L’affaire Lassoued, un revers de plus pour Nicole de Moor : « Le CD&V risque de faire exactement la même erreur que la N-VA »
Les manquements dans le suivi du dossier d’Abdessalem Lassoued, auteur de l’attentat de Bruxelles, fragilisent encore la position de Nicole de Moor (CD&V). La secrétaire d’Etat à l’Asile et à la Migration, déjà mise à mal dans de nombreux dossiers, fait les frais d’un des portefeuilles gouvernementaux les plus redoutables.
Les tuiles s’accumulent pour Nicole de Moor. Mercredi, la secrétaire d’Etat à l’Asile et à la Migration, avec ses homologues de l’Intérieur et de la Justice, est sommée de venir s’expliquer une seconde fois devant la Chambre sur les ratés dans le suivi du dossier d’Abdessalem Lassoued. En séjour irrégulier sur le sol belge, l’auteur de l’attentat de Bruxelles avait reçu un Ordre de quitter le territoire (OQT), qui n’a jamais été exécuté. Cette faille dans le système de retour, ainsi que la communication défaillante de l’Office des Etrangers (OE) avec les autorités locales, ont placé Nicole de Moor sous le feu des critiques, le bourgmestre empêché de Schaerbeek Bernard Clerfayt (DéFi) allant même jusqu’à réclamer sa démission.
L’ancienne cheffe de cabinet de Sammy Mahdi se serait bien passée de ce nouveau revers, elle qui enchaîne les dossiers sensibles depuis sa prise de fonction, le 28 juin 2022. Cette fine connaisseuse de la migration, passée par les bureaux du Commissariat Général aux réfugiés et aux apatrides (CGRA), paraissait pourtant comme la mieux armée pour assurer la relève de l’actuel président du CD&V. C’était sans compter un véritable rebond dans les demandes d’asile et une ultra-saturation du réseau d’accueil.
Nicole de Moor, de casseroles en casseroles
Loin d’être un long fleuve tranquille, le mandat de Nicole de Moor a ainsi été marqué par les milliers de condamnations de Fedasil pour non-respect de ses obligations d’accueil. Laissés à la rue sans solution de relogement, des centaines de demandeurs d’asile ont envahi fin novembre 2022 un ancien bâtiment du SPF Finances à Schaerbeek, surnommé ironiquement le « Palais des droits », qui deviendra le symbole de la crise de l’accueil. La démocrate-chrétienne s’attellera à l’évacuation chaotique de ce squat, en février 2023, avant de voir le problème se déplacer aux rives du Canal à Molenbeek, puis dans un bâtiment situé rue de la Loi. Entre-temps, la secrétaire d’Etat verra même débouler un huissier dans ses bureaux, chargé de dresser une liste des biens saisissables pour permettre à l’Etat belge de s’acquitter de millions d’euros d’astreintes. Déjà fragilisée, de Moor annoncera alors fin août sa décision de suspendre temporairement l’accueil des hommes seuls, et provoquera une énième tempête au sein de la Vivaldi. Malgré sa condamnation par le Conseil d’Etat et son désaveu par la gauche, la secrétaire d’Etat maintiendra son choix, quitte à susciter des nouveaux appels à la démission dans les rangs écologistes. Toujours debout, vaille que vaille, elle doit désormais composer avec ce nouvel écueil que représente le « dossier Lassoued ».
Ces difficultés s’expliquent notamment par le contexte particulièrement explosif dans lequel Nicole de Moor est contrainte d’évoluer. « La situation actuelle est marquée par un afflux massif de demandeurs d’asile, corrélée à une absence de coordination à l’échelle européenne de ces demandes, observe Emilie Van Haute, politologue et chercheuse au Cevipol de l’ULB (Centre d’Etude de la Vie Politique). En même temps, le débat public sur la migration, en particulier dans l’espace néerlandophone, est particulièrement crispé, avec deux partis très vocaux sur ces questions dans l’opposition au fédéral, la N-VA et le Vlaams Belang. »
Un poste « casse-gueule »
Prise en étau entre la pression exercée par l’opposition flamande et la nécessité de collaborer avec des partenaires de coalition plus frileux sur ces questions, Nicole de Moor se retrouve dans une « position très inconfortable ». « Sa marge de manœuvre est limitée, car si elle applique une politique plus souple, la N-VA et le Vlaams Belang risquent de l’attaquer sur son laxisme et sa ‘soumission aux francophones’, estime Emilie Van Haute. A l’inverse, si elle est plus ferme, elle risque de perdre des voix car cette position n’est pas forcément alignée avec le positionnement classique démocrate-chrétien, qui se montre parfois plus humain sur ces questions. Dans ces conditions, il est difficile d’adopter une stratégie payante. »
De tout temps, la fonction de secrétaire d’Etat à l’Asile et à la Migration a été considérée comme périlleuse. « Je voulais prendre ce poste car je sais qu’il est casse-gueule », confiait d’ailleurs Sammy Mahdi dans les colonnes du Soir en avril 2021, reconnaissant avoir eu à endosser la « mission la plus compliquée et dangereuse » de sa carrière. Mais le terrain est d’autant plus glissant en période préélectorale, alors que la migration fait toujours partie du top 3 des priorités des électeurs flamands.
L’original ou la copie?
Si, à l’époque, le portefeuille de la migration a boosté la popularité de Theo Francken (N-VA) et de Maggie De Block (Open VLD), il n’a jamais permis à leur parti respectif d’être couronné aux élections qui ont suivi leur mandat. « Francken en est ressorti personnellement plus fort, mais pas son parti, se remémore Emilie Van Haute. En 2018, la N-VA a décidé de claquer la porte du gouvernement sur une question migratoire (le pacte de Marrakech, NdlR), mais je ne suis pas certaine que le calcul électoral était le bon. In fine, cela a favorisé le parti qui détient cet enjeu, à savoir le Vlaams Belang, qui a toujours fait de la migration son cheval de bataille ». En 2019, la formation de Tom Van Grieken a ainsi glané 15 sièges supplémentaires au fédéral, alors que les nationalistes flamands en ont perdu 8. « En règle générale, les électeurs préfèrent l’original à la copie », résume la chercheuse du Cevipol.
« Le risque pour le CD&V, c’est de faire exactement la même erreur que la N-VA, alerte Emilie Van Haute. En adoptant une position très stricte sur la migration et en plaçant le sujet au centre des débats, le parti risque de perdre certains électeurs… sans forcément aller en gagner. »
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