25 January 2025, Saxony-Anhalt, Halle (Saale): US billionaire Elon Musk talks to Alice Weidel (not pictured), Federal Chairwoman of the Alternative for Germany (AfD), via videocall during the AfD's election campaign launch in Halle. Photo: Hendrik Schmidt/dpa

Le dog whistling, ce langage codé qui séduit l’extrême droite et vise à rendre «le fascisme fun»

Le dog whistling est devenu une arme redoutable en politique. En Allemagne, l’AfD en a fait un outil de choix, mêlant discours à double sens et clins d’œil au nazisme. Décryptage d’une stratégie aussi ambiguë qu’inquiétante.

Barack Obama, Jordan Bardella, Elon Musk et Alice Weidel ont un point commun: ils ont tous, à un moment donné, manié l’art du dog whistling dans leurs discours. Mais qu’est-ce que c’est que cette pratique au nom intriguant, que l’on pourrait traduire par «sifflet à chien»? L’expression fait référence au fameux sifflet ultrasonique, audible uniquement par les chiens, mais imperceptible pour l’oreille humaine. En communication politique, ce terme désigne un discours assez clair pour toucher les personnes qu’on cherche à atteindre, mais assez flou pour que le grand public ne comprenne pas le fond du message. Grâce à ce double discours, un politicien peut rallier ses partisans les plus fervents tout en évitant de froisser les électeurs modérés.

Bien que fréquemment utilisée par l’extrême droite, la technique du dog whistling n’est pas l’apanage d’une seule idéologie. Lors de son mandat, Barack Obama, souvent attaqué sur son identité américaine, avait déclaré lors d’un meeting: «They try to bamboozle you, hoodwink you» («Ils essaient de vous embobiner, de vous duper»). Une phrase qui, pour les connaisseurs, faisait écho au discours de Malcolm X dans le film éponyme interprété par Denzel Washington. Dans ce cas-ci, l’utilisation du dog whistling a donné du poids à son discours, et ceux qui connaissaient la référence l’ont probablement appréciée.

Dans tous les cas, le dog whistling s’avère être un outil électoral redoutable. Jordan Bardella, mis sous pression lors d’une interview à BFMTV, a glissé un discret, mais significatif «ben voyons», une expression popularisée par Éric Zemmour. Cette simple phrase, qui peut paraître anodine pour le grand public, était en réalité un appel du pied aux électeurs de Reconquête.

Cette technique de communication permet avant tout de pouvoir tout dire, sans être dans le collimateur de la justice, tout en contournant la modération sur les réseaux sociaux. Par exemple, pour citer les arabes sans les nommer, certaines personnes utilisent l’émoji arbre, car les deux termes se ressemblent phonétiquement. Encore pour cibler la population maghrébine, le terme «suédois» pullule sur le net. Ces façons de qualifier les arabes permettent à un tas de personnes malintentionnées de diffamer en toute impunité. Et l’AfD, le parti d’extrême droite en Allemagne en a fait sa spécialité.

Séduire et diviser

Preuve à l’appui, l’AfD joue énormément avec ce concept dans ses campagnes électorales. Et avec le temps, il ne suffit plus d’être un initié du parti pour comprendre le sens caché de ses messages. Réappropriation du slogan nazi «Alles für Deutschland», référence au «Sieg Heil», ou encore salut fasciste visible sur une affiche électorale, les signes envoyés aux groupuscules les plus radicaux sont de moins en moins subtils.

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Selon François Debras, politologue à l’ULiège et auteur d’un article scientifique sur le sujet, se référencer au nazisme est un bon coup en politique. «D’un côté, cela rassure les franges les plus extrêmes de la base électorale, en leur montrant qu’on pense toujours à eux. Et de l’autre côté, on peut facilement attaquer ses adversaires en leur reprochant de voir du nazisme partout. L’AfD joue sur l’ambiguïté, car ses adversaires ne pourront jamais démontrer à 100% que leur inspiration vient du nazisme. Cette utilisation du dog whistling détourne le débat de fond. Avec l’AfD, la question centrale devient: «Sont-ils nazis ou non?» Cela polarise les opinions, poussant les gens à choisir leur camp sur cette seule perception, plutôt que sur les idées ou le programme du parti.»

Un propos que confirme Nicolas Baygert, expert en communication politique. «Finalement, condamner ces gestes qui manquent de subtilité ne fait que renforcer le sentiment de cohésion des électeurs du parti d’Alice Weidel. La transgression est devenue une stratégie en politique aujourd’hui, et c’est utilisé comme une marque de résistance au politiquement correct. L’AfD se présente comme tel: une alternative au système établi.»

Entre provocation et stratégie électorale

S’inspirer du nazisme n’est pas un hasard. Dans ses meetings, l’AfD montre sa volonté de vouloir se défaire de la culpabilité qui suit les Allemands depuis la Seconde Guerre mondiale. «Par l’outrance, l’AfD veut montrer que les Allemands ont tourné la page, de manière presque ironique, explique Nicolas Baygert. Le fascisme est devenu fun

En se réappropriant ces gestes et ces slogans, le parti cherche à leur donner une autre signification. Électoralement, c’est un choix judicieux: on s’attire à la fois le vote des personnes qui ont ras-le-bol du système en place, mais aussi celui des groupuscules fascistes, qui y voient ce qu’ils ont envie de voir. Mais, selon l’expert en communication politique, ce n’est pas aussi simple que ca. «Dans son discours, Alice Weidel montre qu’elle n’en peut plus d’être affiliée au nazisme. D’après elle, le nazisme est tout le contraire de ce qu’elle défend, à tel point qu’elle assimile Hitler au communisme. Par contre, et ça, elle ne peut pas le nier, au sein même de son parti, certains vocables du nazisme sont utilisés, à tel point qu’un membre a été condamné à payer une amende pour cette raison. Son parti accueille des personnalités très différentes, ce qui en fait la force du parti en Allemagne.»

X, un terrain de jeu pour le dog whistling

Sans surprise, la plateforme où foisonnent ces appels du pied, plus ou moins subtils, n’est autre que X, le réseau social d’Elon Musk. Ce dernier a poussé la liberté d’expression à l’extrême, au point qu’on peut y publier à peu près tout et n’importe quoi. Alors pourquoi ces messages codés continuent-ils de proliférer sur un espace où, en apparence, les propos pourraient être tenus sans détours?

«Le langage sur les réseaux sociaux s’adapte à la cible que l’on cherche à atteindre, explique François Debras. La parole autour des discours de haine s’est libérée, élargissant les frontières de ce qui est socialement acceptable. Cependant, les utilisateurs doivent encore composer avec la loi, et certains termes restent répréhensibles. Le dog whistling offre un avantage unique: il fédère une communauté en créant un langage commun, où les initiés se reconnaissent entre eux, notamment sur X.»

L’émergence de cette pratique dans les cercles d’extrême droite reflète une évolution préoccupante de la société. «Il y a quelques années, une affiche montrant un salut fasciste, ou un slogan nazi aurait tué n’importe quelle carrière politique», conclut Nicolas Baygert.

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