard de baisse des impôts (sur 10 ans), et en même temps réduire l’endettement avec des économies drastiques. Clairement, ça veut dire que ça va saigner», disait pour sa part Christie Morreale (PS). L’opposition dégaine, c’est bien normal, et elle s’annonce rude pour la législature 2024-2029.
Mais les deux partenaires du gouvernement à naître se voulaient rassurants. «La volonté, c’est que tous les Wallonnes et les Wallons soient plus heureux après», avance Georges-Louis Bouchez. «Rien n’est fait contre quelqu’un, tout est fait pour les gens.»
«L’effort budgétaire se conçoit sur une durée de dix ans. Si nous l’avions fait d’ici à la fin de la législature, la pente de la courbe aurait été à ce point forte qu’il y aurait eu du sang et des larmes», rassure Maxime Prévot.
L’effort budgétaire en question est très conséquent, à la mesure de la situation périlleuse dans laquelle se trouvent les finances régionales et communautaires, selon les partenaires. «En Wallonie, on se dirige vers plus de 41 milliards d’endettement à l’horizon 2025, nous avons une volonté de réduire cet endettement», a d’emblée annoncé Georges-Louis Bouchez.
Pas qu’un peu, à vrai dire. L’objectif, c’est un retour à l’équilibre budgétaire en dix ans, avec un premier effort cumulé de 1,214 milliard à l’horizon 2029 (880 millions pour la Wallonie et 334 millions pour la Fédération Wallonie-Bruxelles).
Dans le même temps est annoncée «la plus grande baisse d’impôt jamais réalisée en Wallonie», dixit le président libéral. Au total, 1,5 milliard d’euros d’allègement (700 millions sous cette législature), avec un focus sur les jeunes, les actifs et globalement la classe moyenne.
On va simplifier à tout-va, rationnaliser à tous niveaux, éviter les dépenses inutiles, si bien que 80% de l’effort sera opéré sur la réduction structurelle des dépenses. En corollaire, on retrouve dans l’accord régional une série de mesures fiscales pressenties, dont la réduction de moitié des fameux droits de succession (ce qui devra attendre un peu) et la diminution des droits d’enregistrement à 3%, pour faciliter l’acquisition d’un premier bien (et ce, dès 2025).
L’effort budgétaire se conçoit sur une durée de dix ans. Si nous l’avions fait d’ici à la fin de la législature, il y aurait eu du sang et des larmes.
La grande question, qui persiste, mais pour laquelle les deux présidents de parti assurent qu’ils en détiennent la réponse, demeure celle du financement. S’attaquer aux élans dispendieux, supprimer les subsides facultatifs, restructurer une série d’organismes publics et rationnaliser tous azimuts suffira-t-il à honorer la double promesse d’un redressement budgétaire et d’un assouplissement fiscal? Le MR et Les Engagés restent relativement flous à ce stade sur la teneur des tableaux budgétaires. Ils seront assurément attendus au tournant sur la question du financement de leurs ambitions.
Gouvernance: on secoue le cocotier
Dans la batterie de mesures de rationalisation annoncées par le MR et Les Engagés, le volet de la gouvernance n’est peut-être pas celui qui aura le plus d’impact sur les finances, mais assurément un des plus marquants et «disruptifs», pour employer un terme dans l’air du temps.
Cela commencera par les gouvernements wallon et communautaire à proprement parler: dix ministres au lieu de treize, avec des doubles casquettes, et des cabinets réduits de 10%. Le casting sera connu en début de semaine prochaine.
L’échelon provincial, en tant que niveau de pouvoir politique, sera appelé à disparaître en 2030, avec la volonté de transférer les compétences tantôt vers un niveau supracommunal, tantôt vers d’autres niveaux de pouvoir. Ce point-là sera confronté à quelques écueils juridiques et à l’indispensable approbation par une majorité des deux tiers au parlement wallon. Les partenaires souhaitent par ailleurs soumettre la question à une consultation populaire.
Les conseils communaux des grandes villes seront écrémés également, pendant que le principe de la règle d’or budgétaire sera appliqué. On n’en fera pas plus que ce qu’exige la réglementation européenne dans l’ensemble des politiques, on réduira le nombre de structures en termes de logement, d’emploi, d’économie, etc. Un exemple parmi d’autres: la fusion des gestionnaires de réseaux de distribution (GRD) tels qu’Ores et Resa.
Sans oublier système électoral, qui sera lui aussi modifié, avec la disparition du principe de l’apparentement (instauration de circonscriptions provinciales y compris pour les élections régionales), de l’effet dévolutif de la case de tête et des listes de suppléants.
Les mesures qui feront parler d’elles
On retrouve beaucoup d’idées et de mesures, dans les déclarations de politique régionale et communautaire. Les deux ont été présentées de concert, sans attendre que la Région bruxelloise ne dispose d’un début d’amorce d’accord, soit dit en passant. Le fait est que, juxtaposées par le MR et Les Engagés, les décisions régionales et communautaires se confondent parfois, donnant l’impression de faire partie d’un seul et même paquet.
Quelques-unes feront parler d’elles, parce qu’elles auront un impact sur le quotidien des citoyens, ou qu’elles risquent de susciter des réticences, l’avenir le dira.
On peut citer, sans exhaustivité aucune, l’instauration de la vignette automobile sur le réseau routier (qui sera déduite de la taxe de circulation pour les Wallons), l’activation plus rapide des demandeurs d’emploi par le Forem, l’abandon et le recentrage de quelques éléments du plan de relance, la rigueur budgétaire pour l’extension du tram de Liège, la concrétisation de la Boucle du Hainaut, le déploiement de la 5G, le renforcement substantiel du réseau de bornes de recharges, l’égalité de traitement entre contractuels et statutaires dans la fonction publique, etc.
Au menu communautaire, l’instauration de CDI dans l’enseignement, l’interdiction du smartphone en primaires, la fusion des différents réseaux de l’officiel, le financement du libre équivalent à celui de l’officiel, le retour sur la réforme du décret Glatigny, la modification du tronc commun en secondaires, l’incitation à la fusion de télévisions locales, avec un serrage de ceinture pour la RTBF, etc.
Il y a là, parmi d’autres points, quelques-uns de ces «tabous» auxquels entendent s’attaquer les deux formations politiques qui s’apprêtent à prendre les rênes gouvernementales.
Deux partis qui y trouvent leur compte
Libéraux et centristes ne se sont sans doute pas entendus sur tout. C’est le cas, par exemple, de la question de la consigne sur les canettes, qui est zappée «en raison de sensibilités différentes», comme le dit poliment Maxime Prévot.
Dans l’ensemble, néanmoins, tant le MR que Les Engagés semblent s’y retrouver dans les accords présentés, bien que les dimensions chiffrées, plus concrètes, fassent encore défaut à ce stade.
Les deux s’entendent sur les politiques plus actives (ou restrictives, c’est selon) en matière d’emploi, sur la thématique de la simplification institutionnelle ou les objectifs agricoles. Le MR aura obtenu, parmi d’autres mesures, quelques-unes de ses exigences sur le plan économique ou l’accès à l’acquisition d’un premier logement. A la satisfaction des Engagés, les annonces ont aussi fait la part belle aux politiques de santé, aux familles monoparentales, vis-à-vis du handicap, de l’enseignement, des crèches.
Dans les attitudes comme dans les paroles, l’entente est jusqu’ici au beau fixe. Ces deux-là, profitent de l’opportunité qui leur est offerte de convoler sans les autres – le PS, en l’occurrence. En politique, la réalité gouvernementale et les choix qui s’imposent peuvent susciter bien des crispations. L’avenir dira s’ils honoreront la rigueur et le devoir d’exemplarité qu’ils affichent au début de cette législature, qui donnera vraisemblablement lieu à son lot d’oppositions, qu’elles soient politiques ou émanent de la société civile.
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