La particratie, les piliers et les patelins en force: ce qu’il faut retenir des nouveaux gouvernements wallon et de la FWB
L’essentiel
• Il y a maintenant 10 ministres dans les gouvernements wallon et de la FWB, au lieu de 13.
• Les équipes sont jeunes et novatrices, avec des ministres inexpérimentés.
• Certains ministres sont issus d’associations proches de leur parti.
• Le processus de formation a été très vertical, avec peu de participation démocratique.
• Les gouvernements sont plus représentatifs des zones rurales et moins centrés sur les grandes villes.
Deux présidents de deux grandes villes qui désignent des ministres issus de plus petites localités, souvent en lien avec des associations proches de leur parti: voici les leçons du casting des gouvernements wallon et de la FWB
Le MR et Les Engagés avaient dit qu’il y aurait moins de ministres dans les gouvernements de la Région wallonne et de la Fédération Wallonie-Bruxelles, et ils l’ont fait, puisqu’il y en avait treize et il n’y en a maintenant plus que dix dans les deux équipes toutes neuves, jeunes et féminines qui ont prêté serment ce lundi 15 juillet. L’effort était supportable pour les deux partis qui ont chacun renforcé leurs effectifs ministériels. Les Engagés, dans l’opposition entre 2019 et 2024, passent ainsi de zéro à quatre ministres, et le MR de cinq à six ministres. La sortie de la zone de confort aura surtout concerné les battus de l’élection, renvoyés méritoirement dans l’opposition, et aura principalement été accomplie par l’électeur francophone. Il n’y a pas seulement moins de ministres en Wallonie et en Fédération Wallonie-Bruxelles, il y a surtout infiniment moins de ministres PS et Ecolo.
1. Du jeune et du frais
Les deux équipes composées par Maxime Prévot et Georges-Louis Bouchez brillent par leur jeunesse, surtout dans le casting réformateur, puisqu’Adrien Dolimont n’a que 35 ans, soit moins de la moitié de l’âge de son prédécesseur Elio Di Rupo, et que la nouvelle ministre de l’agriculture, Anne-Catherine Dalcq, n’en a que 32. Les Engagés envoient de leur côté, avec Elisabeth Degryse (44 ans), une ministre-présidente de la Fédération Wallonie-Bruxelles qui affiche une grosse décennie de moins que son prédécesseur, Pierre-Yves Jeholet (55 ans). Ce dernier est le doyen de ses dix camarades, tandis que son nouveau collègue Yves Coppieters t’Wallant est quelques semaines plus jeune. Mais Pierre-Yves Jeholet dénote surtout par son incomparable expérience du haut niveau en politique. L’incroyable renouvellement gouvernemental que marque cette historique alternance francophone se signale aussi par l’inexpérience des nouveaux. Sinon, ils ne seraient pas des nouveaux.
Cinq des dix ministres qui ont prêté serment ce matin n’ont en effet aucun passé ministériel, quatre n’ont même jamais siégé dans un parlement, ou à peine quelques jours pour les élus du 9 juin (Yves Coppieters, Anne-Catherine Dalcq, Elisabeth Degryse, Valérie Lescrenier). Ces derniers doivent donc apprendre un métier dont ils ne connaissent rien. Enfin presque rien, car certains d’entre eux ont exercé comme conseillers de ministres ou de gouvernements dans des cabinets (comme Elisabeth Degryse chez Joelle Milquet), dans des groupes de travail (comme Yves Coppieters pendant la crise du coronavirus) ou dans des instances de concertation sociale (comme Cécile Neven à l’Union wallonne des Entreprises). L’inexpérience est plus patente chez Les Engagés, qui se sont renouvelés depuis l’opposition, qu’au MR, qui est au pouvoir depuis 2017 en Wallonie et depuis 2019 à la Fédération. Cette dissymétrie, s’amuse-t-on chez les réformateurs où l’on estime avoir très largement imposé ses vues dans la rédaction des Déclarations de politique régionale (DPR) et communautaire (DPC), s’est remarquée durant tout le processus de formation.
