La voie est large pour une majorité étroite, et Bart De Wever est face à un dilemme (analyse)
Remplacer Vooruit par l’Open VLD dans la future coalition fédérale? La piste de cette « suédoise bis », qui ne disposera que d’un siège de majorité, est explorée par Bart De Wever.
Bart De Wever est à un carrefour. Il est arrêté. Il a fait sortir Conner Rousseau de sa bagnole, il était assis sur le siège passager mais ne voulait pas boucler sa ceinture. Et maintenant on ne sait même pas de quelle couleur elle est, sa voiture, finalement.
Avec ou sans rouge ? Avec plus ou moins de bleu ? Et ses rainures turquoises ? Est-ce qu’il y aura encore bien une croix à la place de l’arbre magique, sous le rétroviseur ?
On ignore même s’il veut encore conduire un quelconque véhicule, puisqu’il est si bien à Anvers, la plus belle ville du monde, comme il dit, et qu’il aime tant présider la N-VA, le plus grand parti de Belgique, comme il répète, et que la Belgique fédérale est dans un tel merdier que les navetteurs se prendraient d’affection pour le carrefour Léonard. Peut-être qu’il va finir par laisser sa place de formateur, et donc renoncer à devenir Premier ministre.
D’ailleurs, ce lundi, Bart De Wever a remis sa démission au roi, qui a prolongé sa mission de formateur d’une semaine, jusqu’au 12 novembre, et Bart De Wever doit l’assumer, il doit avancer, ce qu’il fera avec son proverbial sens de l’antique, on n’en doute pas, et avec son légendaire détachement par rapport à ses propres engagements et à ceux des autres, on en est sûr.
Mais là, donc, Bart De Wever est bloqué à un carrefour, il mène encore un attelage de quatre partis, la N-VA, le MR, les Engagés et le CD&V, ce n’est plus un carrosse, c’est une charrette qui vient de perdre sa cinquième roue. Il est à un carrefour, il est bloqué, et la voie pour une majorité large est étroite, mais la voie d’une majorité étroite est large, et voila ce qu’il a face à lui.
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Pourquoi la voie d’une majorité large est trop étroite
L’Anversois pourrait, puisque la crise est désormais ouverte, s’engager vers ce à quoi il s’était engagé avant le 9 juin, en disant que c’était la dernière chance de la Belgique: il annonçait alors une large majorité fédérale, disposant d’une majorité des deux tiers à la Chambre, qui bouclerait une merveilleuse réforme institutionnelle tout en réglant impitoyablement les principales urgences budgétaires. Bart De Wever avait fixé cet itinéraire vers un grand moment communautaire. Pour composer cette majorité large, qui associerait une tripartite traditionnelle qui a, dans l’histoire, presque toujours participé aux réformes de l’Etat à une N-VA qui souhaite depuis toujours participer à la dernière réforme de l’histoire, il comptait sur les socialistes du Nord et du Sud. Il avait noué une relation privilégiée avec Conner Rousseau, avait promis de les ramener au gouvernement flamand et de les garder au collège d’Anvers. Il se faisait fort de monnayer cette réforme avec les socialistes wallons. Mais le 9 juin, le PS a perdu les élections, et cette voie de la majorité large s’était refermée, quand bien même les sept partis pressentis disposeraient de 105 des 150 sièges de la nouvelle Chambre, soit les deux tiers.
Le sinistre de l’Arizona rouvre peut-être un peu le chemin qui avait jadis la prédilection de Bart De Wever. Mais c’est une toute toute toute petite ouverture dans un très très très étroit chemin. Il ne lui faudrait alors pas seulement convaincre Conner Rousseau de remonter dans son équipée, il lui faudra aussi y embarquer le PS, aux prix de concessions sociales et d’argent pour les institutions francophones, Bart De Wever se dit peut-être encore aujourd’hui qu’il a les moyens de se le payer, c’est peut-être possible. Mais il lui faudrait surtout inviter les deux autres familles, libérales et sociale-chrétienne, et particulièrement les francophones, à s’associer à cette large majorité. Or aucun des quatre partis concernés n’y a le moindre intérêt. Les libéraux et le CD&V ne veulent pas de ces socialistes qui s’opposent à leurs ambitions fiscales et budgétaires. Les Engagés ne veulent pas d’un retour du PS qui pourrait, certes, éviter de trop rudes économies à certains des secteurs qu’ils défendent, spécialement celui des soins de santé, mais qui brouillerait leur profitable image d’acteurs du changement politique. Et personne ne veut d’une réforme de l’Etat dans ces deux familles.
La voie étroite vers une majorité très large devra donc se mériter, et c’est très improbable compte tenu des obstacles à surmonter. Le premier, du reste, sera de montrer que la voie la plus large, celle d’une majorité étroite, est peu praticable.
Pourquoi la voie d’une majorité étroite est large
Celle-ci consisterait, pour Bart De Wever, à remplacer les socialistes de Vooruit par les libéraux de l’Open VLD. Elle pourrait se nouer rapidement, parce qu’il n’y aurait plus personne, hormis les Engagés, pour recentrer les ambitions fiscales et budgétaires de la droite unanime, et parce que cette pentapartite, que l’on pourrait à peu de frais rebaptiser suédoise, disposerait d’une majorité d’un seul siège à la Chambre. Georges-Louis Bouchez, qui se trouverait alors à la tête de la plus grande famille politique de la coalition, et qui à ce titre pourrait réclamer son volant à Bart De Wever, a plaidé en ce sens plusieurs fois depuis plusieurs jours. Mais Bart De Wever n’y gagnerait que la possibilité, déjà goûtée, avec peu de succès, de gouverner au fédéral sans les socialistes, donc de réformer l’économie de l’Etat mais sans réforme de l’Etat.
Cette majorité d’un siège signerait rapidement un accord de gouvernement cohérent dans tous les domaines ou presque, ne trouvant que les Engagés pour regimber sur la sécurité sociale et l’immigration, mais heurtant, parce que minoritaire côté flamand, le flamingantisme de la N-VA. Mais puisqu’elle ne tiendrait qu’à la volonté d’un député, qu’il fût Jean-Marie Dedecker ou Alexander De Croo, cette coalition serait vouée à la sortie de route. Elle présenterait alors un avantage pour Bart De Wever, qui répète depuis deux décennies que la Belgique est en panne : l’accident démontrerait que même quand la majorité francophone roule à droite, et même quand Bart De Wever le conduit, ce pays qu’il souhaite voir disparaître n’avance plus.
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