Lalieux vs Bouchez: pourquoi le PS et le MR s’affrontent sur les pensions
La ministre des Pensions Karine Lalieux (PS) est de retour avec une réforme ajustée, qui ne plait pas à Georges-Louis Bouchez et au MR, pourtant partenaire de majorité. Tour d’horizon des points de désaccord entre socialistes et libéraux francophones, avant le débat en kern de ce vendredi.
Depuis que Karine Lalieux (PS) a présenté sa réforme des pensions en juillet à la Chambre, c’est peu dire que le dossier n’a pas beaucoup avancé. La ministre des Pensions veut du changement, mais le gouvernement (et le Parti Socialiste) fait face à deux obstacles majeurs.
Le premier, c’est le coût de cette réforme, jugé trop important par la Commission européenne. Le relèvement de la pension minimum à 1500€/mois et l’introduction d’un bonus pension pèsent déjà trop lourd dans les finances du fédéral. Le gouvernement ne peut engager de réformes couteuses, sous peine de dire adieu à l’argent promis par l’Europe dans le cadre du Plan de relance post-covid.
Le second frein à cette réforme des pensions ? L’absence de consensus au sein de la Vivaldi. Depuis l’approbation de la première mouture l’été dernier, l’attelage à 7 partis était tellement embourbé qu’Alexander De Croo lui-même a décidé de prendre les rênes sur la question des pensions. Résultat : la publication d’une note d’intention en décembre dernier pour tenter de rassembler les divergences. Un coup de poker manqué, puisque ni le PS ni le MR n’ont apprécié.
Cette semaine, finalement, Karine Lalieux est revenue à la charge avec une énième nouvelle mouture de la réforme des pensions. Au menu de la ministre : retraite anticipée à 60 ans, sanctions pour les entreprises qui n’emploient pas assez de personnes âgées et plafonnement du bonus pension.
Une recette difficile à avaler pour le président des libéraux francophones Georges-Louis Bouchez, qui a préféré se livrer à un marathon médiatique ce jeudi plutôt que de risquer l’indigestion. La Libre, LN24, De Tijd, Bel RTL… Aux quatre coins du pays, le Montois s’est farouchement opposé à « ces ajustements ridicules proposés par le parti de la sieste”, proposant à la place “une vraie réforme, ambitieuse”.
Voici les points de désaccord principaux entre le MR et le PS sur la question des pensions.
Pension anticipée
Si l’âge légal de la pension est de 65 ans en Belgique, il est possible de partir à la retraite plus tôt, de manière anticipée, sous certaines conditions. Depuis 2016, vous avez droit à la pension si vous avez atteint l’âge de 62 ans et si vous avez une carrière de 40 ans.
Dans son projet de réforme, Karine Lalieux souhaite assouplir les conditions d’accès à une retraite anticipée. Ainsi, il n’y aurait plus besoin d’atteindre les 62 ans pour y avoir droit. La durée effective de carrière remplacerait le critère de l’âge. Toute personne aurait droit à une retraite anticipée après 42 années de travail réellement prestées. In fine, cela signifie qu’un travailleur qui commence à travailler dès 18 ans pourra y avoir accès à 60 ans.
Dans un entretien à La Libre, le libéral s’oppose farouchement à cet assouplissement de la retraite anticipée. “C’est un non absolu. On ne va pas revenir en arrière. Le retour de la pension à 60 ans, c’est no way. Surtout à une époque où tous les pays d’Europe augmentent l’âge de départ à la retraite.”
Selon le président du Mouvement Réformateur, les restrictions actuelles entourant l’accès à la pension anticipée permettent une économie de 367 millions d’euros. Il regrette également que les salariés puissent avoir accès plus tôt que les indépendants à la pension anticipée, le calcul d’une année de carrière n’étant pas le même pour ces deux catégories de travailleurs.
Pension minimum
Depuis début janvier, le montant de la pension minimum est passé à 1549€ net/mois. Une mesure acquise par le PS et qui ne sera pas remise en cause. Les conditions d’accès à celle-ci, par contre, continuent d’opposer socialistes et libéraux francophones.
Dans l’accord de juillet dernier figurait l’exigence d’une carrière effective de 30 années pour l’accès à la pension minimum. À l’heure actuelle, seuls les salariés et les indépendants doivent prester 30 ans. Pour les fonctionnaires, c’est 20 ans de carrière effective. Les fonctionnaires ont donc accès à la pension minimum 10 ans avant les salariés et les indépendants.
Du côté des rouges, on cherche à harmoniser les trois régimes de pension pour réduire cette inégalité de traitement. Autrement dit, il s’agit de prester 30 ans comme fonctionnaire avant de pouvoir obtenir la pension minimum.
En contrepartie, le système serait harmonisé pour les carrières mixtes afin de tenir compte des travailleurs passés d’un régime à l’autre. En effet, un salarié qui preste 20 années dans le privé puis 10 autres comme fonctionnaire ne peut les cumuler, tandis que celui qui enchaîne 20 ans de salariat et 10 années comme indépendant bénéficie du droit à la pension minimum.
Du côté des bleus, on préfère recalculer le nombre de jours que doivent prester les fonctionnaires chaque année plutôt que de les faire travailler 30 ans. Selon Monsieur Bouchez, les fonctionnaires travaillent en réalité 250 jours par an pendant 20 ans, ce qui correspond à 16 ans de travail à temps plein. “Nous voulons vingt années à 312 jours”, confie-t-il à nos confrères de La Libre.
