Le jour où Nicolas Martin, Christie Morreale et Ahmed Laaouej iront manger ensemble, la présidence de Paul Magnette au PS prendra fin (analyse)
Affaibli par deux défaites électorales, en juin et en octobre, Paul Magnette doit contenter les nombreux mécontents socialistes s’il veut mener son travail de rénovation du PS à terme.
Le soir des élections communales, Paul Magnette était debout sur la scène de la Ruche Verrière, à Lodelinsart, mais il disait être assis sur un mur rouge. Or, ce mur rouge, censé avoir arrêté une vague bleue le 13 octobre, est fissuré de partout. Il chancèle, même. Et de ce mur rouge, Paul Magnette pourrait bien tomber, un de ces jours. Alors, le Carolorégien colmate, il maçonne, il étançonne. Mais comme beaucoup des fissures que Paul Magnette tente de boucher sont dues aux malfaçons de sa présidence, il ne lui est pas simple d’encore trouver, au PS, des maçons, des apprentis et des manœuvres pour l’aider à accomplir cet ouvrage.
Le 9 juin dernier, les résultats n’étaient pas bons, et de premières grosses brèches sont apparues, jusqu’à la façade du mur rouge, boulevard de l’Empereur. Dès le bureau de parti du 10 juin, le bourgmestre de Mons et président de la Fédération de Mons-Borinage, Nicolas Martin, bien élu député régional, critique la ligne du parti, qu’il a trouvée trop à gauche. A la sortie de ce bureau, le président national annonce que le Parti socialiste fait le choix de l’opposition, mais le président de la Fédération bruxelloise Ahmed Laaouej, incontournable pour la formation d’un exécutif bruxellois, n’est pas concerné. A ce moment déjà, Paul Magnette, qui se prépare depuis longtemps à renoncer au maïorat de Charleroi, sait qu’il devra se bagarrer pour sauver sa présidence. A ceux qui pourraient la contester, ceux qui ont gagné, ou en tout cas qui n’ont pas trop perdu, dont Nicolas Martin et Ahmed Laaouej, il concède, sur tout ou presque.
Sur le positionnement: les sorties présidentielles et donc la communication du parti, de juin à octobre, inclineront vers le centre, et Paul Magnette laisse son écosocialisme en jachère.
Sur les moyens humains et financiers, désormais plus limités: ils sont réaffectés aux groupes parlementaires, où se trouvent les anciens ministres qui pourraient en vouloir à leur président de parti, plutôt qu’aux deux premiers étages du Boulevard de l’Empereur, où se trouve leur président de parti, et l’Institut Emile Vandervelde qui ne compte désormais plus qu’une poignée de collaborateurs.
Sur les désignations: Nicolas Martin est intégré au G8. Ce G8 ne compte qu’une seule femme, Christie Morreale, cheffe de groupe au parlement de Wallonie, et de nombreuses autres femmes reprochent à Paul Magnette d’avoir laissé son social-féminisme de côté, si bien qu’on ne sait pas si ce G8 s’est encore réuni depuis juin, ses membres jurent que non, ou s’il s’est réuni dans l’absolu secret des plus sélects gentlemen’s clubs. A la Chambre, c’est Eric Thiébaut, bourgmestre de Hensies, qui est choisi comme chef de groupe intérimaire, jusqu’à ce que Pierre-Yves Dermagne regagne les rangées parlementaires à la fin des affaires courantes –du moins, c’est présenté comme ça. Thomas Dermine obtient, au prix d’un aimable braquage des instances carolorégiennes, la tête de liste communale à Charleroi, donc le maïorat. Et Ahmed Laaouej, qui s’autodésigne chef de groupe au parlement bruxellois en attendant le gouvernement régional, n’est pas tout à fait concerné mais il fait ce qu’il veut.
Après avoir déjà concédé pas mal après la première vague bleue, Paul Magnette devra encore convaincre ses camarades.
Une implication nationale
Tous ces gens, ces cooptés au G8, ces chefs de groupe en repli ou ces bourgmestres en manœuvre ne sont pas les meilleurs amis de Paul Magnette, ou ils ne le sont plus, et certains sont même de vieux adversaires. C’est pourquoi Paul Magnette leur a concédé beaucoup, entre le 9 juin et le 13 octobre. Et c’est pourquoi aussi Paul Magnette, de juin à octobre, répète qu’il ne faut surtout pas penser que les élections communales auront des implications nationales, mais qu’il y aura autant de campagnes qu’il y a de communes.
Le 13 octobre, les résultats ne sont pas très bons non plus, mais il tente de donner une implication nationale aux résultats communaux qui l’arrangent; il parvient brièvement à faire de Lodelinsart le centre du monde politique francophone, et le bureau de parti du 14 octobre est beaucoup moins pesant que celui du 10 juin. Paul Magnette a maintenu sa majorité absolue socialiste à Charleroi. Et le PS sauve les meubles dans plusieurs grandes villes, à Bruxelles, Liège, Mons, Seraing, et c’est pour ça qu’il fait le coup du mur rouge sur lequel se fracasse la vague bleue, en début de soirée –il est le premier président de parti à s’exprimer.