2. L’Action commune libérale et engagée
C’est une vieille loi de la pilarisation qui veut que quand les partis promeuvent des personnalités « issues de la société » civile, ils les choisissent – quand ce n’est pas à la télévision – dans un sérail qui leur est proche sur les plans sociologique et idéologique, ce que l’on appelle encore leurs piliers. La nomination de Cécile Neven, patronne des patrons wallons, par le MR en 2024 en témoigne autant que la désignation de Céline Tellier, patronne d’Inter Environnement Wallonie, par Ecolo en 2019. Ou que l’arrivée sur les bancs du parlement régional de la Capitale d’Olivier Willocx, l’homologue bruxellois de Cécile Neven. Le choix d’Anne-Catherine Dalcq comme ministre wallonne de l’agriculture procède également de ce réflexe de pilarisation. La Fédération des Jeunes Agriculteurs dont elle a été vice-présidente, et qui fut très active dans les manifestations politiques de ces derniers mois, étant un bastion aussi libéral que la FWA dont la FJA est une émanation, et qui sont aussi largement subsidiées que peuvent l’être les autres fleurons du monde associatif francophone. Chez les Engagés, Elisabeth Degryse, double successeure d’Alda Greoli, au parti et aux mutualités chrétiennes, incarne cette manière de s’ouvrir sans vraiment traverser les vieilles frontières, une méthode à peu près aussi casseuse de codes, sur ce plan, que si le boulevard de l’Empereur composait ses castings avec une ministre de l’Education permanente qui viendrait de Présence et Action Culturelles ou un secrétaire d’Etat aux affaires sociales qui serait de Solidaris.
3. Mouvements participatifs et particratiques
Les deux présidents à l’origine de cette alternance historique, Maxime Prévot et Georges-Louis Bouchez, avaient bâti une partie de leur triomphe sur la rupture avec la très impopulaire particratie. Ce qu’ils ont fait depuis le 9 juin fait d’eux les présidents les plus discrétionnaires de ces dernières années. Tout le processus qu’ils ont conduit, à deux, recevant les acteurs de la société civile, présentant les déclarations de politique régionale et de politique communautaire, puis désignant souverainement des ministres quelques minutes avant leur présentation publique, dans le secret presque absolu de leurs bureaux présidentiels respectifs, à coups de sms ou d’appels solitaires, fut très peu participatif du point de vue de la démocratie interne. Au fédéral et dans les régions, auparavant, les formateurs prenaient la tête des exécutifs. Ici, on a dû attendre la toute fin des formations pour savoir qui les formateurs avaient en tête. Bref, ce moment francophone a donné lieu à une verticalité jamais vue dans l’histoire politique contemporaine.
4. Plus de bourgs, moins de tours
Les deux partis les plus à droite ont gagné, les partis de gauche ont perdu, le peuple a parlé et le pouvoir change de mains. Il change aussi de lieu, dans la logique d’une campagne parfois en campagne contre les villes, la ruralité se sentant largement délaissée, comme les semi-ruraux, là où la gauche est plus faible et la droite plus forte. Révélateur et complètement inédit: les arrondissements administratifs de Charleroi et de Liège n’envoient aucun citoyen dans l’exécutif namurois. Et aucun des ministres wallons ne vit dans une commune de plus de 50.000 habitants, hormis Cécile Neven, domiciliée à Wépion -pas la plus dense des anciennes communes de la ville de Namur. Dans l’équipe de la Fédération, les Bruxelloises Valérie Glatigny et Elisabeth Degryse, respectivement d’Uccle et d’Auderghem, rééquilibrent un peu le déficit d’urbanité, mais pas depuis les communes les plus centrales de la région-capitale. Ces profils neufs, comme ce nouvel équilibre démographique, assurent que la voix des ruraux sera mieux entendue que jamais dans la prochaine législature. Même si les vrais patrons, ces présidents montois et namurois désormais omnipotents, veilleront depuis leurs tours bruxelloises sur ces gouvernements des bourgs.
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