Bonus pension
Le bonus pension doit permettre de récompenser financièrement les personnes qui souhaitent travailler après l’âge de la retraite. En juillet 2022, il était décidé d’octroyer un bonus de 2€/jour aux personnes en âge de prendre leur retraite (anticipée ou pas) et qui choisissent de continuer à travailler.
La ministre Lalieux a depuis indiqué ne pas souhaiter de bonus financier pour les personnes qui souhaiteraient continuer à bosser après l’âge légal de la pension. Elle souhaite aussi conditionner l’octroi de ce bonus à l’instauration d’un plafond en fonction des revenus et au respect des conditions d’accès à la pension anticipée, soit 42 ans de carrière.
Georges-Louis Bouchez, lui, ne veut pas limiter le bonus à la seule pension anticipée. Il veut permettre son extension à la pension légale, pour récompenser les personnes qui choisissent de travailler au-delà de la pension.
Pensions: la refonte du deuxième pilier voulue par Lalieux
En Belgique, le système de pension est divisé en trois piliers. Le premier est celui de la pension légale, payée par l’Etat et calculée en fonction nombre d’années de travail, du salaire et du statut (salarié, indépendant, fonctionnaire).
Le second pilier concerne la pension complémentaire. Celle-ci n’est pas une obligation et peut être financée par l’employeur si vous êtes salariés, ou par vous-mêmes si vous êtes indépendant.
Ce que contestent les socialistes francophones, c’est la différence de taxation de ces deux piliers. La pension légale est taxée différemment, selon le régime de travail dans lequel vous vous situez. Pour la pension complémentaire, prélevée sur le capital, un taux de 10% est appliqué pour tout le monde.
Au micro de La Première, Karine Lalieux a plaidé pour une taxation progressive des plus hautes pensions. “Il faut arrêter de favoriser les plus nantis comme le fait Monsieur Bouchez, nous voulons plus de solidarité entre les basses et les hautes pensions”.
Concrètement, la ministre des Pensions propose d’appliquer un taux plus élevé sur les plus hautes pensions. “Il ne s’agit que de 3 à 4% des bénéficiaires du deuxième pilier, qui disposent d’un capital allant de 500.000€ à 1 million d’euros”, a-t-elle continué sur les ondes publiques.
Pour les 96 à 97% bénéficiaires restants, un taux de 10% sur la pension complémentaire continuerait à s’appliquer.
Côté libéral, cette réforme de la fiscalité sur le deuxième pilier ne passe pas. “La gauche ne cesse de répéter qu’il faut de la prévisibilité dans les pensions, qu’on ne peut pas changer les règles en cours de route, et là ils veulent changer la taxation de la pension complémentaire.”
Employer des personnes âgées pour éviter d’être sanctionné ?
C’est l’une des surprises de la réforme Lalieux. La ministre des Pensions souhaite sanctionner les employeurs qui n’embaucheraient pas assez de personnes âgées (comprenez les plus de 60 ans en particulier).
Karine Lalieux parle “d’un régime de coresponsabilité”, pour remédier aux discriminations à l’embauche subies par les personnes âgées qui cherchent du travail, et qui peinent à en retrouver. Les employeurs en défaut payeraient une cotisation, qui viendrait alimenter un fonds au profit de la caisse de retraites.
Dire que Georges-Louis Bouchez n’est pas un adepte de la mesure est un euphémisme. “On ne peut pas sanctionner les demandeurs d’emploi, on ne peut activer les gens qui sont au CPAS, par contre les entreprises peuvent être sanctionnées. On ferait mieux de stimuler le travailleur que de sanctionner l’entreprise”, déclare le président du MR à La Libre.
Pensions: Lalieux veut réduire les inégalités homme/femme
La réforme proposée par Madame Lalieux vise également à réduire les inégalités de traitement entre les hommes et les femmes, qui se reflètent également au niveau des pensions. Accouchement, charge des enfants et interruptions de carrière interviennent plus souvent dans les carrières des femmes.
Pour réduire cette inégalité, la ministre des Pensions cherche à intégrer tous les congés liés à l’arrivée d’un enfant ou à des soins dans les trente ans de carrière effective (adoption, accueil, écartement dans certaines professions, etc.)
Certaines de ces situations rentrent dans ce qu’on appelle les périodes assimilées, c’est-à-dire les moments où il n’est plus possible pour une personne de travailler.
Pour le président des libéraux francophones, il faut faire un tri dans ces périodes assimilées. “Une femme enceinte, ce n’est pas la même chose que quelqu’un qui est sans emploi depuis dix ans. Mais on pourrait très bien envisager des périodes de travail d’intérêt général pour garantir des périodes assimilées.”
« Pas touche à ma pension »
Le temps presse pour la réforme des pensions. La procrastination n’est plus permise, puisque le premier versement européen du Plan de relance dépend de la réussite de cette réforme.
Preuve que le match Lalieux-Bouchez (ou Parti Socialiste-Mouvement Réformateur) est bien lancé, la ministre des Pensions a annoncé ce jeudi le lancement d’une pétition. Son nom : “Pas touche à ma pension”, qui est explicitement adressés aux libéraux francophones…
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici