La démission du ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne porte à six le nombre de départs au sein de la Vivaldi. Mais démissionner d'un poste ministériel signe-t-il réellement la fin d'une carrière politique?

La démission, synonyme de mort politique? « Tout dépend d’une combinaison de facteurs »

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

La démission d’un poste ministériel signe-t-elle automatiquement la fin d’une carrière politique ? Pas toujours. Rendre son tablier permet parfois même de gagner en popularité. La suite du parcours dans l’arène politique dépend en réalité de toute une série de facteurs. Analyse.

Et de six. La démission de Vincent Van Quickenborne (Open VLD), présentée vendredi, est déjà la sixième à l’actif de la Vivaldi. Après les départs de Sammy Mahdi (mai 2022), Sophie Wilmès (juillet 2022), Meryam Kitir (octobre 2022), Eva De Bleeker (novembre 2022) et Sarah Schlitz (avril 2023), c’est au tour du ministre de la Justice de quitter le navire, en raison d’une erreur « monumentale » dans le suivi du dossier d’Abdessalem Lassoued, auteur de l’attentat terroriste à Bruxelles.

Si l’équipe De Croo accumule les résignations, on est encore loin de la « Grande Démission » observée sous Charles Michel entre 2014 et 2019, quand pas moins de onze ministres ou secrétaires d’Etat fédéraux avaient rendu leur tablier. De tout temps, indépendamment des niveaux de pouvoir, les démissions ont d’ailleurs souvent été légion en politique belge. Et parmi les ministres déchus, nombreux sont ceux à s’en être (brillamment) relevés. « Une démission, ça ne met pas forcément un terme à la carrière politique, bien au contraire, observe Dave Sinardet, politologue à la VUB. Quand un ministre démissionne, il démontre une certaine responsabilité politique. C’est généralement plus apprécié par les commentateurs qu’un ministre qui reste accroché à son siège alors qu’il est accablé par la critique. »

Les deux exemples les plus éloquents sont sans contexte les démissions conjointes des ministres de l’Intérieur Johan Vande Lanotte (ex-sp.a) et de la Justice Stefaan De Clerck (ex-CVP) en 1998, après l’évasion manquée de Marc Dutroux. « Ce retrait n’a empêché ni l’un ni l’autre de poursuivre sa carrière politique avec succès », relève Jean Faniel, directeur du Crisp (Centre de recherche et d’information socio-politiques). Après cette débâcle, les deux membres du gouvernement Dehaene II sont tous deux restés des figures phares de la vie politique belge : Vande Lanotte en étant successivement nommé aux postes de ministre du Budget puis de l’Economie, et De Clerck en prenant les rênes du CVP.

Des raisons multiples… et pas si scandaleuses

Pour qu’une reconversion soit si heureuse, elle doit combiner toute une série de facteurs positifs. Tant la nature de la démission que son timing influe sur son appréciation dans l’opinion publique. La popularité du ministre démissionnaire, sa relation avec son président de parti ainsi qu’avec d’autres acteurs politiques jouent également un rôle capital dans la suite de sa carrière.

Un ministre peut renoncer à sa fonction pour une multitude de raisons : des problèmes de santé personnels (Meryame Kitir, Valérie Glatigny…) ou d’un proche (Sophie Wilmès), un désaccord avec la ligne de son parti (Jean-Luc Crucke en 2023), un jeu de chaise musicale entre différents niveaux de pouvoir (Pierre-Yves Dermagne en 2020, Marie Arena en 2003…), l’exercice de sa responsabilité ministérielle et, évidemment, une faute personnelle, parfois couplée à une condamnation en justice. Les transferts d’un pouvoir à l’autre sont, de loin, les plus invoqués dans le cadre d’une démission. Ils étaient encore plus courants avant la synchronisation des scrutins régionaux et fédéraux, en 2014, même si la lenteur de la formation des exécutifs n’empêche toujours pas les jeux de mercato tardifs. Par contre, les scandales ou les affaires politico-médiatiques sont moins nombreux. « Les démissions les plus fracassantes, les plus spectaculaires ne sont pas la norme », confirme Jean Faniel.

Poids politique et popularité

Logiquement, la faute personnelle, parfois interprétée comme de l’incompétence, permet une reconversion plus difficile que le retrait pour raison de santé ou pour une prise de responsabilité ministérielle, qui ont davantage bonne presse. Le départ de Vincent Van Quickenborne, qui a « assumé » la faute d’un magistrat – a d’ailleurs été salué comme un acte politique « courageux », « digne » et « honorable », même dans le chef de ses adversaires.

L’âge et le stade de la carrière atteints par le ministre déchu au moment de sa démission influe également sur la suite des événements. « Quand ils ont démissionné, Vande Lanotte et De Clerck étaient tous les deux relativement jeunes, tout en étant déjà considérés comme des poids importants dans les rangs de leur parti respectif, ce qui a favorisé leur maintien à des postes d’envergure », insiste Jean Faniel. Une situation bien différente de celle du socialiste Pascal Smet, qui a renoncé à ses fonctions de secrétaire d’Etat bruxellois à l’Urbanisme en juin 2023 suite au « Téhérangate ». « Smet, c’est un vieux de la vieille : il était en poste depuis longtemps et il ne s’était pas fait que des amis dans le milieu, donc son retrait a dû en arranger plus d’un, même au sein de Vooruit, observe le directeur du Crisp. Dans son cas, sa démission est certainement synonyme de fin de parcours. »

La popularité acquise par le ministre démissionnaire lui permettra également de se maintenir à flot. Malgré sa démission du poste de ministre des Affaires étrangères, Sophie Wilmès reste la personnalité politique la plus appréciée des Bruxellois et des Wallons, ce qui lui confère de grandes chances d’être à nouveau « ministrable » si le MR reste dans la majorité au fédéral. Mais la popularité ne fait pas tout. « Dans le système belge, à l’exception d’Ecolo et de Groen, ce sont les présidents de parti qui nomment les ministres et les secrétaires d’Etat, rappelle Jean Faniel. Donc la suite de la carrière politique dépend des relations avec son président et du poids politique acquis avant le retrait éventuel. »

Le public ou le local comme échappatoire

La démission peut parfois être exigée par le président de parti lui-même, qui peut être négociée contre un parachutage à un autre type de poste. « C’est une logique de récompense, observe Dave Sinardet. Si le président estime que son ministre a démissionné dans des conditions difficiles, qu’il s’est ‘sacrifié’ pour le parti, il pourra le recaser ailleurs plus tard. » Nombreux sont ainsi les ex-ministres à occuper des postes à hautes responsabilités dans le public (Steven Vanackere, ex-ministre des Finances, actuellement vice-gouverneur de la Banque Nationale de Belgique) ou dans les conseils d’administration d’entreprises semi-publiques (Stefaan De Clerck, président du CA de Proximus).

Enfin, le retour à la politique locale constitue également une porte de sortie courante pour de nombreux ministres déchus au fédéral ou régional, leur popularité restant parfois intacte à l’échelle communale malgré des déboires à d’autres niveaux de pouvoir.

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