Mais là où des socialistes consolident ou améliorent leurs positions, de Hensies à Mons, en passant par Farciennes ou Binche, dans le Hainaut, ce sont les anciens amis ou les vieux adversaires de Paul Magnette qui ont gagné, ou qui n’ont pas trop perdu, souvent sous l’étiquette d’une liste du bourgmestre plutôt que sous le sigle du PS. A Liège-Ville, où tous les socialistes sont affaiblis, Christie Morreale fait deux fois plus de voix que Julie Fernandez Fernandez, et cela suffit à l’imposer durablement. A Bruxelles, Ahmed Laaouej est plus central que jamais, et continue à faire ce qu’il veut. Et dans les heures et les jours qui suivent la grande phrase sur le mur rouge, le PS perd Sambreville, Thuin, Waremme, Blegny, Tubize, Frameries, et bien entendu Tournai, où Ludivine Dedonder et Paul-Olivier Delannois sont renvoyés dans l’opposition par une coalition inattendue entre Marie-Christine Marghem (MR), Les Engagés et les écologistes. Ludivine Dedonder et Paul-Olivier Delannois étaient les soutiens hainuyers non carolorégiens les plus puissants de Paul Magnette –le chef de cabinet de Ludivine Dedonder, Jamil Araoud, était devenu directeur de l’Institut Emile Vandervelde (IEV) lors de la première vague de concessions. A Herstal, Frédéric Daerden, président de la Fédération liégeoise, n’a plus son immémoriale majorité absolue. Et à Rochefort, Pierre-Yves Dermagne a été dépassé par Les Engagés et par le MR, ponctuant la nouvelle grammaire socialiste, issue de ce scrutin communal. Sa règle, qui ne connaît que quelques marginales exceptions, expose que plus vous êtes aujourd’hui proche de Paul Magnette sans être Paul Magnette lui-même, plus vous avez de chances d’avoir loupé votre scrutin communal ou les négociations qui l’ont suivi, et d’avoir perdu soit des électeurs, soit votre mandat électif.
Le jour où ces trois-là iront manger ensemble, la présidence de Paul Magnette prendra fin.
C’est pourquoi après avoir déjà concédé pas mal après la première vague bleue, celle du 9 juin, Paul Magnette devra convaincre ses camarades, ceux qui sont affaiblis et qui sont encore ses amis et ceux qui ne le sont plus ou ne l’ont jamais été, et qui sont renforcés, qu’il est le maçon le plus qualifié pour consolider ce mur rouge aux fissures exposées. Il va donc, pour commencer, poursuivre sa vague de concessions.
Mais Paul Magnette a-t-il encore quelque chose à concéder? A la Chambre, il y a bien la présidence du groupe, promise à Pierre-Yves Dermagne après juin, mais qui ne lui paraît plus tellement cessible après octobre. Pour le reste, le Carolo a déjà fort entamé ses réserves après la vague de juin.
Et surtout, à qui devra-t-il concéder s’il veut pouvoir correctement refonder le parti comme il l’a promis?
Trois fourchettes et une truelle
A tout le monde ou presque, mais spécialement à trois socialistes, issus de trois importantes fédérations, qui sont, ensemble, en situation de faire tomber le mur rouge sur lequel est assis Paul Magnette. Nicolas Martin, plutôt à droite du parti mais qui négocie à Mons une coalition avec le PTB et Ecolo, Ahmed Laaouej, plutôt à gauche du parti mais qui négocie à Bruxelles une coalition avec le MR et la N-VA, et Christie Morreale, plutôt à l’est du parti et qui discute à Liège de reprendre en cours de mandat le maïorat de Willy Demeyer. Ils sont, seuls, moins populaires que Paul Magnette, les sondages le démontrent, tous ne sont pas aussi bons orateurs, et leur ligne respective, sur le socioéconomique, sur l’institutionnel, sur les questions de société, comme leur localisation mutuelle, ne convaincraient probablement pas une majorité de militants. Ensemble, ils seraient soutenus par les anciens amis et les vieux adversaires de Paul Magnette, rassembleraient sans problème la majorité au bureau, et le candidat qu’ils se choisiraient, remporterait une élection présidentielle compétitive.
Le jour où ces trois-là iront manger ensemble, la présidence de Paul Magnette prendra fin, et ses intentions de rénovation du mur rouge aussi. Sa truelle dépend du croisement de ces trois fourchettes.
Mais Nicolas Martin, Ahmed Laaouej et Christie Morreale sont encore très loin d’aller manger ensemble. Même s’il y en a qui les invitent à s’inviter, parmi les anciens amis et les vieux adversaires de Paul Magnette.
Ils n’ont pas le temps pour le moment, parce que deux négocient comme bourgmestres et comme présidents de fédération, et une s’installe en cheffe de groupe de l’opposition.
Ils n’en ont pas l’intérêt pour le moment, car les trois ont été spécialement choyés par Paul Magnette, entre le 9 juin et le 13 octobre; Nicolas Martin a reçu un énorme soutien pour sa campagne communale; Ahmed Laaouej a obtenu une gigantesque autonomie pour ses négociations régionales et communales; Christie Morreale a gagné les meilleurs collaborateurs du parti pour son groupe d’opposition.
Ils n’ont pas le temps, pas l’intérêt et donc aucune envie d’ajouter du désordre à la défaite, et de faire organiser une élection présidentielle anticipée dans les mois à venir: le mandat de Paul Magnette court jusqu’au printemps 2027, et tant que leur président, conscient de la nouvelle fragilité de son assise, les choie chacun, ils lui laisseront, ensemble mais pas nécessairement unis, sa truelle de refondateur.
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