« La majorité numérique, nous l’avons depuis 2020 »: la révision de la loi sur l’avortement peut-elle aboutir avant les élections ? (analyse)
À l’appel de la société civile, la modernisation de la loi sur l’avortement revient au centre des débats politiques. Au sein de la Vivaldi, seul le CD&V continue de faire barrage. Un passage en force, via une majorité alternative, est-il envisageable à moins de six mois des élections ? Décryptage.
C’est maintenant ou jamais. Mercredi, le monde médical flamand a pressé le gouvernement de s’atteler en urgence à une révision de la loi sur l’interruption volontaire de grossesse (IVG). L’appel, lancé conjointement par les centres d’avortement Luna et VUB Dilemma, a été saisi au vol par plusieurs partis de la majorité, socialistes et écologistes en tête.
Le PS, notamment, s’est dit prêt à redéposer sa proposition de loi fixant, entre autres, l’allongement du délai légal d’avortement à 18 semaines, contre 12 actuellement. Un texte déjà déposé en 2020 et cosigné par les députés de huit partis (socialistes, écologistes, libéraux, DéFI et PTB). La proposition, amendée depuis lors, reprend les recommandations du groupe d’experts mandaté par le gouvernement, qui avait livré son rapport en avril 2023. « Ces conclusions scientifiques, fruit d’un consensus entre toutes les universités du pays, doivent être inscrites telles quelles dans la loi, insiste le député Patrick Prévot (PS). Nous ne pouvons pas ranger ce rapport au placard. » Un avis partagé par la députée flamande Freya Van den Boosche (Vooruit), qui presse le fédéral à passer à la vitesse supérieure : « La proposition du PS peut encore être votée sous cette législature », a-t-elle insisté sur les ondes de la VRT.
Vers une majorité alternative?
L’obstacle – et il est de taille – reste le CD&V. Depuis des années, les chrétiens-démocrates flamands s’opposent à une révision de la loi sur l’avortement. Signe de leur inflexibilité, ils avaient notamment fait inscrire une « obligation de consensus » sur la question dans l’accord de gouvernement, en 2020. Après le verdict rendu par le comité d’experts en avril dernier, le parti de Sammy Mahdi avait toutefois fait des semblants de concession, en ouvrant la porte à une prolongation du délai de l’IVG à 14 semaines. Une avancée jugée trop faible par les partenaires de majorité. Faute d’accord, le dossier était à nouveau tombé dans les oubliettes.
Pour sortir de l’impasse, DéFI et le PTB, dans l’opposition, appellent depuis le début de la législature à une majorité alternative pour voter le texte. « Nous demandons aux six partis progressistes de la Vivaldi de se dégager du CD&V pour enfin faire aboutir ce texte crucial », plaide la député Sophie Rohonyi (DéFi). « La majorité numérique, nous l’avons depuis 2020 », insiste pour sa part Sofie Merckx (PTB).
Avortement: « Un triple consensus »
A moins de six mois des élections, une tel passage en force est-il réellement envisageable ? Sur le plan légal, rien n’empêche cette majorité alternative, rappelle Emilie Van Haute, professeure de sciences politiques à l’ULB. Sur les questions éthiques, la loyauté gouvernementale n’a d’ailleurs pas toujours été respectée. Mais en termes de stratégie politique, cette alliance paraît peu probable, estime Jean Faniel, directeur général du Centre de recherche et d’information socio-politiques (Crisp). « Se mettre le CD&V à dos juste avant les élections serait un mauvais calcul, car cela compliquerait la formation du prochain du gouvernement. Si les partis de la majorité veulent reconduire la Vivaldi et éviter de devoir s’allier avec la N-VA, ils doivent pouvoir compter sur les chrétiens-démocrates, qui risquent de peu apprécier une telle manoeuvre. »
La piste n’est d’ailleurs pas privilégiée par les écologistes. « Il est trop tôt pour envisager une majorité alternative, tranche Séverine de Laveleye (Ecolo). Même si nous sommes résignés à trouver une solution pour faire passer ce texte, nous sommes toujours tenus par l’accord de gouvernement pour le moment. » Pour la députée fédérale, la position du CD&V paraît toutefois de plus en plus intenable. « Il y a aujourd’hui un triple consensus – scientifique, sociétal et même parlementaire – sur la question. Cela devient intolérable de voir certaines familles conservatrices continuer à utiliser la santé des femmes en tant qu’argument politique. »
Le spectre des « partis conservateurs »
Si Patrick Prévot (PS) espère encore convaincre les chrétiens-démocrates d' »abandonner leur dogmatisme face à la réalité scientifique », les chances d’un revirement paraissent minces. Pour le moment, le CD&V s’en remet à l’accord de gouvernement. « Le texte dit qu’après l’étape de l’étude pluridisciplinaire, il faut aboutir à un consensus au sein de la majorité, rappelle Sammy Mahdi. Nous sommes prêts à en discuter avec nos partenaires et nous leur avons déjà proposé des compromis. Mais nous n’irons pas plus loin. »
En bref, le « péché originel » du blocage de la Vivaldi sur la question réside dans cet accord de gouvernement, analyse Sophie Rohonyi. « Cette obligation de consensus empêche toute avancée, déplore la députée de l’opposition. Or, nous devons faire aboutir ce texte maintenant, tant que nous disposons toujours d’une majorité de progressistes au sein du Parlement. Vu le poids électoral que pourraient acquérir les partis conservateurs – Vlaams Belang et N-VA en tête – sous la prochaine législature, c’est maintenant ou jamais. »
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici